Si l'on cherche l'exemple d'une vie qui n'ait été que labeur acharné et une suite ininterrompue de recherches, études approfondis en matière d'art et trouvailles heureuses grâce à une inspiration spontanée ou une très longue méditation... En somme, une vie pleine de créations picturales de qualité, incomparables, magnifiques et admirables. Un ensemble de créations qui ressemble à une fresque monumentale de traits, formes, signes, symboles, couleurs fascinantes de beauté. Un régal pour les yeux et un perpétuel enchantement pour l'esprit : C'est à l'œuvre-fleuve et incontournable de notre grand peintre Karim Bennani qu'on doit penser en premier lieu. Ce vétéran, ce précurseur d'un nombre important de peintres notoires marocains ; expert assermenté en peinture auprès des tribunaux ; a été le contemporain des deux grandes figures de proue de la peinture dite contemporaine et moderne marocaine : Feu Jilali Gharbaoui et feu Ahmed Cherkaoui et de nos grands peintres décédés tels que Mohamed Sarghini, Mekki Meghara, Abdallah Fakhar, Ahmed Louardiri, Tayeb Lahlou, Amine Demnati, Mekki Murcia, Mohamed Kacimi, Chaïbia, Mohamed Lagzouli, Mohamed Ben Allal, Abbès Saladi, Farid Belkahia, Saïd Aït Youssef etc. La liste du martyrologue est très longue... Et puis pour établir une liste complète de nos peintres les plus représentatifs nous avons demandé à M. Karim Bennani de nous citer quelques-uns de son choix car il a beaucoup de choses à raconter et il connaît mieux que quiconque tous ceux qui méritent d'être consacrés. Votre vision de la jeune peinture d'aujourd'hui ? J'ai beaucoup confiance en la jeunesse et l'esprit de recherche qui les anime. Ils ont la chance d'avoir des repaires et une histoire bien établie de la création plastique malgré son jeune âge. Quant à votre propre parcours, comment l'évaluez-vous ? Concernant mon parcours, Daniel Couturier a dit ceci : Karim Bennani crée de la beauté et l'on sait (que la beauté est promesse de bonheur) un bonheur qu'il veut nous faire partager. Je suis natif de Fès, cette ville qui ne cesse de me séduire et de m'apporter un renouveau permanent dans mon travail malgré mes divers voyages à travers le monde. Mes voyages en Chine et en Amérique m'ont littéralement subjugué. L'inépuisable richesse de la Chine, empire du signe, m'a permis d'apprécier ses merveilles calligraphiques. J'ai découvert dans cette Babel sonore ce qu'est le langage humain, une mémoire scripturale commune à différents peuples de la terre. J'ai élaboré une sorte de chronologie sentimentale des pays visités avec mes croquis : New York avec des gratte-ciel tombant du ciel, Prague la ville de l'amour éternel, Budapest, Amman, le Caire, Rome, Saint-Pétersbourg, Moscou ou encore Paris et ses musées d'une richesse inestimable. Ces voyages ont enrichi mon savoir et m'ont permis de faire des découvertes fascinantes dont j'ai transcrit la poésie sur mes carnets de voyages. En parlant de mes débuts, ils ont été élaborés dès mon jeune âge. J'ai pris mes premiers cours de dessin à l'Académie des Arts de Fès en 1953 où j'ai rencontré Jilali Gharaboui. Nous étions les seuls Marocains à suivre les cours de peinture à l'époque et en 1955 nous nous sommes retrouvés à l'Ecole des Beaux Arts de Paris. Pendant la même année Farid Belkahia nous a rejoints. Farid et moi nous étions inséparables. Nous avons organisé notre première exposition en Syrie Damas en 1958 et le Musée de Damas a acquis deux de nos œuvres. A mon retour au Maroc j'ai intégré le ministère de la Jeunesse et des Sports et j'ai été chargé de créer un centre culturel à Fès en collaboration avec l'artiste peintre feu Mohamed Bennani, j'ai découvert auprès des jeunes des qualités artistiques qui m'ont donné une confiance en l'avenir des Arts Plastiques au Maroc. En 1962 j'ai été appelé par l'Office du Tourisme pour m'occuper des services techniques. Cette expérience était très