L'Agence Mondiale Antidopage (AMA) a saisi jeudi soir la balle au bond après le verdict du Tribunal arbitral du sport (TAS) confirmant l'exclusion de l'athlétisme russe des JO-2016: elle exhorte le CIO à prendre ses responsabilités face à la Russie et à l'exclure collectivement du rendez-vous de Rio. Après avoir révélé l'ampleur du dopage en Russie depuis 2011 dans le rapport McLaren publié lundi, l'AMA a enfoncé le clou, à quinze jours du coup d'envoi des Jeux de Rio: «C'est au CIO, comme il s'y est engagé mardi, de prendre ses responsabilités dans le cadre de la Charte olympique», a-t-elle insisté. La position intransigeante de l'AMA, qui avait réclamé dès lundi l'exclusion du Comité olympique russe de Rio tandis que le CIO, lui, préférait temporiser le lendemain, a été confortée par le TAS: la plus haute instance de la justice sportive a confirmé à Lausanne que la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) avait le droit d'exclure la Russie des épreuves d'athlétisme des JO-2016. La star Yelena Isinbayeva, double championne olympique de saut à la perche (2004, 2008), ne sera donc pas à Rio, tout comme Sergey Shubenkov, le champion du monde 2015 du 110 m haies. «Merci à tous d'avoir enterré l'athlétisme», a d'abord réagi Isinbayeva, dénonçant une décision «purement politique», comme le ministre des Sports russe Vitali Moutko. «La tsarine de la perche» n'abdique pourtant pas: rappelant qu'elle n'a jamais été convaincue de dopage, elle a annoncé qu'elle voulait saisir à nouveau le TAS, à titre individuel cette fois, et se dit prête à aller «jusqu'à une cour internationale des droits de l'Homme». Réunion du CIO dimanche Sans surprise, le Kremlin la soutient: «On ne peut que regretter profondément» cette décision concernant des «athlètes qui n'ont rien à voir avec le dopage», a-t-il fait savoir. Si la Russie, deuxième nation des JO-2012 avec ses 17 médailles dont huit en or en athlétisme derrière les Etats-Unis, n'alignera pas d'équipe à Rio, elle sera toutefois représentée par deux athlètes, il est vrai sans grandes chances de podiums, la sauteuse en longueur Darya Klishina, repêchée par l'IAAF, car basée en Floride et évoluant hors du système russe, et la spécialiste du 800 m, Yulia Stepanova, la lanceuse d'alerte à l'origine des révélations sur le dopage en Russie. Le verdict à l'unanimité des trois juges du TAS est une victoire pour l'AMA, ainsi que pour l'IAAF et son président Sebastian Coe. Selon Coe, le jugement du TAS a créé les conditions de «compétitions à armes égales» entre les athlètes. L'IAAF a montré la voie, il ne reste donc plus au CIO, qui réunit dimanche sa commission exécutive, qu'à prendre la décision d'exclure le Comité olympique russe, tout en permettant aux fédérations internationales de repêcher au cas par cas les sportifs russes qui sont propres, c'est-à-dire évoluant hors du système d'Etat gangréné par le dopage. L'exemple de l'athlétisme a déjà inspiré deux fédérations internationales, qui ont exclu des JO-2016 des équipes éclaboussées par des affaires de dopage, l'haltérophilie avec la Bulgarie et le canoë-kayak en ligne avec la Roumanie et le Belarus. C'est pourquoi l'AMA a également appelé «les fédérations internationales à prendre leurs responsabilités dans le cadre du Code mondial antidopage vis-à-vis des fédérations nationales russes». «L'AMA croit fermement qu'il ne s'agit pas de punir tous les athlètes pour les actions de certains», a rappelé Craig Reedie, son président. ‘Guerre froide' Même message du côté de l'Usada, la puissante agence américaine de lutte contre le dopage: «Le CIO doit exercer son autorité en suspendant le Comité olympique russe, tout en permettant aux sportifs russes qui peuvent prouver qu'ils sont +propres+ de participer» aux Jeux, a réagi son patron Travis Tygart, tombeur de l'ancien star du cyclisme Lance Armstrong. «La décision (du TAS) élimine le dernier obstacle (...) Ces nouvelles sont très rassurantes pour tous ceux qui se préoccupent de l'intégrité du sport et des valeurs du mouvement olympique», s'est félicité de son côté Paul Melia, son homologue du Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES). L'Usada et le CCES, ainsi que douze autres agences nationale de lutte contre le dopage (Allemagne, Autriche, Danemark, Egypte, Espagne, Finlande, Japon, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suède et Suisse) ont envoyé au CIO une lettre commune lui demandant d'agir. Le Comité olympique allemand s'est prononcé, lui, pour un compromis: uniquement l'exclusion des sportifs russes des vingt disciplines olympiques spécifiquement mentionnées dans le rapport McLaren qui a décrit, en détails, le système de dopage d'Etat russe de 2011 à 2015 qui a permis de dissimuler plus de 600 contrôles positifs, dont certains durant les JO-2014 de Sotchi avec l'aide des «magiciens» du FSB, les services secrets. Si les sportifs, à l'image d'Usain Bolt («Si vous trichez, vous serez poursuivi: c'est le bon message»), sont favorables à l'exclusion de la Russie, elle peut encore compter sur des alliés indéfectibles. Le président de la Fédération internationale de judo Marius Vizer lui a apporté son soutien: «Le judo russe joue un grand rôle dans l'histoire de notre sport», a-t-il insisté, n'hésitant pas à se lancer dans une analyse géopolitique. «Nous espérons qu'en autorisant la participation des sportifs russes, un message positif sera envoyé à la jeunesse qui mérite qu'on lui donne des preuves d'amitié, et non d'une Guerre froide», a-t-il martelé.