Près de cinq mois après les élections législatives de juin, le Kosovo est enlisé dans la pire crise politique depuis son indépendance de la Serbie en 2008, une impasse qui fragilise le processus de normalisation de ses relations avec Belgrade et risque de déboucher sur un nouveau scrutin anticipé. Une imprécision dans la Constitution du Kosovo est à la base de ce casse-tête institutionnel. Celle-ci stipule certes que le parti arrivé en tête des élections législatives peut présenter un candidat au poste de président du Parlement. Mais aucun délai n'est mentionné, ni le nombre de tentatives et, surtout, la Constitution n'a pas prévu la possibilité pour l'opposition, même si elle est majoritaire comme c'est le cas actuellement, de proposer son candidat. Sans l'élection d'un président de l'assemblée, tout le processus de formation du gouvernement et d'autres institutions se trouve bloqué. Jouant sur cette Constitution maladroite, le parti PDK du Premier ministre sortant Hashim Thaçi, 46 ans, un ancien chef de la guérilla qui dirige le gouvernement depuis sept ans et a conduit son pays à l'indépendance, s'accroche au pouvoir que l'opposition réunie en coalition souhaite vivement lui ravir. «En raison de cette crise, le Kosovo perd toute ressemblance avec un Etat normal et se dirige lentement sur le chemin des Etats ratés», note l'analyste politique Belul Beqaj. En l'absence de tout compromis, «il n'y aura pas de solution sans une intervention (diplomatique) étrangère», a estimé M. Beqaj. Pour l'heure, à cette crise politique s'est ajouté un scandale qui éclabousse la Mission européenne de police et de justice (Eulex) au Kosovo, dont de hauts responsables sont accusés d'actes de corruption par une procureur britannique, Maria Bamieh. Cette mission, mise en place au lendemain de la proclamation d'indépendance, avait pour but justement d'enseigner la démocratie au Kosovo, de soutenir le système juridique kosovar et d'aider à édifier un Etat de droit dans le respect de la loi. Casse-tête constitutionnel et conséquences multiples Les conséquences du bras de fer institutionnel sont multiples. Pour accéder à la majorité, l'opposition, une coalition de trois partis, a dû rallier à sa cause le mouvement Vetëvendosje (Autodétermination) au prix de lui céder le dossier du dialogue avec Belgrade sur la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. Or Vetëvendosje est opposé à toute négociation avec la Serbie, ce qui menace la poursuite du processus de normalisation entre Pristina et Belgrade, marqué par un accord jugé «historique» conclu en avril 2013 sous la houlette de l'Union européenne. De plus, un incident survenu récemment lors d'un match de football entre la Serbie et l'Albanie à Belgrade et qui a viré à la crise politique entre les deux nations illustre la fragilité des relations entre Serbes et Albanais dans la région. Après cet incident, une visite historique, la première d'un chef de gouvernement de l'Albanie en 68 ans en Serbie, a été reportée de trois semaines, au 10 novembre, dans un climat de regain de tensions. L'absence d'institutions à Pristina affaiblit davantage les chances de poursuivre le laborieux processus de normalisation mais aussi l'application des accords conclus jusqu'à présent avec Belgrade. - Risque de nouvelles élections anticipées - Pour l'analyste Haki Abazi, M. Thaçi est le principal responsable de la crise au Kosovo. «Provoquer des crises est le seul moyen de gouverner qu'il (le pouvoir de M. Thaçi) connaisse. Les huit dernières années ont été caractérisées par une succession d'erreurs», a-t-il déclaré, estimant prévisible la tenue prochaine de nouvelles élections législatives anticipées. Pour leur part, des économistes notent que l'adoption du budget pour 2015 pourrait être compromise si la crise perdure, ce qui menace le paiement des salaires dans le secteur public. Le Kosovo est un des pays les pauvres d'Europe, avec un salaire moyen s'élevant à 350 euros et un taux de chômage de 35%. Près de la moitié de la population vit dans la pauvreté. «Un pays pauvre comme le Kosovo ne peut pas se payer le luxe d'organiser de nouvelles élections anticipées», a fait valoir M. Beqaj.