La question qui revient à l'esprit chaque fois qu'on parle du drame des émigrants africains qui périssent dans la mer est la suivante : pourquoi risquent-ils tout à la fois, y compris leur vie, uniquement pour fuir leur continent, pourtant un continent finalement mis sur bon orbite depuis une décennie, grâce à sa trajectoire ascendante ? Femi akomolafe dissèque cette contradiction avec la référence spécifique à la réalité de ces émigrants sur le terrain, une fois parvenus à atteindre les soit-disant « pâturages verdoyants »de l'étranger. Nous entendons beaucoup parler de la rapidité déconcertante avec laquelle les économies africaines se développent. Cela vient du fait que parmi les dix économies mondiales qui connaissent une croissance très rapide sept se trouvent en Afrique. Pourtant, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, les gouvernements, les institutions _ nancières et les opérateurs économiques ont le mal de mer à sortir du puzzle qui leur est imposé par le dilemme de l'émigration. Beaucoup d'africains parlent avec un air savant de schémas et _ gures macroéconomiques, usant d'un jargon scienti_ que avec enthousiame et beaucoup de _ èrté. Mais la réalité est palpable puiqu'elle est tout à fait autre chose que ce que l'on prétend admettre. Comme l'Afrique demeure le continent doté d'immenses richesses minérales, le paradoxe se pose en ces termes_: pourquoi un continent qui est sur une bonne trajectoire ascendante compte un nombre considérable d'individus qui cherchent à le fuir pour aller refaire une nouvelle santé_ailleurs ? Et pourquoi cette émigration extrêmement dangereuse par la voie maritime s'intensi_ e-t-elle ces derniers temps_? L'Organisation internationale de la migration a révélé qu'entre mai et septembre 2014, plus de 3000 aspirants à l'émigration se sont noyés dans les eaux froides de la Méditerranée. Beaucoup d'entre eux sont des africains. L'organisation a estimé que le nombre enregistré de morts au cours de cette année dépasse de quatre fois celui de l'année précédente. Aussi hyperpolique que cela puisse paraître, Joseph Muscat, le Premier ministre Maltais, a décrit la Méditerrannée comme étant un cimetière. Au cours des deux décades passées, on estime à 20.000 le nombre des disparus par noyade et naufrage en Méditerrannée, alors qu'ils essayaient de la traverser pour atteindre les pâturages verdoyants d'outre-mer. Et comme toujours, la majorité des regrettés fussent des africains. L'une des tragédies les plus atroces fut celle du mois d'octobre 2013 au large de l'île italienne Lampedusa, quand 360 africains, principalement venus de l'Eritrée, de la Somalie et du Ghana, ont trouvé la mort au cours d'un épisode épouvantable transmis en di_ éré par les médias. Mais ces morts tragiques ne concernent pas que la Méditerrannée. Personne au monde ne peut savoir le nombre de tragédies qui se déroulent loin de la scène Méditérranéenne, notamment celles qui se produisent lors des tentatives échouées à vouloir traverser le grand désert saharien pour se rendre au Nord de l'Afrique. Qu'est-ce qu'il y a d'attrayant en Europe qui n'existe pas en Afrique_ ? Et de quoi rêvent au juste ces émigrants malheureux une fois parviennent-ils à traverser la Méditerranée_ ? Quelle réalité décevante trouvent–ils une fois sont-ils de l'autre côté de la rive_? On n'exagère pas et on n'invente rien en disant que ce qu'ils trouvent et expérimentent et rencontrent en terre européenne est encore pire que ce qu'ils tentaient de fuir. Car cette Europe là n'o_ re pas ce paradis terrestre dont ils ont entendu parler. L'exemple Ghanien Pour beaucoup de ghaniens, le manque de travail est la raison principale qui motive la population hautement quali _ ée à aller chercher une opportunité en Europe. Pourtant, le gouvernement ghanéen ne recule devant rien pour renforcer les succès économiques du pays. Beaucoup de Ghaniens ont déjà péri d'une manière douloureuse et d'autres vont certainement mourir au cours de leur aventure de traversée du sahara ou de traversée de la mer à la quête d'un simulacre de travail mirage qui n'existe nulle part. Il y a trois ans, une maison allemande de tournage de _ lms documentaires avait présenté l'histoire d'un émigrant ougandais aux Pays Bas nommé Ssuuna Golooba. Le docummentaire bâptisé «_Une surprenante Europe_»_a été par la suite repris par la chaine qatarienne Al Jazeera qui l'avait présenté en séries. Ssuuna était un photographe dans un journal ougandais, qui attrapa le virus de l'aventure et quitta