On s'y attendait, après le scandale des fuites avérées des épreuves de mathématiques du baccalauréat et les protestations des parents d'élèves devant les académies et les délégations du ministère de l'éducation, le ministère devait réagir pour sauver la face. Les candidats au baccalauréat des branches Sciences expérimentales (et sections) et Sciences et Technologie (et sections) devront repasser l'épreuve des mathématiques. Un communiqué du ministère précise que les candidats repasseront cette épreuve au niveau de l'ensemble des académies et délégations, aujourd'hui vendredi 12 juin 2015 de 8h à 11h dans les mêmes centres d'examen. Il faut dire que la situation était devenue intenable le mercredi 10 juin, seconde journée des examens, voire difficilement maitrisable alors que les élèves continuaient à passer d'autres épreuves. Et pour cause. Un premier communiqué du ministère n'avait ni confirmé, ni infirmé les fuites, se contentant de mentionner la rumeur des fuites de deux pages de l'épreuve du Bac relatives aux mathématiques, branche sciences expérimentales et sciences technologiques sur certaines pages des réseaux sociaux. Le ministère a tout de même souligné qu'il avait immédiatement procédé à des investigations pour faire la lumière sur cette situation et connaitre les tenants et les aboutissants de cette affaire, tout en sommant les centres des examens de poursuivre les épreuves du Baccalauréat et de garantir leur déroulement normal. Dans la foulée, le ministère promis de prendra "toutes les mesures appropriées en cas de confirmation des fuites" et d'assurer et de "garantir l'égalité des chances" entre toutes les candidates et tous les candidats. Mais ce langage protocolaire par reflexe administratif, d'une opacité déconcertante, qui n'allait de toute évidence pas arranger les choses, bien au contraire. Il aura donc fallu qu'un autre communiqué portant le n° 4, plus transparent et plus crédible, vienne confirmer la fraude et annoncer une mesure concrète. Devant l'ampleur des protestations et les preuves tangibles de la supercherie, les responsables furent dont acculés à se rendre à l'évidence et à reconnaître, sous la pression de l'opinion publique, des élèves et des parents d'élèves, la fuite des épreuves de mathématiques concernant les branches sciences expérimentales et sciences technologiques. "La fuite des épreuves a été avérée. Les épreuves ont fuité sur les réseaux avant la passation. Les épreuves seront repassées le vendredi 12 juin de 8 heures à 11 heures, et ce dans toutes les académies et toutes les délégations". Autant ces propos se voulaient "responsables", autant ils signaient un aveu d'échec et d'impuissance aux conséquences graves pour le pays. Espérons que le département de l'éducation ne cherchera pas encore une fois des boucs émissaires au lieu de dévoiler les véritables responsables d'un scandale qui discrédite davantage tout le système éducatif marocain et surtout l'étanchéité supposée acquise des procédures d'évaluation dans notre pays. Ce nouveau scandale, nous rappelle les fuites de 2006 qui avaient connu une re-passation des épreuves à Meknès, un report des épreuves régionales et plusieurs sanctions à l'encontre de responsables régionaux du ministère. Le directeur de l'Académie à l'époque ainsi que la déléguée du ministère furent démis de leurs fonctions. 14 accusés dont 08 élèves poursuivis en état d'arrestation dans l'affaire pour détournement frauduleux d'épreuves d'examens, corruption, divulgation de secret professionnel, complicité et fraude à l'examen en vertu des articles 129, 241 et 248 du code pénal et des articles 1 et 2 du Dahir du 25-06-58 organisant les examens, ont tous écopé d'emprisonnement ferme : entre trois ans et six mois. Mais concernant l'affaire actuelle, on ne peut que s'étonner de la lenteur de réaction du ministère. Les épreuves de mathématiques ont fuité sur la page Facebook «Tassribat» vers 2 heures du matin, donc 6 heures avant la passation de l'épreuve. On avait donc le temps de réagir, d'anticiper, de changer d'épreuve le cas échéant pour éviter une re-passassion qui pourrait jeter plus de discrédit sur ces examens. Notons que le ministère avait précisé dans son communiqué n°2 que l'épreuve de philosophie fuitée est erronée et qu'il s'agit d'une épreuve des années précédentes, et que l'épreuve de sciences de la vie fuitée est aussi erronée (Communiqué n° 3). Par ailleurs, comme les abonnés à la page «Tassribat» ont la possibilité de recevoir toutes les nouveautés de la page, et par conséquent les épreuves supposées et que pour s'y abonner, on doit cliquer sur la mention «J'aime», Facebook nous apprend, via ses statistiques, que le total des mentions «j'aime» enregistrées sur une seule page de «Tassribat» dépasse les 120.000 abonnés dont 46.600 mentions enregistrées cette semaine. Endiguer ce phénomène de société passe donc par d'autres mesures, pédagogiques, éthiques et de mobilisation de toute la société. Les sanctions et les mesures coercitives ont montré leurs limites à l'image du gouvernement qui a aussi montré ses limites dans la gestion de dossiers prioritaires pour la nation, comme la crédibilité de notre Baccalauréat. Cette crise, non contrôlée, va certainement engendrer des conséquences désastreuses : la perte de crédibilité de toute l'organisation et du système éducatif, une image publique ternie, des perceptions erronées et persistantes au sein de la population d'un système qui a du mal à s'immuniser contre des attaques comme «Tassribat», la déresponsabilisation des enseignants, la perte de confiance des élèves et de leurs parents et surtout une suspicion des partenaires sur nos diplômes. C'est très grave, et les citoyens ont droit de demander des comptes. Maintenant que les fuites sont avérées dans un examen national qui engage le pays, la responsabilité du gouvernement et le ministère de l'éducation, qu'un dispositif très coûteux a été mis en place pour lutter contre la triche en vain et que la réalité nous a sauté aux yeux : des fuites massives des épreuves et une incapacité gouvernemental à s'acquitter de l'une de ses responsabilités, les gouvernants auront-ils le courage de prendre les décisions qui s'imposent...Toutes les décisions : politiques, pédagogiques et morales. A moins qu'on se dédouane, comme le fait souvent le chef de gouvernement, sur certaines créatures obscures que lui seul connait.