La Cour des comptes vient de rendre public son rapport annuel au titre de l'année 2015, une synthèse des rapports relatifs à 28 missions effectuées par les différentes chambres de la Cour des comptes en matière de contrôle de la gestion et dont l'Opinion a déjà publié le volet relatif à la formation professionnelle. Centres Régionaux d'Investissements, domaines de l'Etat, routes rurales non classées, investissements du ministère de la Justice et monuments historiques ont, ainsi, fait l'objet de critiques de la part de la Cour des comptes. La Cour des comptes souligne, dans ce rapport, l'impact négatif de la non-mise en place d'une stratégie commune aux Centres Régionaux d'Investissements (CRI), par le ministère de l'intérieur (département de tutelle), qui empêchent ces entités d'atteindre les objectifs qui leur ont été assignés, et la non élaboration par le ministère des finances d'un code des domaines de l'Etat, en vue de donner une définition du domaine privé de l'Etat et de déterminer le régime juridique qui lui est applicable. La Cour des comptes ne manque pas, non plus, de clouer au pilori le département de l'équipement à propos du "défaut d'entretien" des routes rurales non classées et le département de la culture à propos de la faiblesse de la protection juridique des monuments historiques. L'absence de stratégie commune empêche les CRI d'atteindre leurs objectifs La non-mise en place d'une stratégie commune aux Centres Régionaux d'Investissements (CRI) figurent parmi les contraintes qui empêchent ces entités d'atteindre les objectifs qui leur ont été assignés, selon la Cour des Comptes. Dans le cadre de l'évaluation de l'expérience de ces centres, des résultats "significatifs" ont été enregistrés au niveau de la création des entreprises, notamment dans la réduction des délais de création, relève la Cour des comptes qui vient de publier son rapport annuel de 2015, faisant, néanmoins, état de "plusieurs contraintes internes et externes qui n'ont pas permis à ces entités d'atteindre les objectifs qui leur ont été assignés", dont l'adoption de plans d'action propres à chacun. De surcroît, le rapport pointe du doigt l'absence d'un statut particulier du personnel des CRI, l'existence de moyens financiers tributaires des subventions de l'Etat, l'absence de suivi des entreprises créées, ainsi qu'un rôle limité des CRI dans la déclinaison des politiques nationales au niveau local. La Cour des comptes évoque également l'insuffisance de l'interconnexion informatique des CRI avec leurs partenaires, la représentation limitée des administrations au sein du guichet unique et l'absence d'un système unique de paiement des frais de création, ainsi que d'un cadre juridique qui régit la Commission Régionale d'Investissement "En effet, la lettre Royale du 09 Janvier 2002 a prévu la création de cette commission. Toutefois les deux circulaires du ministre de l'Intérieur (en 2002 et 2010) ont, juste, précisé son rôle sans fixer les modalités de sa composition, son organisation et son fonctionnement", peut-on lire dans le rapport. Et de rappeler que le Maroc a connu la création de 16 CRI sous la responsabilité des Walis, conformément aux orientations de la lettre Royale adressée au Premier ministre en date du 9 janvier 2002, concernant la gestion déconcentrée de l'investissement. Ces CRI visent à assurer deux missions principales, à savoir le concours à la création d'entreprises et le soutien à l'investissement, et ce à travers deux guichets. Non-élaboration d'un code des domaines de l'Etat La Cour des comptes a fait état dans son rapport annuel de 2015, rendu public lundi, de la non élaboration d'un code des domaines de l'Etat en vue de donner une définition du domaine privé de l'Etat, déterminer le régime juridique qui lui est applicable et les procédures de sa gestion ainsi que les instruments de sa valorisation et les outils de sa protection. Le rapport qui relève aussi le non recensement exhaustif du patrimoine domanial pour une meilleure connaissance et maîtrise du portefeuille mobilisable, ajoute que les services gestionnaires ne disposent pas d'informations précises sur le foncier mobilisable au profit de l'investissement classés par destination et nature des secteurs productifs. La structure foncière hétéroclite du domaine privé de l'Etat de par son origine historique de propriété complique davantage la mobilisation foncière, précise le rapport, ajoutant que ce patrimoine foncier est constitué de plusieurs catégories d'immeubles aussi différents les uns des autres par leurs natures que par les procédures de leur assainissement. Le document qui souligne le non achèvement de l'assainissement de la situation juridique, fait état de l'analyse de l'effort d'immatriculation qui fait montrer que 