Qui pourrait parler des mères célibataires, une problématique des plus inextricables, liée surtout à la pauvreté, à la précarité et à l'analphabétisme, que Mme Aïcha Chenna ? Ce qui effraie Mme Chenna, c'est l'avenir de ces enfants, désavantagés dès la naissance, exclus eux et leurs mères de la société. Sa philosophie, confondue par certains avec l'encouragement de la prostitution, émane d'une réflexion profonde et sensée, imbibée par une grande expérience de terrain. Pour elle, si au moins les enfants restent avec leurs mères, il y aurait moins de dégâts, ils auront une sorte de port d'attache, un lien à qui s'identifier. Le pire, c'est quand cet enfant est rejeté par la mère et placé dans un orphelinat. Il aura toujours une double rancœur, envers ses parents qui n'ont pas su le garder, envers la société et le pays qui n'ont pas essayé de régler ses problèmes. Dans ce cas, il n'aura ni père, ni mère, aucune identité ni repère. Tel ce jeune homme de 21 ans, bien éduqué, qui avait confié un jour à Mme Chenna : « je suis éduqué et instruit mais je n'ai ni père ni mère, je suis comme un mort vivant, sans identité ». La société devrait laisser les enfants grandir avec leurs mères autant que possible. A l'exemple de ce qui se passait autrefois au Maroc, dans un autre contexte, quand les parents meurent, le reste de la famille prend la relève et se charge des enfants. Il parait qu'un vent d'égoïsme s'est installé dans notre société, dit-elle. Un enfant a besoin de savoir qui il est, d'avoir des repères, voire des attaches familiales, et sociétales. Certes, les bienfaiteurs se montrent généreux envers les enfants de l'orphelinat mais ne font aucun effort pour que l'enfant reste avec sa mère, et un jour, pourquoi pas, être reconnu par son père, ce qui résoudrait les trois quart des problèmes de ce genre. D'autant plus que les statistiques de l'UNICEF et de la ligue de protection de l'enfant montrent qu'entre 2003 et 2009 il y eut 153 naissances par jour déclarées en dehors des liens du mariage et que 24 bébés sont abandonnés par jour. A noter que ces cas recensés ne prennent pas en compte les filles célibataires qui se marient par « Al Fatiha » sans acte légal de mariage, situation où les hommes ne sont sous aucune contrainte (les caravanes de la Fondation Yttou en sont garantes), ni les hommes trop vieux (plus de 80 ans) qui épousent de jeunes filles et donnent naissance à plusieurs enfants dont la majorité se retrouve dans des orphelinats. Aïcha Chenna, afin de prévenir ces risques de mères célibataires, préconise de s'atteler à la sensibilisation et à l'éducation sociale, à l'éducation sexuelle et à l'éducation à la citoyenneté. Et qui dit éducation sexuelle dit apprendre comment fonctionne son corps et non la connotation : prendre la pilule ou autre. Côté légale, Mme Chenna déplore qu'aucun effort n'est fourni pour que le père reconnaisse sa paternité le laissant échapper ainsi à ses responsabilités, bien que la loi permette au père de reconnaitre son enfant sans avoir à se marier avec la mère. Le test d'ADN, le seul justificatif, est estimé coûteux. Seulement, le coût de l'analyse de l'ADN ne vaut-il pas le prix d'un enfant ? Autrement dit, si le père, après reconnaissance de l'enfant, le prend en charge, l'Etat n'aurait que l'embarras de financer sa scolarisation. Pour ce qui est des questions d'héritage et d'allocations, ces dossiers manquent de visibilité. Remédier au problème des femmes célibataires consiste à réfléchir ensemble et à élaborer des lois adaptées à nos propres problèmes, mais la législation à elle seule ne permet pas de régler ces difficultés. La société doit travailler avec sérénité et à) l'écart de toute récupération politico-politicienne, sinon on passe à côté des vrais problèmes. Pour ce qui est du thème choisi par l'ONU cette année qui est : « L'égalité pour les femmes, c'est le progrès pour toutes et tous », Mme Chenna spécifie que nous représentons la moitié du pays, ce sont nos enfants et nous leurs parents, ce sont nos femmes et nous leurs hommes, ce sont des hommes et nous sommes leurs femmes, ajoutant que même les associations les plus extrêmement féministes vous diront que l'on veut travailler avec les hommes si l'on veut qu'un changement s'opère dans la société. Le Maroc est devenu moteur par son exemplarité, estime-t-elle. On n'a pas que des défauts mais aussi des qualités. Les sociétés européenne ou américaine, celles qui mettent en suprématie les droits de l'Homme, ont encore des problèmes de ce genre au bout de deux siècles. Que ne serait-il au Maroc, au bout de nos 50 ans.