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Emigration clandestine
Publié dans Finances news le 08 - 09 - 2005

A Tanger, on remarque de plus en plus de subsahariennes, candidates à l'émigration clandestine, mendier avec leurs bébés nés au Maroc. Cette évolution du phénomène ne passe pas inaperçue, mais ces mamans souffrent de l'indifférence des autorités et de celle des associations peu soucieuses du drame que vivent ces subsahariennes. Reportage sur place.
Il est 10h30 en ce jeudi premier septembre, jour du souk à Tanger. D'ordinaire, les subsahariennes envahissent les rues de la Medina. En effet, l'on constate ces derniers temps de plus en plus de femmes subsahariennes demandant l'aumône avec leurs bébés sur le dos. « Mamma, Papa », tels sont les deux mots qu'elles utilisent pour interpeller les passants. Leur nombre impressionne et les bébés en bas âge sont pour la plupart nés au Maroc. Auparavant, c'était plus des hommes en difficulté qu'on voyait dans les rues de cette ville.
Ce jour-là, les rues étaient presque vides. L'incident de Melilla a déclenché une vague de patrouilles. Le Maroc s'est fait durement tirer les oreilles par l'Espagne. Les policiers présents partout, même à la pente raide d'El Kabah, imposent un «couvre-feu». En ces temps d'insécurité et d'incertitude, les Subsahariens préfèrent s'éclipser que de risquer de se faire refouler ou lâcher en plein désert à la frontière entre le Maroc et l'Algérie.
On ne baisse pas les bras pour autant. La recherche continue à Souk Dakhil où les Subsahariennes, ou aâzious comme les Tangérois se plaisent à les appeler, tendent la main pour subvenir aux besoins de leurs bébés. Notre recherche s'avère infructueuse et compromise quand la chance nous sourit enfin, ou plutôt une jeune subsaharienne nous sourit à Souk D'Berra. Elle, c'est Rachel, une jeune femme qui a fui la guerre au Liberia avec son mari, il y a plus de deux années. Fuyant l'enfer des armes, elle trouve au Maroc l'enfer de la clandestinité.
Du rêve à la réalité !
Dépouillés, Rachel et son mari s'installèrent à Tanger dans l'espoir de travailler et de réunir assez d'argent pour payer un passeur. Un rêve qui tourne court, puisque personne à Tanger ne veut employer de clandestins. Leur seul recours restait de mendier, une chose à laquelle ils n'étaient pas habitués dans leur pays. Rachel a fait ses études jusqu'au secondaire avant que sa vie ne bascule à cause de la guerre au Liberia. Avec le temps, ils sont devenus trois puisque leur nid s'est égayé de la naissance de Fatima Zohra, il y a 7 mois. Rachel a accouché à l'hôpital Mohammed V et sa fille détient les documents de séjour. Mais cette naissance complique la situation du couple. Le mari décide alors de partir à Rabat chercher du travail, alors que Rachel s'installe à la place Toro à Tanger et continue à mendier près du marché au poisson avec son bébé sur les genoux.
Fatima Zohra attire la sympathie des gens. Habillée en bleu ce jour-là, l'enfant semble bien entretenue par sa mère qui explique que personne ne se soucie d'elle dans ce bled et qu'aucune association ne lui a jamais proposé aucune aide. Contacté par téléphone, son mari, s'exprimant dans un anglais impeccable, est désespéré. «Personne ne veut nous aider ou nous employer. Nous sommes arrivés au point de non-retour. On ne peut pas retourner au pays ni rester au Maroc puisqu'on risque d'être expulsé à tout moment ».