53% des immeubles est immatriculée, les immeubles en cours d'immatriculation constituent près de 41% alors que le reste qui constitue 6% n'est pas encore immatriculé. Le patrimoine foncier géré par la Direction des domaines de l'Etat est estimé à plus de 1,7 million ha, selon la Cour des comptes. Par nature de sommier, 69% soit 136 milliards de dirhams MMDH de ce patrimoine est situé en milieu rural, 23% (128 MMDH) se trouve dans le périmètre suburbain et 8% (303 MMDH) dans le périmètre urbain, ajoute le rapport. D'autre part, le contrôle de la gestion de la direction a permis d'enregistrer des carences et dysfonctionnements entachant la mobilisation du foncier de l'Etat, notamment les contraintes liées à la mobilisation du domaine privé de l'Etat, précise la même source. "Défaut d'entretien" des routes rurales non classées La Cour des Comptes a publié, lundi, son rapport annuel 2015 dans lequel elle pointe du doigt un "défaut d'entretien" des routes rurales non classées qui ont été réalisées dans le cadre des programmes de désenclavement du monde rural. Le Ministère de l'Equipement a réalisé durant les vingt dernières années plusieurs routes rurales pour le désenclavement du monde rural, avec un montant global de 27 milliards de DH. Et à fin 2016, il est prévu que le réseau routier marocain atteindrait 32.000 km dont 11.036 km de routes non classées, rappelle la juridiction financière en soulignant que "si les routes classées du réseau national bénéficient de travaux d'entretien et de mise à niveau même à un rythme très faible étant donné les fonds limités affectés à cette catégorie de travaux, les routes non classées, quant à elles, n'ont fait l'objet, depuis leur construction d'aucune opération d'entretien de la part de l'Etat, représenté par le Ministère de l'Equipement, ou de la part de des collectivités territoriales". Cette situation, prévient la Cour des Comptes, pourrait causer la dégradation de ce patrimoine routier, ainsi que la perte de l'effet des efforts consentis durant les deux dernières décennies et des ressources débloquées et pour la réalisation de tels projets. En outre, cela impacterait, négativement, le niveau socio-économique de la population rurale, et risque de décrédibiliser les pouvoirs publics vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux qui exigent des garanties de préservation des investissements financés par des crédits antérieurs en tant que condition préalable pour bénéficier de nouveaux crédits. Dysfonctionnements des Programmes d'investissement du ministère de la Justice et des libertés La Cour des Comptes soulève plusieurs dysfonctionnements au niveau de la gestion financière et budgétaire des programmes d'investissement du ministère de la Justice et des libertés. Le contrôle de la gestion des programmes d'investissement du ministère de la Justice et des libertés a permis d'enregistrer plusieurs remarques, indique la Cour des Comptes dans son rapport annuel de 2015. Il s'agit notamment de la faiblesse du taux d'engagement des crédits de paiement au niveau du fonds spécial pour le soutien des juridictions qui se situait au cours de la période 2010-2014 entre 28% et 58%, fait savoir la Cour des comptes. "Le ministère a justifié la faiblesse de ces taux par la priorité qui a été donnée à l'engagement des dépenses d'abord dans le cadre du budget général et, en cas de nécessité, dans le cadre du fonds spécial pour le soutien des Juridictions", lit-on sur le rapport. S'agissant des crédits d'investissement, la comparaison entre les montants ordonnancés dans le cadre de la mise en oeuvre des programmes d'investissement avec les montants engagés, fait apparaître la faiblesse du taux d'ordonnancement oscillant entre 23% et 32% durant la période 2010-2014 au niveau du budget d'investissement et entre 47% et 54 % au niveau du fonds spécial pour le soutien des Juridictions, indique la Cour des Comptes, notant que cette faiblesse traduit les retards enregistrés dans la réalisation des projets. En parallèle, les crédits de report représentent une proportion importante des crédits définitifs ouverts l'année suivante, du fait qu'ils varient entre 42% et 68% du total des crédits définitifs ouverts au niveau du budget général (soit une moyenne annuelle de 511,46 millions de dirhams -MDH-), et près de 24% au niveau du compte spécial (une moyenne annuelle de 292,29 MDH), souligne la juridiction financière, expliquant cette situation principalement par des insuffisances au niveau de la planification et la programmation des projets d'investissement, puisque la majorité des marchés sont engagés en fin d'année. Concernant la gestion des projets de construction, d'agrandissement et de rénovation des juridictions, la Cour des Comptes précise qu'ils sont réalisés, soit