son travail et son salaire enviable pour aller se rendre en Hollande, avec l'espoir de se refaire une vie beaucoup plus heureuse que la vie relativement heureuse qu'il menait en Ouganda. Au bout du compte, il n'a pas rencontré ce qu'il espérait trouver et ne pouvait travailler qu'occasionnellement. Des travaux qui ne correspondaient nullement à sa formation, son savoir-faire et son intelligence. Comme tous les immigrants que le docummentaire n'évoque pas, Ssuuna était continuellement inquiet d'être arrêté par la police et expatrié par la force vers son pays d'origine. Ce qu'il gagnait à partir de son travail de nottoyeur de toilettes dans les places publiques et commerciales ne lui su_ sait pas à faire face à tous ses besoins vitaux. De l'autre côté de la mer, sa famille en Ouganda qui le voyait d'un autre oeil, lui demandait de l'argent et comptait beaucoup sur lui. «_Une surprenante Europe_ » a merveilleusement mis l'accent sur le combat terri_ ant de ces immigrants africains qui s'aventuraient dans la jungle européenne. Le documentaire révèle des scènes inédites qui jettent la lumière sur tous les e_ orts consentis par les aspirants à l'émigration pour obtenir ce VISA salvateur_! L'une de ces scènes montre des aspitrants à l'émigration évoquant Dieu dans les églises, le priant, l'implorant et le conjurant de leur ouvrir la porte de l'Eden européen. Ce qui est encore plus surprenant que cette «_surprenante Europe_» que le _ lm a mise en lumière c'est que suite au sacre de ce portrait troublant de l'immigrant Ssuuna, qui a incarné la vedette dans ce _ lm documentaire hallucinant, les leçons et conseils véhiculés par le documentaire n'ont trouvé ni bon oreille ni bon écho ni résonance parmi tous les aspirants à l'émigration qui continuent de croire que l'Europe est le nirvana de la prospérité. Des étudiants de l'Université de Makerere interviewés en début du documentaire se sont exprimés cordialement et sans ambages, précisant que rien ne les arrêterait de poursuivre leur rêve d'aller en Europe tenter leur chance. La même attitude fatale est très répandue parmi les jeunes au Ghana, pays natal de Femi Akomolafe, auteur et narrateur de cet article. 40.000 ghaniens vivent aux Pays-Bas, la plupart d'entre eux s'adonnent à des travaux de basse facture qui n'exigent aucune quali_ cation. Ils ont travaillé plusieurs années sans aucune vision d'avenir ou promesse de promotion. Leur argumentaire - comme celui de la vedette du documentaire Ssuuna Gooloba - tient absolument à cette promesse - infondée par ailleurs - de pâturages verdoyants qui _ eurissent de l'autre côté du monde et que cela vaut vraiment la peine de tenter l'intentable, quitte à succomber à leur tentation. Le pays a été grandement embarrassé durant la coupe du monde de football organisée au Brésil, quand 180 soit-disant supporters ont demandé le droit d'asile, se plaignant de persécutions à caractère politique. Persécutions politiques au Ghana_! Depuis lors, plusieurs ambassades se sont montrées désinteressées, refusant d'accorder des visas à ces supporters sportifs ghanéens. Le savaient–ils au moins ? Aux Pays-Bas - où l'auteur a vecu pour un temps - la lamentation commune dans les rangs des immigrants ghanéens était la suivante_: « si je le savais... j'aurais dû rester chez-moi_ ». Une fois les nuisances et les di_ cultés de la vie peuvent être supportées, avec un salaire minimal ou carrément sans travail, beaucoup d'immigrés se sont trouvés immobilisés dans leur situation, étant incapables de se procurer un ticket d'avion pour rentrer chez-eux. Bien sûr il y a aussi le cas d'africains hautement quali_ és comme celui des docteurs qui ont pris le chemin – eux aussi - vers les paturages verdoyants d'Europe, ou vers d'autres cieux, où ils gagnent beaucoup d'argent mieux que dans leurs pays d'origine. Abena Ofori, une in_ rmière cadre dans le plus grand hôpital du Ghana, à savoir l'hôpital Korli Bu à Accra, avait décidé de quitter son travail pour aller aux Pays-Bas tenter une nouvelle chance. Son mari était un architecte et son salaire n'était pas du tout mauvais. Elle avait décidé de partir parce qu'elle voyait les ghannéns résidant à l'étranger construire des maisons plus belles et plus coûteuses que la maison qu'elle habitait elle. Malgré les conseils prodigués par son mari et ses enfants, elle a démissionné de son poste et a pris le large. Après quelques mois de séjour à l'étranger elle a constaté que ses plans n'ont pas fonctionné comme elle les avait plani_ és et comme