Valétudinaire depuis quelques mauvaises semaines et craignant fort à tout moment, de tomber franchement grabataire, j'ai été hésitant et ne savais pas s'il me serait physiquement possible d'aller participer à cette célébration tant attendue du cinquantenaire de la naissance-fondation de la revue « Souffles » de si excellente mémoire. Mais la veille, jeudi 7 avril 2016, je me suis essayé finalement à me résoudre de me rendre à la « Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc » à Rabat, exprimer le témoignage personnel, qu'on m'a si aimablement prié d'apporter, par requête des organisateurs de cette manifestation, avec à leur tête l'ami et compagnon Abdellatif Laâbi. Mais malgré cette ferme détermination, mes forces m'on trahi et je n'ai pu finalement me rendre au rendez-vous fixé – à ma grande déception ! Alors, je me suis attelé à écrire, du fond de mon lit de douleur, mon témoignage de collaborateur, pendant un certain temps, de cette revue périodique marocaine, née en avril 1966 à Rabat et qui a eu le rayonnement et l'impact qu'on sait. Ce qui a été superbement décrit par ma consœur la journaliste Kenza Sefrioui dans un livre tiré de sa thèse universitaire, édité par la jeune maison casablancaise appelée « Sirocco ». Alors, je m'en vais proposer ces quelques lignes se rapportant à la demande putative des héritiers de « Souffles » – du moins cette poignée de poètes, d'écrivains, d'essayistes et d'artistes divers, qui ont survécu à l'abattage impitoyable du temps. * * * Si je comprends bien le sens de cette aimable et fraternelle invite, il me faudra que j'entretienne mes éventuels lecteurs, puisque je n'ai pas pu avoir devant moi les auditeurs prévus à l'origine, quelque peu – et modestement, cela va sans dire – du témoignage d'un collaborateur des débuts à l'aventure de « Souffles », célébrée ces jours de début du moins d'avril 2016, dans la ville de son éclosion, Rabat dite traditionnellement « la victorieuse ». Je voudrais commencer ce témoignage en disant, très clairement et nettement, aujourd'hui, que j'ai été simplement, fier – je le suis toujours même si d'une manière un peu différente, parce que saupoudrée d'un pollen de nostalgie. C'est apparemment curieux qu'après un demi-siècle révolu, je me trouve en train de ressasser, quitte à me répéter, ces sentiments de reconnaissance qu'il m'a été permis de faire partie complètement d'une équipe de cette haute et chaleureuse qualité, qui a marqué, j'en reste convaincu, cette création-fondation. Je ne dis pas « famille », par espèce de pudicité que je m'impose. Oui, j'ai été accueilli en tant que membre de l'équipe rédactionnelle, à part entière, moi jeune journaliste professionnel, qui avais alors vingt ans, avec le grade de secrétaire de rédaction au sein de l'agence nationale « Maghreb Arabe Presse » (MAP) dans le desk principal de langue française. Agence que dirigeait son fondateur, le nationaliste libéral tétouanais, son propriétaire principal d'alors Mehdi Bennouna, flanqué de quelques journalistes de grande qualité, auprès desquels j'ai beaucoup appris : les Jose Roldan (espagnol), Doukkali (marocain), Antonioli (italien) et, bien sûr, Abdeljalil Fenjiro (marocain), qui devait devenir beaucoup plus tard le patron de la MAP en qualité de directeur général. Je veux m'arrêter ici sur ce point précis, parce que j'étais alors émoustillé, excité par le fait que je me suis retrouvé, dans l'équipe multicolore professionnellement, si je ne me trompe, le seul et unique journaliste de profession à être intégré dans le groupe qui était, du moins nominalement, à la tête de la publication « Souffles ». Cela m'étonnait vraiment sur le moment de n'avoir repéré aucune réticence, en tout cas jamais au grand jamais exprimée explicitement de la part de tous ces littéraires, penseurs, essayistes et bien sûr de créateurs pur jus aux noms, connus déjà plus ou moins et même célébrés quelquefois ici ou là-bas. On sait, par ailleurs, c'était ma crainte, dans quelle médiocre estime sont généralement tenus les journalistes, et même le mépris, dans lequel est portée la