" Monde arabe: l'hospitalité du nihilisme", le dernier ouvrage de l'universitaire Aziz Haddadi, se refuse d'être classé comme une énième lecture des travaux de Michel Foucault ou de Friedrich Nietzsche, tout en revendiquant une haute prétention philosophique lançant un appel au monde arabe pour se libérer du joug du défaitisme et s'approprier son propre destin. Par Morad Khanchouli Entre les deux bouts du livre, introduit par des appels au silence, au repli, à l'écoute de l'âme et à la révolte contre la démence intellectuelle et le nihilisme politique, l'auteur essaie de trouver des éléments de réponse à une grande interrogation: la chasse des démons du nihilisme est-elle un rêve philosophique irréalisable ou bien une réalité momifiée qui ne croit ni au rêve, ni à la liberté, ni à la pensée?. Pour y répondre, Aziz Haddadi, le philosophe qui l'est, fouille dans cet "amour de la sagesse", véhiculé par la philosophie, en menant une recherche de la vérité, une méditation sur le sens de la vie et du bonheur, mais aussi en entreprenant un exercice systématique de la pensée et de la réflexion. " Est-ce cette voie qui fait que la philosophie ne cesse de croire à un avenir des plus radieux ? Est-ce cette croyance qui nourrit les idées et concepts philosophiques pour devenir, un de ces jours, réalisable ? ", s'interroge-t-il. D'une explication à l'autre, l'universitaire pense que le philosophe se trouve déboussolé, perdu "dans un exercice d'entrainement au bonheur, non pour dédaigner son présent, mais, seulement et simplement, pour animer au fond de lui ce plaisir d'anéantissement d'un nihilisme qui transforme l'être humain à un esclave". L'issue de sortie, le livre la lie à ce qu'il nomme " l'art de jubilation": Ce rang si élevé qui ne peut être atteint que par une célébration de la liberté et une reconnaissance de l'appropriation de la pensée. Au fur et à mesure que les pages s'égrènent, " liberté et pensée ", ces deux concepts intrinsèquement imbriqués, orientent le fil conducteur du livre et ouvrent la voie à une lecture sereine d'un présent amer. A l'image du titre, pour le moins évocateur, la première partie du livre donne le ton d'une quête " douloureuse " de la libre pensée, des lumières et de la modernité. Ce beau projet qui rejette en bloc toute sélectivité ou partialité. "Tel un médicament prescrit à des sociétés déshéritées, en voie de déchéance, la modernité est un projet complet indivisible et irréductible", s'insurge-t-il. L'auteur pointe ensuite du doigt la responsabilité de la politique, telle qu'elle est pratiquée dans certaines sociétés arabes, dans cette submersion dans la mer houleuse du nihilisme. Toutefois, il tente, tant bien que mal, de rester lucide en dissociant les vertus du concept noble de politique à son exercice effectif par des gens atteints d'une véritable "carence intellectuelle", à la limite de "la débilité politique". Tout en poursuivant sa fouille dans les origines " funestes " de ce nihilisme, qui handicape le corps arabe, le livre essaie, toutefois, d'assaisonner son discours d'un grain d'optimisme en liant la politique à l'avenir et aux espoirs. "La politique à laquelle nous aspirons est celle où l'être humain arrive à déguster le gout de la liberté, à s'armer de la capacité d'agir, à prendre son destin en main, à s'animer de la volonté de vivre dans un espace fort et solide, qui reflète l'opinion collective". En posant des interrogations philosophiques, ça et là, le livre cherche enfin, comme l'envisage son auteur, à "secouer le lecteur arabe pour qu'il se réveille de cette longue hibernation et donne à son esprit une occasion, une seule, pour se détacher du joug du nihilisme et s'armer d'audace et de courage pour semer les germes d'un avenir où science et modernité, d'un coté, et foi et patrimoine, de l'autre, tiennent compagnie".