elle le souhaitait. Pire encore sa situation s'est compliquée et s'est détériorée. Elle n'a pas réussi à trouver un emploi en sa qualité d'in_ rmière cadre et elle était forcée de trouver d'autres moyens pour subvenir à ses besoins et pouvoir envoyer de l'argent à ses enfants restés au Ghana et aider son mari à construire une nouvelle maison. Elle a tenté de trouver toutes sortes de travaux et à sa surprise, elle a trouvé que beaucoup d'immigrées deséspérées à gagner de l'argent se sont impliquées dans la prostituion. Mais il s'est avéré que quinze ans après, Abena est toujours immigrée aux Pays-Bas, menant une misérable existence, se contentant de travailler comme assitante auprès de personnes vieillies et a_ aiblies. Après cinq ans loin de sa famille, son mari a divorcé et s'en est allé ailleurs. Ses collègues in_ rmières restées au Ghana ont vu leurs salaires revus à la hausse et ont béné_ cié de crédits généreux qui leur ont permis de construire de nouvelles maisons et de mener une vie digne de la classe moyenne. Totalement remise de son illusion, Abena se lamenta sur son sort et regretta le jour où elle a pris la décision de quitter son travail, ses enfants et son mari. Elle ne pouvait plus retourner au Ghana à cause de la honte qu'elle ressentait de retourner sans rien et pour rien. Le stigma attaché à l'échec de non intégration en Europe ou ailluers est très courant au Ghana. Le cas de Abena n'est pas isolé. Beaucoup de ghanéens ont abandonné leur travail moyennant un salaire raisonnable et ont dépensé un argent fou pour aller en Europe, où ils ne tarderont pas à découvrir la réalité choquante marquée par le non emploi et à a_ ronter des obstacles horribles comme ceux expérimentés par Abena. Sans mentionner l'insurmontable obstacle dressé par la langue et la di_ cile acclimatation au climat glacial, ainsi que le formidable obstacle à franchir pour obtenir le permis de séjour à l'étranger. Ajouter à toutes ces entraves surréalistes l'épreuve de la xénophobie à endurer. Et ne mentionnons pas ces situations a_ érentes à l'alimentation et aux petits plaisires de la vie que l'immigré considère comme une faveur dans son pays. Sur le papier en e_ et, les salaires de l'étranger paraissent satisfaisantes, plus particulièrement quand ils sont convertis en monnaie ghanéenne, le cedi. Mais dans la réalité européenne, il se peut qu'un fonctinnaire très astucieux prenne son temps à calculer ce que vous gagnez avec précision et ce dont vous avez juste besoin pour exister à peine. Après le loyer et les services publics, vous vous trouvez avec à peine de quoi mettre sur la table comme nourriture. Il y a peu à faire que de commencer à emprunter de l'argent pour équilibrer les deux bouts, avec le risque de voir les dettes s'accumuler. Avoir de mauvaises dettes ou un mauvais dossier de crédit en Europe est un cauchemar, d'autant plus s'il y a peu d'espoir à racheter la situation de sitôt. Prenant plus d'emplois ne fait qu'ajouter à sa peine. Pour une raison étrange, plus vous travaillez, moins vous avez dans votre poche. Les voyageurs aux Pays-Bas qui empruntent les trains le soir et pendant la nuit sont familiers avec la vue de Ghanéens sur le chemin de leur travail qui varie trop et qui s'accomplit même dans des heures étranges - y compris ceux qui travaillent comme femmes de ménage à l'aéroport de Schiphol et dans les gares. La plupart des femmes ghanéennes partagent leur temps entre le nettoyage des bureaux et celui de prendre soin de personnes âgées dans des maisons de retraite. Ces emplois mènent directement à leur aliénation et à leur mécontentement au _ l du temps. L'un des résultats les plus révélateurs de tel mécontentement est l'alcoolisme omniprésent. Cette situation est aggravée par de mauvaises habitudes alimentaires, occasionnées par les heures impaires du travail, et conduisant à des modes de vie très antihygiéniques et même à la mort. L'Afrique a d'abondantes richesses minérales. En tant que telle, de mauvaises politiques sont à blâmer pour avoir créé de la misère des Africains qui fuient leur continent et deviennent des réfugiés trans-continentaux. C'est exactement à quoi faisaient allusion les mots de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair pour qui le sort des migrants africains est une "cicatrice sur la conscience du monde". Mais plus encore, une cicatrice sur la conscience des gouvernements africains. Que vont-ils faire au juste ? Traduit du magazine englophone New african, n°541 Par Abdellatif Mouhtadi