Dans Eastleigh, un des quartiers perdus dans la capitale Nairobi, les commerces tenus par les somaliens ou d'origine somalienne pullulent comme des champignons faisant de cette partie de la ville un ghetto surnommé le "Petit Mogadiscio" où les complexes commerciaux offrent, côte à côte, produits exotiques, articles vestimentaires ou électroniques dernier cri sans oublier les obligatoires gadgets tels les mobiles et autres électroniques. Par Khalid Abouchoukri D'un ancien quartier résidentiel, tombé dans "l'oubli", Eastleigh (quartier est) est devenu indéniablement le hub commercial de grande activité non seulement du Kenya mais de toute l'Afrique de l'est puisque s'y côtoient ougandais, rwandais, éthiopiens et même congolais qui viennent faire leur shopping entre le disgracieux et le désirable. La grande activité des mall commerciaux fait oublier au client la "pire" route criblée de "cratères", comme s'il s'agit d'une victime d'une compétition de rhinocéros, où une promenade dans ses dédales, laisse une impression d'une admiration "d'affaires juteuses" de produits pas trop chers mêlée à l'écoeurement des odeurs caustiques. Qu'il fasse chaud, sec, humide ou qu'il pleuve, il est insupportable de passer d'un côté à l'autre de la première avenue de ce centre. Crasse, saleté et boue partout. Les remblais d'ordures occupent les deux côtés de la principale artère alors que les odeurs piquantes et puantes des eaux pluviales, stagnantes rebutées que ne peut absorber le faible système d'égouts, se côtoient avec les parfums fort abandons. Le " Baraka Bazar ", un complexe connu jusque là comme la pierre angulaire de ce centre, n'est plus qu'un parmi tant d'autres qui ont surgi de terre au milieu de monticules d'ordure. " Le Garissa Lodge ", tel un labyrinthe avec ses corridors étroits pour exploiter au maximum l'espace et avoir plus de boutiques, est un gouffre qui engloutit l'argent à flot des chalands. Pour Ahmed Ali Hussein, qui a connu l'Eastleigh des années 60, le quartier est " devenu une ville dans la ville avec une économie des réfugiés" dont une grande partie a pu acquérir la nationalité kenyane "en casquant le prix fort". C'était un lieu de résidence paisible pour les bas revenus. Mais, avec l'afflux des réfugies somaliens, il s'est métamorphosé en un remue-ménage commercial ininterrompu d'où il est difficile de s'échapper sans avoir assouvi sa soif d'achat, se remémore-t-il. Pas tous les commerçants sont des réfugiés, rétorque Amina Abdullah qui vend, dans une échoppe de moins 2 mètres carrés aménagée sous les escaliers, des chaussures et sacs pour dames. Mais, tous souffrent des mêmes mauvais traitements de la part de la police. "Le quartier ressemble à une base de la police. Certains sont de service et d'autres y viennent non pas pour assurer le maintien de l'ordre et le respect de la loi mais pour leur propre mission afin d'extorquer de l'argent", explique Mohamed Arr, vice-président de l'association du district d'Eastleigh, qui craint par ricochet que cet harassement ne pousse les jeunes, considérés comme des bouc émissaires de tous les maux réels ou imaginaires, vers la radicalisation. Une atmosphère de suspicion, de crainte et de silence complice, "une partie de victimes ne disposant pas de papiers en règle et ne pouvant se plaindre de peur de représailles", a tout bonnement "perpétué le vice de corruption des agents de sécurité qui associent les commerçants aux groupes d'insurgés luttant contre le pouvoir en Somalie ou à la piraterie". "Ce sont des choses que nous avons appris à vivre avec", dit résigné Mohamed Maalim montrant de sa tête "la négligence des conduites éclatées des égouts". Les commerçants du quartier paient plus de "taxes et impôts à la municipalité que le centre des affaires de la capitale", explique-t-il alors que plusieurs jeunes au torse nu et pantalons retroussés charroient, sur des charrettes à bras dans un va-et-vient incessant entre les trottoirs opposés, des clientes à 10 shillings (environ 1 dh) par tête et par traversée ceux désireux de franchir sans s'imbiber de ces rejets du trop plein du système de drainage et des eaux dormantes. L'association des commerçants de ce lieu, que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de "capitale économique non officielle du Kenya", évalue à près de 20 millions de dollars le montant des taxes et autres redevances versées au City Council. Mais, ce hub, agité et bruyant, est aussi un "bourbier" où vivent "cachés" dans de modestes demeures les commerçants réfugiés millionnaires ne pouvant résider dans les zones huppées de la capitale de peur d'avoir maille à partir avec les autorités et de risquer le renvoi à Mogadiscio. Il est également un passage obligé pour les migrants et clandestins, somaliens et éthiopiens, d'où ils entament leur descente périlleuse vers le sud du continent. Un circuit organisé par des passeurs pouvant réclamer jusqu'à 2.000 dollars par clandestin.