En effet, même si Fatim Zohra réside au Maroc de manière légale, si ses parents sont pris par la police, elle sera reconduite avec eux aux frontières. C'était le cas d'une jeune subsaharienne qui a été arrêtée par la police alors qu'elle était au terme de sa grossesse. Sous l'emprise des douleurs de l'accouchement, les autorités la conduisent à l'hôpital où elle accouche d'un garçon. Mais trois jours plus tard, la police vient la chercher pour la conduire à Oujda où elle sera abandonnée en plein désert avec son nourrisson. Un acte abominable qu'aucune association n'a dénoncé. Beaucoup de clandestins périssent en essayant de retourner au Maroc.
D'une misère à l'autre
On abandonne Rachel à ses occupations pour aller rencontrer d'autres mamans dans la même situation. Nos pas nous guident au quartier Houmat El Oued. Dans ces petites ruelles de l'ancienne Médina, les pensions pullulent, mais ce sont les immigrés nationaux qui y descendent. Depuis quelque temps, les Subsahariens sont interdits dans ces gîtes de fortune car ils ne détiennent pas de papiers d'identité. Toute dérogation à cette nouvelle donne peut causer des ennuis avec les autorités. Conséquences, les Subsahariens louent chez des particuliers. C'est le cas de Otega et de son épouse Bami respectivement âgés de 24 et 19 ans. Ils partagent le loyer avec des camarades d'infortune rêvant d'un Eldorado qui s'appelle Espagne.
Originaire du Nigeria, Otega est au Maroc depuis 2001 et, il y a plus d'un an, sa femme a mis au monde un petit garçon. Ils nous accueillent dans leur «maison». Sur trois étages, ce sont différentes nationalités qui cohabitent. Nigérians, Ghanéens, Tanzaniens... une dizaine de clandestins de ces pays logent dans cette maison avec un couple marocain qui a daigné les accueillir contre un maigre loyer. A l'intérieur de la maison délabrée, les meubles se font rares. Chaque chambre est occupée par un couple. Dans le hall s'entassent des bouteilles de cinq litres que les habitants de la maison utilisent pour chercher l'eau à la fontaine du quartier. Le sol est crasseux, les murs pleins de moisissures, les escaliers dans un piteux état.
Otega déplore l'insensibilité des Marocains à leurs problèmes. «Personne ici à Tanger ne veut nous donner du travail, donc pas moyen de régulariser notre situation et, en cette période, les routes vers l'Europe sont trop bien surveillées». Il déplore que les autorités marocaines ne fassent pas autant que leurs homologues espagnoles, c'est-à-dire ouvrir des centres d'accueil pour les clandestins et réfugiés et essayer de leur trouver des solutions. Il raconte que des cousins à lui ont choisi de rejoindre l'Europe via la Libye. La-bas, même si ces cousins n'ont pas pu émigrer, ils ont au moins pu trouver du travail de manière légale et ne risquent pas l'expulsion. Ce qui n'est pas le cas au Maroc.
Otega effleure encore le rêve de rejoindre l'Europe; ce qui n'est plus tout à fait le cas de Bami, sa femme. Elle réprouve l'idée d'exposer la vie de son fils, même si pour cela elle risque de retourner dans son pays. Elle désire vivre en paix; ce qui n'est pas garanti dans ce taudis qui peut connaître un jour ou l'autre une descente des forces de l'ordre.
Un risque partagé par un jeune du Ghana. Il n'a comme biens que de vielles couvertures et un désir fou de regagner l'Espagne. Il a quitté son pays dans l'espoir d'y retourner avec des papiers en règle et apporter de l'aide aux siens. Tirer sa famille de la pauvreté est devenue pour lui une cause pour laquelle il est prêt à sacrifier sa propre vie. « La-bas, je vivais mal, ma famille aussi. Ici, je me sens inutile. Je ne leur serai d'aucune aide si je reste ici. Au moins si je péris en voulant réaliser mon rêve, je suis sûr que j'aurais la conscience tranquille car j'aurais tout tenté ».
Mais actuellement, il reste les bras croisés par manque de ressources matérielles et à cause de la surveillance des côtes marocaines et espagnoles. Et même s'il réunit assez d'argent pour payer un passeur, il peut facilement être floué comme beaucoup de Subsahariens qui ont été victimes d'escroquerie.