bénéfique pour moi car j'ai découvert à travers mes responsabilités le Maroc en profondeur, le Sud du Maroc m'a fait vivre la diversité culturelle de notre pays et l'artisanat m'a ouvert une autre potentialité dans mes recherches. La femme du Sud m'a inspiré et l'un des portraits figuratifs que j'ai élaborés en 1959 était (la tête berbère), œuvre que je garde jalousement malgré une offre très généreuse que j'ai reçue d'un diplomate. Début 1970 avec Farid Belkahia, nous avons décidé de créer l'association marocaine des Arts Plastiques. Les membres Fondateurs étaient : Belkahia, moi-même, Hamidi et Tallal par la suite Melihi, Meghara, Ben Cheffaj, Kacimi, Miloud et Aissa Yken nous ont rejoint. J'ai présidé cette association pendant 24 ans. J'avais un vice-président secrétaire général Aïssa Yken dynamique et grâce à son expérience administrative nous avons pu travailler dans de très bonnes conditions. J'ai pu inscrire l'AMAP auprès de l'UNESCO (Association Internationale des Arts Plastiques) A.I.A.P. Cet organisme a permis à l'AMAP de développer ses contacts à travers l'Europe et participer à plusieurs manifestations artistiques avec les pays membres. Parlez-nous de la collection de livres que vous avez créée ? Mohamed Chebaâ, Saâd Ben Cheffaj, Mohamed Melihi, Mekki Megara, André Elbaz, Chaâbia Talal, Mohamed Kacimi et Hassan El Glaoui, pour débuter cette collection poche à destination de tous. Cinq livres de poche des peintres : Gharbaoui, Belkahia, K. Bennani, Ben Cheffaj, Megara ont été édités en 2015 avec le soutien du ministère de la Culture. Cette année un projet d'édition de quatre livres de poches des artistes : André Elbaz, Hassan El Glaoui, Cherkaoui et Kacimi) est en cours d'élaboration. Votre rapport avec les maisons de vente aux enchères ? Les sociétés des ventes aux enchères au Maroc n'aiment pas les experts, parce qu'ils les dérangent et ne croient pas en leur compétence. Chose unique au Maroc, car les plus importantes maisons des ventes aux enchères en Europe possèdent leur propre expert ou ils sous-traitent avec des experts indépendants. Je suis quelqu'un qui dérange par mon titre d'expert malgré mes 44 années d'expérience, et c'est l'unique raison que certaines maisons de vente aux enchères refusent de passer mes œuvres aux ventes qu'ils organisent. Cela ne me dérange nullement pas, car les vrais amateurs d'art se déplacent chez les artistes pour suivre leur évolution et acquérir l'œuvre qui les intéresse à des conditions plus avantageuses et honorables. A propos d'expertise, j'ai appris par un collègue expert à Casablanca que les copies de mes certificats d'authenticité circulaient à Casablanca. Cette nouvelle m'a été rapportée par une galerie d'art qui a confirmé la nouvelle en précisant que ces certificats se traitaient à 50 dhs l'unité ! Depuis 2015, mes certificats d'authenticité ont été réaménagés par un support en papier avec impression et un cachet en relief qui empêche de rendre la falsification facile. Je fais appel à toutes personnes qui détiennent un certificat avant l'année 2015 de se présenter à ma fondation ou téléphoner au 06-61-64-15-65 pour vérifier l'authenticité et éventuellement remplacer gratuitement l'ancien certificat s'il est original par le nouveau modèle. Quel est pour vous le vrai artiste ? La réussite d'un artiste dépend de son sérieux, de l'évolution de son travail, de son indépendance, et les sujets qu'ils traitent doivent être émanés de sa propre philosophie. Que pensez-vous des cotations aux enchères ? Personnellement, je ne crois pas à la cotation des peintures lors des ventes aux enchères. Les organismes qui traitent ce problème sont jeunes et n'ont pas l'expérience souhaitée pour arrêter les valeurs des œuvres, surtout lorsqu'il s'agit des œuvres de jeunes débutants. Dans ce domaine, nous sommes à nos débuts, il faut plusieurs années d'expérience et de culture pour combler ce vide !