directement par la direction de l'équipement et du patrimoine ou par les services extérieurs du ministère, soit à travers la Compagnie générale immobilière (CGI) ou le ministère de l'Équipement. La réalisation de ces projets, relève-t-on dans le rapport, a toutefois soulevé plusieurs observations, dont l'absence d'une vision claire des projets à réaliser, la non maîtrise des besoins au niveau de certains projets, l'insuffisance ou l'indisponibilité des études préalables et le commencement d'exécution de projets avant l'assainissement de la situation foncière des terrains. Le ministère a réalisé plusieurs investissements au niveau de l'infrastructure des tribunaux en vue de fournir les conditions appropriées de travail et d'accueil du public. Le financement de ces investissements s'est fait soit à partir du budget général et du fonds spécial pour le soutien des Juridictions, soit dans le cadre de partenariats, comme ce fut le cas du programme de coopération "Meda", réalisé avec l'Union Européenne. À cet égard, les crédits d'investissement durant la période 2010-2014 se sont élevés à environ 3,26 milliards de dirhams (MMDH), tandis que les crédits du compte spécial se sont élevés, en 2014, à environ 1,94 MMDH. Faiblesse de protection juridique des monuments historiques La Cour des comptes a fait état dans son rapport annuel de 2015, rendu public lundi, d'une faiblesse de la protection juridique des monuments historiques ainsi que d'une absence de documents juridiques relatifs à leur sauvegarde. En effet, les textes juridiques régissant la protection et la sauvegarde du patrimoine culturel immobilier et mobilier "ne prévoient pas, clairement, l'obtention d'une autorisation du ministère de la culture avant le commencement des travaux d'entretien et de restauration des bâtiments historiques protégés", constate la juridiction financière, ajoutant que la loi ne prévoit pas, non plus, un cadre juridique clair pour le mécénat dédié au patrimoine. De même, le ministère n'a pas procédé à l'ouverture et à la tenue des documents juridiques relatifs au patrimoine comme il est prévu par les dispositions réglementaires, en l'occurrence la liste des immeubles classés, le registre de l'inventaire général du patrimoine culturel relatif aux meubles et immeubles, ayant fait l'objet d'un arrêté d'inscription, ainsi que le répertoire national des gravures et peintures rupestres, et des pierres écrites, en plus des inscriptions monumentales, ajoute le rapport. En l'absence de la liste et du registre précités, l'évaluation de l'effort d'inscription et de classement des monuments a été réalisée en se référant à une base de données établie par la direction du patrimoine culturel. Ainsi, l'essentiel de l'effort de classement a été effectué durant la période du protectorat, alors que le classement depuis l'indépendance demeure faible, relève le rapport. Dans le cadre du soutien des activités culturelles, le ministère a procédé à l'appui de 826 associations entre 2005 et 2013. De ce fait, les montants octroyés ont atteint, selon la même source, près de 46,30 millions de dirhams (MDH), dont la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaïre et celle du grand Casablanca se sont accaparées de plus de 59%, avec un total de 361 associations, soit 43,70% des associations soutenues. Selon les documents produits par le ministère, la programmation stratégique a intéressé trois périodes distinctes : 2003-2007, 2008-2012 et 2012-2016, relève la Cour des comptes. Toutefois, les documents présentés par le ministère "tels qu'ils sont établis ne peuvent être considérés comme des stratégies", peut-on lire dans le rapport. Pour ce qui est des institutions culturelles relevant du ministère de la culture, il a été constaté qu'elles sont, dans leur majorité, construites et gérées par les collectivités locales, indique la juridiction financière. Ainsi sur les 463 institutions recensées, seules 57 institutions ont été créées par le ministère de la culture, tandis que la gestion des 406 autres institutions, soit 87,77%, est réalisée dans le cadre de contrats de partenariat avec les collectivités locales qui les ont construites. Aussi, la répartition spatiale de ces institutions est marquée par une disparité régionale importante. Par ailleurs, la Cour des comptes constate "l'absence de programmes unifiés précisant les matières à enseigner et les charges horaires afférentes à l'enseignement musical. Pour ce qui est de la promotion de la lecture publique, le rapport souligne, à travers l'appréciation du réseau de la lecture publique, que "le plan et la gestion des bibliothèques publiques ne sont soumis à aucune norme unifiée et adoptée par le ministère de la culture", faisant également état d'"un faible taux de lectorat".