Les abattoirs de Casablanca viennent de livrer au grand jour le contenu de leur organisme au terme d'une opération de contrôle et d'évaluation menée par la Cour régionale des comptes de cette ville qui en a disséqué la gestion déléguée pour découvrir les maux dont ils souffrent longtemps contenus dans leurs chambres froides. Les enjeux sont grands, en particulier pour la santé des consommateurs face aux nombreux risques de contamination que recèle cette gestion et les pratiques d'abattage qui font fi des normes d'hygiène et mélangent tâches sales et tâches propres, ignorent celles de sacrifice, de saignée et de dépouillement. Sans oublier les relents pestilentiels, des tuyauteries défectueuses, des fuites récurrentes d'ammoniac en stagnation des eaux et des déchets. Autant d'éléments qui entretiennent des foyers d'infection au grand péril du consommateur. Selon la Cour régionale des comptes de Casablanca (CRCC), les abattoirs de Casablanca ont été réalisés en 2000, avec un coût d'environ 70 MDH. Ils s'étendent sur une superficie de 8,7 hectares, avec une capacité de production annuelle de 79.000 tonnes. Leur gestion a été déléguée à la société GVBM en 2002, puis à la société UNLÜER en mai 2008 après le désistement du premier délégataire. La clôture de la gestion déléguée des abattoirs confiée à l'ex-délégataire GVBM, en vertu du contrat signé en 2002 et de son avenant du 16 mai 2007, soulève les observations suivantes : La commune urbaine de Casablanca n'a pas pris les mesures nécessaires, en tant que délégant, en vue d'amener l'ex-délégataire GVBM à respecter son engagement de constituer une caution personnelle et solidaire dans la limite de dix millions de dirhams et une retenue de garantie de 25 %, plafonnée à trois millions de dirhams, des rétributions variables prévues pour les activités principales (article 27). En effet, elle n'a pas procédé à l'application des dispositions relatives à la déchéance en cas du non-respect des clauses de la convention et de ses annexes (article 34). L'ex-délégataire GVBM a constitué au profit du délégant une caution bancaire de cinq millions de dirhams destinée à couvrir la garantie complémentaire et supplétive. Cependant, la mise en jeu de cette garantie n'a pas eu lieu, à cause de la non présentation à la banque concernée du rapport d'expertise précisant les dommages subis. L'article 25 de la convention prévoit la constitution d'une provision de 0,12 dirham par kilogramme de viande, destinée à financer les travaux de maintenance et l'achat des pièces de rechange. Cette provision est placée dans un compte dénommé « Fonds de réserve ». Ce compte génère des intérêts et ne peut être mouvementé qu'après l'accord du délégant. Toutefois, durant la période de l'ex-gestion déléguée, le délégant n'a pas défini les modalités de gestion de ce compte et n'a pas présenté le compte de son emploi. De même, elle n'a pas pris à temps les diligences nécessaires en vue d'amener l'ex-délégataire à verser le solde du compte, comme stipulé par la convention. En effet, les recettes estimées de ce compte s'élèvent à environ 13 MDH, selon les tonnages réalisés entre 2003 et 2007. Dans ce cadre, le délégant a affirmé qu'il a saisi le tribunal compétent qui a rendu son jugement et qui condamne la société GVBM à lui verser la somme de 15 MDH. L'avenant du 16 mai 2007 de la convention a prévu la poursuite de l'ex-gestion déléguée jusqu'au 17 mai 2008. Cependant, la commune a repris la gestion directe des abattoirs en date du 06 mai 2008 (lettre du 13 mai 2008 adressée à la commune par la société GVBM). Toutefois, la commune ne dispose ni des données ni des pièces justificatives relatives aux recettes réalisées durant cette période. L'examen des documents non officiels tenus par le caissier a révélé que ces recettes s'élèvent à environ 1,14 MDH. Contrat de gestion : Dispositions contraires à la réglementation Le contrat de gestion déléguée des abattoirs de Casablanca est composé de la convention de