Nous quittons cette maison hantée de récits les plus dramatiques et d’espoirs les plus fous de clandestins qui sont à la croisée de leur chemin : partir ou rester. Comme s'ils avaient vraiment le choix !
Quelques ruelles plus loin, à proximité d'un bazar, un couple subsaharien joue avec son enfant de près de deux années. Originaire de Sierra Leone, le couple est désespéré. «Notre enfant grandit et sera bientôt en âge d'aller à l'école. Alors plus vite nous trouverons une solution, mieux cela vaudra pour lui», nous explique le papa. Mais à l'instar des autres clandestins, le couple ne travaille pas et n'a d'autres ressources que l'aide d'un proche parent resté au pays et qui ne pourra certainement pas les aider éternellement. Le couple reste cependant très optimiste quant à une issue favorable à plusieurs années de galère au Maroc. Et quand bien même ils n'atteindront pas l'autre rive, ils regagneront tout simplement leur pays. «C'est très envisageable, raconte la maman, puisqu'il est préférable de retourner chez soi que de gâcher l'avenir de notre enfant ».
Existe-t-il une autre solution, envisagent-ils de rester au Maroc ? «J'aurais aimé que mon enfant n'ait pas à vivre ce que j'ai vécu chez moi, mais je veux encore moins qu'il vive la situation de clandestinité que j'ai dû subir avec sa mère. Une fois grand, il décidera le meilleur pour lui, si jamais nous retournons en Sierra Leone». Un retour qui rime avec échec, mais tant pis. Le couple s'est fait plusieurs amitiés dans cette ruelle, notamment un coiffeur qui est très compatissant, mais il ne peut leur être d'aucun secours, sinon d'atténuer leur solitude en discutant avec eux et en jouant avec leur enfant.
Des clandestins modèles
Contrairement aux Marocains candidats à l'émigration clandestine, les Subsahariens sont très appréciés. «Ils sont tranquilles, ne se disputent pas, ne volent pas et sont très respectueux vis-à-vis des gens», nous affirme un vendeur du coin.
Pourtant, dans l'imaginaire collectif, la lutte contre l'émigration clandestine consiste à pourchasser des clandestins subsahariens, souvent des hommes, qui ont franchi les frontières du Maroc de manière illégale dans l'ultime objectif de gagner l'autre rive. C'est en partie vrai.
Mais cette approche sécuritaire du Maroc, pris d'assaut par les immigrés et tancé par l'Europe pour ne pas être trop ferme dans le contrôle de son territoire, empêche de voir l'aspect humain de cette aventure périlleuse à laquelle se livrent les clandestins et d'évaluer son évolution dans le temps. Même si le phénomène ne date pas d'hier, au jour d'aujourd'hui, personne ne semble s'intéresser à la vie, ou plutôt la survie de ces gens en détresse qui triment depuis des années au Maroc en attendant l'occasion propice pour traverser le détroit. Quelle association ou organisation même mondiale a cherché à approcher les clandestins et à recueillir leurs témoignages sur un séjour forcé au Maroc alors qu'il était censé être un point de passage ?
En attendant l'occasion de rejoindre l'Europe, certains se sont donc installés en famille et ont même eu des enfants nés sur le sol marocain. Ce qui n'arrange en rien leur situation et accentue l'incertitude qui les hante.
Face à cette détresse, les pays les plus concernés continuent à adopter une position restrictive vis-à-vis de ce phénomène qui est en perpétuelle mutation. La méthode peu flatteuse adoptée par le Maroc pour pallier ce problème traduit fidèlement cette donne. Et ce sont les clandestins qui en payent les frais. Ne serait-il pas temps de voir les choses autrement et de trouver des solutions «humaines» à ce phénomène, quitte à demander des aides aux organisations humanitaires ?


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