corporation de mes confrères dans le métier. « Le journalisme est illisible et la littérature n'est pas lue », a souligné cruellement le miroitant irlandais Oscar Wilde. Au Maroc, comme ailleurs en Europe ou dans le monde arabo-africain, pour ne citer que ces aires géo-culturelles-ci. Le journaliste aux yeux des écrivains confirmés, des essayistes convaincants, des philosophes célèbres et d'autres stars littéraires créateurs considérés tels de vraies élites culturelles, ont en général une certaine réticence qui lui était réservée de la part de l'élite culturelle de la société, ainsi que de la caste de ceux qui tiennent, sur le moment, le haut du pavé de l'esprit et du talent. * * * C'est vous dire mon appréhension quand je me suis enhardi à l'âge, encore juvénile, de vingt années non encore totalement dépassées, de contacter directement le fondateur de la revue, dont nous saluons ces jours-ci le quinquagénat de la fondation. Cela s'était fait autour de l'ami, qu'il est finalement devenu très rapidement, je veux citer, son nom on s'en doute bien, le poète Abdellatif Laâbi, à peine plus légèrement vieux que moi. Ce n'est qu'après une lecture attentive, appliquée et sourcilleuse du premier numéro de « Souffles » que j'ai fait le premier pas vers le leader auto-proclamé, sûrement parce que c'était à lui que revenait l'initiative courageuse, de l'aventure éditoriale, qui s'annonçait. Je voulais ardemment y croire, sous les meilleurs auspices et les augures les plus favorables. Autant l'écrire tout de suite, j'ai été accueilli plutôt fraternellement et même affectueusement, si j'ose dire, par ce directeur responsable aux manières urbaines et affables – professeur de français dans un lycée de Rabat. Dès les premiers moments, nous ne parlâmes que de probable ma contribution, qui allait de soi, me semblait-il tout de suite. On me laissa le choix quand au sujet que j'allais traiter. En toute et parfaite liberté sans que je subisse de nulle part – encore moins du côté de Abdellatif Laâbi – la moindre directive ou orientation désignée de quelque sorte. Je donnais un « papier » où j'avais essayé de fournir un « rewriting » personnel du reportage à Dakar où m'avait envoyé l'Agence MAP pour couvrir les trois semaines du « Festival Mondial des Arts Nègres », convoqué par le Président-poète du Sénégal Léopold-Sédar Senghor, aidé dans cette initiative originale et qui se voulait pionnière, par le pouvoir gaulliste en France, grâce à l'entremise du ministre d'Etat français à la Culture, le prestigieux écrivain, philosophe et historien de l'art hors normes, André Malraux. Ce numéro deux, daté du deuxième trimestre 1966, contenait aussi un dossier intitulé «table, ronde» qui se voulait paraître autre chose qu'un «bilan» ou qu'un «essai d'analyse aboutie» – qui ne pouvait ainsi «valoir qu'en tant que témoignage des préoccupations et revendications d'un groupe des jeunes cinéastes marocains» – une douzaine de personnes tout au plus. Témoignage donc, frappé au coin d'une modestie – de bon aloi, à mes yeux tout au moins. Parmi cet aréopage de cinéastes, figurait un certain Ahmed Bouanani, poète que je connaissais depuis quelque temps de Casablanca, où il était né, et qui, à l'occasion et en marge de cette table ronde a fourni un texte poétique d'une farouche beauté qui commençait ainsi : « Il existe un pays par delà tous les pays. C'est une terre sans horizon, blafarde malgré le soleil au sourire fou ». Deux pages plus loin il clôturait son texte par une longue et belle phrase : « Ainsi, pensai-je les crépuscules avaient emporté mon chemin. Longtemps, j'errais dans les cercles de lumières et d'ombres et fuyais les cercles de sang ». A côté de poète admiré et aimé, doué et talentueux, je retrouvais les noms de Abdelkébir Khatibi, d'El Mustapha Nissaboury et surtout du flamboyant Mohamed Khaïr-Eddine déjà célèbre, qui s'était installé en un exil choisi et volontaire à Paris, à l'issue des fameuses émeutes violentes de Casablanca d'octobre 1965. Evénement sanglant et très douloureux qui l'avait marqué profondément. (Lire la suite vendredi prochain)