gestion déléguée, du cahier des prescriptions spéciales (CPS) et de leurs annexes. Toutefois, ces documents soulèvent les observations suivantes : - Absence de l'annexe n°2 relatif à l'inventaire des équipements et aux plans de recollement et notices, bien qu'il soit prévu par l'article premier de la convention ; - Imprécisions des dispositions de l'article 30 du CPS relatif à la définition du régime juridique des biens ; - Absence d'éléments permettant d'apprécier l'équilibre économique et financier du contrat. En effet, le contrat de gestion déléguée ne contient ni le compte d'exploitation prévisionnelle ni le programme prévisionnel d'investissement et d'entretien. L'article 7 du CPS stipule que le ressuage des carcasses doit être effectué pendant quatre heures à une température de 10°C. Cette clause est contraire à l'arrêté du 28 septembre 2012 du ministre de l'agriculture portant cahier de prescriptions spéciales, fixant les conditions sanitaires, hygiéniques et d'équipements auxquelles doivent satisfaire les abattoirs d'animaux de boucherie. En effet, les viandes fraîches doivent être refroidies immédiatement après l'inspection post-mortem. Elles doivent aussi être maintenues en permanence à une température à coeur égale ou inférieure à plus 7°C pour les carcasses et à plus 3°C pour les abats. Les viandes et abats ne peuvent quitter l'abattoir avant d'avoir atteint ces températures. Dans le même sens, l'alinéa premier de l'article 36 du CPS stipule que le soumissionnaire doit constituer un cautionnement provisoire sous forme de chèque ou caution bancaire. Or en vertu des dispositions de la loi 15.95 formant code de commerce notamment son article 316, le chèque ne peut être un moyen de cautionnement ou de garantie. Les normes de sacrifice, de saignée et de dépouillement non respectées Les activités principales d'abattage couvrent les opérations depuis la réception des animaux jusqu'à la remise des carcasses aux usagers (réception, stabulation, abattage, égouttage, dépouillement la fente des carcasses, pesée fiscale, pré-refroidissement, stockage des carcasses, mise en quartier et remise aux usagers). La réalisation de ces activités soulève les observations suivantes : Les opérations d'abattage sont exécutées en série continue sans séparation entre les tâches sales de celles propres. Les opérateurs se déplacent librement de la zone d'abattage ou de dépouillement vers celle de l'éviscération ou de la fente des carcasses voir même des frigos. En outre, aucun dispositif de désinfection entre les zones sales et celles propres n'est prévu, ce qui enfreint les dispositions de l'arrêté du 28 septembre 2012 du Ministre de l'agriculture. De même, le local réservé à l'abattage d'urgence n'est pas suffisamment aménagé et n'est pas équipé de bascule et du dispositif d'accrochage des abats Au niveau de l'abattoir des équins, camelins et porcins, la chaîne industrielle d'abattage se trouve hors service et n'a jamais bénéficié d'entretien. Les deux triperies existantes ne sont pas opérationnelles, les abats sont mis dans des chariots ou des fûts en plein air en attendant leur récupération ou leur évacuation. Aussi, la quasi-totalité des équipements sanitaires sont dégradés et mal entretenus. La prise en charge des animaux n'est pas obligatoire et systématique. En effet, les bêtes réceptionnées tardivement passent directement à l'abattage. De même, la capacité des locaux de stabulation des bovins reste insuffisante surtout pendant les jours d'affluence (mardi et jeudi). L'abattage et le dépouillement des ovins se pratique de manière traditionnelle sous le prétexte que les box de contention et les arraches cuir ne sont pas adaptés. Aussi, le délégataire procède au diversement direct du sang dans les égouts liées au réseau public d'assainissement, ce qui enfreint les dispositions de l'article 7 du CPS. De même, le lavage, le traitement et l'expédition des abats s'effectuent au niveau de la même zone et sur la même table ce qui