A propos de l'artiste Hassan Bouhia, l'approche de Daniel Couturier, critique d'art français et vice-président de l'académie des sciences -belles lettres-arts d'Angers s'inscrit dans une forme évaluative ayant trait aux profondes questions que tout artiste s'est posé ou se pose relativement au pourquoi réel de ce qu'il fait comme art et à ses objectifs sociaux et esthétiques. Une approche qu'on pourrait comprendre comme une espèce de diagnostic implicite, qui pourrait lever le voile sur la réalité des soucis existentiels propres à la création, sa nécessité dans le temps et l'espace. Approche qui reste édifiante en son genre et qui est non exempte d'une certaine sympathie, comme la définissait Guillaume Apollinaire défendant les peintres cubistes au début du 20ème siècle. Doit-on s'étonner qu'un peintre ait, en plus de sa sensation des couleurs, un cerveau, des idées, des convictions, une personnalité sociale ? La technique n'est pas tout, le métier importe peu et il y a joie pour le critique à rencontrer derrière l'exécutant...un homme. Ce me fut un grand privilège de rencontrer l'œuvre du peintre Hassan Bouhia dont la trajectoire artistique de fit hors du commun. Certes Hassan Bouhia, ingénieur TP de haut niveau, à toujours peint et s'est adonné au dessin depuis sa prime jeunesse, mais il n'y avait en lui aucune intention d'aller vers le public sinon il fait partager sa passion à quelques amis et ce n'est qu'a partir de 2007 qu'il expose à Laâyoune à l' occasion de l'anniversaire de la Marche Verte. C'est à l'occasion de l'exposition d'une collection de paravents contemporains sous l'égide du Ministère de la Culture à Meknès, Rabat puis Casablanca qu'il prit conscience que sa technique si particulière en s'intéressant à ce nouveau support, (il se plaisait à tracer des lignes noires sur une surface blanche dont il avait inventé la craquelure en laissant sécher une forte couche de matière au soleil), pouvant prendre un relief particulier et convenir à ce meuble/ peinture posé par terre et peu exploité. Il réalisa donc un paravent qui fut exposé pour la première fois à Meknès puis dans le foyer du théâtre Mohamed V à Rabat en décembre 2011. Remarqué par la critique et cité comme le seul peintre pouvant se réclamer du mouvement musicaliste (article du 2 Novembre 2012 dans l'Opinion) ce mot « musicaliste » retint l'attention de Didier Vallens neveu du peintre Henri Valensi, qui attendait une opportunité pour relancer l'œuvre de son oncle qui fonda en 1928 avec le Tchèque Kupka et les peintres Picabia et Marcel Duchamp le célèbre mouvement et en rédigea la charte. Très rapidement, Didier Vallens organisa le 14 décembre suivant une réunion très parisienne, à laquelle fut invité Hassan Bouhia, et qui eut un grand retentissement. La réunion attira l'attention du conservateur des collections contemporaines du Centre Pompidou présent à cette manifestation, et qui, séduit, réserva à l'œuvre de Valensi ainsi redécouverte une salle particulière dans le cadre d'une exposition intitulée Modernités plurielles de 1905 à 1970 ( qui dura jusqu'au 26 janvier 2014). Accompagnant cette exposition dans l'exposition, un catalogue sur l'œuvre d'Henry Valensi a été publié par l'Association des Amis de Valensi sous la plume de Marie Talon ; on y lit dans l'introduction : « Daniel Couturier témoigne de la longévité du musicalisme. Daniel Couturier, qui défend l'œuvre du peintre Marocain Hassan Bouhia écrivit que ce dernier est bien le continuateur du mouvement musicaliste de Valensi », ajoutant : « pour célébrer le centenaire de la naissance de ce mouvement artistique majeur (section d'or) qu'aucune galerie ou institution n'avaient eu l'idée et les moyens de prendre en charge et que la presse marocaine mobilisée par Hassan Bouhia et Daniel Couturier a contribué a célébrer dignement. Voilà un beau compliment parisien ! ». C'est dire l'importance pour le Maroc de l'œuvre du peintre Hassan Bouhia, qui trouve là-même une notoriété reconnue, s'appuyant sur le contexte d'une exposition prestigieuse et de renommée mondiale. Une