présente des risques de contamination. Relents pestilentiels, tuyauterie défectueuse, fuite d'ammoniac et stagnation des eaux et des déchets L'exiguïté des plates-formes de travail réservées aux services vétérinaires ne permet pas la réalisation des inspections post-mortem par les services vétérinaires dans des conditions convenables, d'autant plus que la fente des carcasses en deux demi-carcasses n'est pas généralisée. Le délégataire n'a pas investi en gestion informatique du processus d'abattage. Il s'est limité à l'exploitation des applications informatiques installées par l'ex-délégataire (édition des codes barre, pesée fiscale et facturation). En outre, ces applications ne s'inscrivent pas dans un système informatique intégré et ne permettent pas le transfert des données. Dans le même sens, le délégataire ne procède pas à la sauvegarde et au traitement des données relatives à la pesée fiscale à l'aide du système informatique intégré, en vue de dégager le poids servant à la liquidation des droits à payer. En effet, ces données sont transmises au service de la facturation à l'aide d'une clé USB, ce qui risque d'entacher leur fiabilité et sincérité. Ces insuffisances engendrent des discordances entre le poids fiscal net devant être facturé et celui réellement facturé. A titre illustratif, l'écart négatif estimé entre ces deux poids s'élève à 11.869 kg pour les bovins en 2013. Les abattoirs ainsi que les chambres froides dégagent des odeurs nauséabondes à cause de l'insuffisance du réseau d'assainissement et de la stagnation des eaux et déchets de saignée et d'abattage au niveau du sol. Dans ce cadre, le délégataire ne dispose pas d'un plan de nettoyage et de désinfection approuvé par le service vétérinaire et ne tient pas les registres des opérations de nettoyage et de désinfection, ce qui enfreint les dispositions des articles 21 et 23 du CPS. Dans le même sens, il n'a jamais effectué les analyses et les contrôles microbiologiques prévus par l'article 21.3 du CPS. La station d'épuration et de traitement des déchets des abattoirs se trouve hors service depuis plus de 12 ans. Cette situation porte atteinte à l'environnement eu égard à la nature des déchets produits caractérisés par une forte concentration des matières polluantes (DBO, DCO et les MES). Le déversement direct de ces déchets a suscité des réactions de la part de la LYDEC sur les dangers encourus sur l'environnement et la salubrité publique. Dans le même sens, l'activité d'incinération des déchets ne respecte pas les normes prescrites par la loi n°28.00 relative à la gestion des déchets et leur élimination et son décret d'application n°2.12.172. La commune a pris en charge les dépenses de consommation de l'eau et de l'électricité des abattoirs relatives à la période du mois de mai 2008 au mois d'août 2011. Ces dépenses s'élève à 19,16 MDH. En plus, le délégataire a comptabilisé ce montant, en toutes taxes comprises, en tant que charge dans sa comptabilité. Cette situation va, d'une part, à l'encontre des dispositions de l'article 27 du cahier des charges qui stipule que les produits de consommation énergétique (eau, électricité et gasoil) et d'entretien des équipements et installations sont à la charge et aux frais du délégataire, et d'autre part, du code général des impôts et de la loi 9.88 relative aux obligations des commerçants qui prévoit la comptabilisation des charges et produits en hors taxes. Le diagnostic de la tuyauterie effectué le 03 juillet 2012, par un laboratoire métallurgique agrée, a constaté l'état avancé de dégradation du réseau de tuyaux transportant l'ammoniac pour les chambres froides à cause de la corrosion, ce qui entraîne des fuites récurrentes d'ammoniac (entre cinq et six fois par semaine). Aussi, l'abattoir indépendant dédié à l'abattage des espèces équines, cameline, asine et porcine, est marqué par l'état délabré de ses équipements. Le délégataire se sert des équipements de cet abattoir comme source de pièces de rechange. Insuffisance de justification de fournitures de services et de travaux Les travaux de construction d'une nouvelle chambre froide et d'un marché aux tripes ont fait l'objet de deux marchés conclus à des prix forfaitaires d'environ 12,36 MDH (10,06 MDH et 2,30 MDH). Cependant, les coûts effectifs de réalisation de ces deux ouvrages ont dépassé les 13,01 MDH. L'architecte chargé du suivi des deux marchés a perçu des honoraires de l'ordre de 1,07 MDH au lieu des 780.831,90 DH prévus par le contrat d'architecte. La réalisation du marché aux tripes a fait l'objet d'une augmentation de l'ordre de 96.000,00 DH sans préciser son objet. En plus d'une augmentation insuffisamment justifiée de l'ordre de 347.250,44 DH. De même, le délégataire a payé deux montants, l'un de 44.676,98 DH relatif à des approvisionnements en bois de différentes natures (HETRE SIPAD, ROUGE NORD, SAPPALI...) et l'autre de 62.664,00 DH relatif à l'achat de marbre, alors que la chambre froide ne comprend pas ces matériaux. Il a payé aussi un montant de 67.898,11 DH à ses fournisseurs habituels pour la fourniture des rouleaux d'étanchéité durant les mois d'octobre et novembre 2010, avant même le démarrage du projet qui n'a eu lieu qu'en 2011. Dans le même sens, le CPS de la chambre froide n'a pas prévu les travaux d'assainissement, ces derniers ont été menés par le délégataire sur la base d'un plan d'architecte. A ce titre, le linéaire du réseau estimé par l'architecte à 105 ml ne coïncide pas avec celui facturé par l'entreprise à savoir 240 ml, à 300.000,00 DH. Sachant bien que le délégataire ne dispose ni de devis ni de bon de commandes ou descriptif suffisamment détaillés et permettant d'apprécier les caractéristiques et la consistance des travaux réalisés. Le délégataire a effectué plusieurs paiements destinés au financement des travaux d'investissement, de renouvellement, d'entretien et de maintenance. Toutefois, les investigations réalisées sur place ont révélé que ces travaux ne sont pas toujours consignés dans le journal servant de base à la traçabilité des interventions, et les factures y afférentes ne sont pas appuyées des bons de commande, de livraison et de réception. En outre, l'examen de la matérialité a montré que certains de ces travaux n'ont pas été effectivement réalisés au niveau des abattoirs. Discordance entre le CA comptabilisé et celui déclaré aux impôts Le délégataire est soumis au régime des encaissements, suivant une déclaration mensuelle de la TVA. Dans ce cadre, la comparaison des déclarations de la TVA relatives à la période 2009-2013 avec les données comptables a révélé l'existence de discordances entre les Chiffres d'Affaires. Les exemples suivants sont donnés à titre d'illustration : - Le CA réalisé en décembre 2009 est 893.016,18 DH, alors que celui déclaré n'est que de 727.048,10 DH ; - Le CA réalisé en avril 2011 est 3.299.716,11 DH, alors que celui déclaré n'est que de 1.799.716,40 DH ; - Le CA réalisé en janvier 2012 est 3.278.063,77 DH, alors que celui déclaré n'est que de 2.078.063,77 DH ; - Le CA réalisé en août 2013 est 3.936.697,33 DH, alors que celui déclaré n'est que de 2.736.697.33 DH ; - Le CA réalisé en septembre 2013 est 3.600.639,41 DH, alors que celui déclaré n'est que de 1.200.639,41 DH. Paiement de l'IS et déclaration des droits dus à la CNSS non réguliers En 2010, le délégataire a déclaré un résultat fiscal de 10.868.350,00 DH correspondant à un impôt sur les sociétés de l'ordre de 3.230.350,00 DH. Le délégataire a payé la somme de 439.500,00 DH au titre d'acomptes provisionnels. Toutefois, le reliquat (2.821.005,00 DH) qui devait être payé au plus tard le 30 mars 2011, demeure encore impayé (situation au 31 décembre 2013). Les droits dus à la CNSS des mois d'octobre et novembre 2011 (171.239,84 DH et 174.215,84 DH) et du mois de septembre 2012 (194.041,23 DH) n'ont été payés qu'en mars et septembre 2013. Ceux de septembre et novembre 2013 demeurent encore impayés (situation au 31 décembre 2013).