œuvre que l'on appréhendera désormais et maintenant avec un tout autre regard. Intéressante l'attitude de l'ingénieur vis-à-vis de l'architecture ! C'est ainsi que Tannis Xénakis, collaborateur de Le Corbusier vit une relation étroite entre la musique et l'élaboration sur plan d'un bâtiment, écrivant : « J'ai eu la surprise de constater que la manière de Le Corbusier abordant les problèmes était comparable à ce que je faisais moi-même comme musicien ». L' ingénieur qu'est Hassan Bouhia en avait eu l'intuition. Mais cette fulgurante reconnaissance, si elle combla l'artiste, entraîna l'homme dans une phase d'excitation puis de doute de lui-même. Découvrant les crayons feutres et disposant par là-même d'une infinité de coloris, Hassan Bouhia se mit à dessiner avec une frénésie d'une intensité étonnante, produisant plusieurs dessins par jours jamais semblables et dont l'infinité de combinaisons révélaient bien la capacité imaginative de leur auteur. « Il y a, écrivit Charles Bendoin, une énergie psychologique ... ; nous avons des tendances personnelles se déplaçant, se clarifiant, s'obscurcissant, voyageant de la conscience à l'inconscience et se manifestant par des effets. L'intelligence façonne les choses à son image et elle les garde véridiques. Elle n'en prend qu'une idée qui lui est propre et ne saurait prétendre ni à la découvrir dans le principe ni à l'ordonner dans un cadre définitif, l'homme tient dans le monde une place à part qui le restitue à son mystère. » Dans toute cette période, Hassan Bouhia se plut à envoyer chaque jour par mail à tous ses amis et amateurs le fruit de ses travaux, cherchant à faire partager sa passion. L'être s'accroît surtout de ce que lui apporte la vie courante et l'on sait que la condition première du progrès de la pensée est l'exercice de la pensée à ce qu'il se vouait à faire. Mais, en s'exerçant ainsi journellement, l'artiste cherchait aussi le geste mécanique lui laissant la liberté et l'imagination, mais aussi le réduisant à lui-même, à son présent, à ses besoins. Voyant ainsi ses forces spirituelles se tarir, alors surgit le doute qui arrive lorsque l'esprit s'abandonne. André Masson dans « Plaisir de peindre » a écrit : « La démesure a deux manière de s'exprimer, l'une conduit au vague, à l'évasif, l'autre à la pure et simple incertitude, c'est cette incertitude qui vient frapper l'artiste et annihiler son vouloir de peindre, qui se voit avec angoisse devenir solitaire et désemparé. » C›est-à-dire aussi qu'il n'y a d'inquiétude que religieuse puisque celle-là seule met en question la destinée totale de l'être, et là aussi je suppose qu'Hassan Bouhia se vit confronter à cette inquiétude-là. A la suite d'un voyage en Afrique Centrale où il découvrit une autre manière de vivre, un autre graphisme qui l'influença un temps, du jour au lendemain cessèrent passion et frénésie pour laisser la place à un long silence. L'automatisme à la longue ne peut qu'être dissolvant, si inconsciemment le peintre le prend pour une fin. La matière a sa résistance, et croire qu'on peut la vaincre, c'est la nier, cela aboutit à la mystification de soi et lorsqu'on s'en rend compte force est de constater qu'on se trouve dans une impasse désespérante...Hassan Bouhia s'est alors interrogé sur le but de l'action impérative du fait de peindre. L'homme en est là, reprenant son souffle, rééquilibrant sa vie d'ingénieur se cherchant un compromis satisfaisant entre travail et art. Il a compris qu'il serait dur de vivre sans le secours d'un scepticisme indulgent. Parmi tant d'heures qui semblent perdues à se voir s'épanouir dans l'art, il en est une où la vibration des formes et des couleurs, l'harmonie infinie des rapports entre tout ce qui est, va apparaître, et c'est de vouloir fixer le souvenir de ce nouvel enchantement que, rassurés, le peintre et l' homme vont de concert nous recompter une belle histoire, exprimer à partir de la matière ce qui suffit à la joie des yeux, et à la barbarie d'une société éprouvante substituer un ordre humain que la religion chez l'artiste sublimise.