Une ambiance d'incertitude, doublée d'un sentiment d'inquiétude, s'est installée parmi la classe politique et l'opinion publique algériennes, à quelques semaines seulement de l'ouverture de la campagne de l'élection présidentielle du 17 avril prochain. Et pour cause: Un manque de visibilité quant aux intentions de l'actuel chef de l'Etat Abdelaziz Bouteflika -va-t-il briguer ou non un quatrième mandat?-, la vive polémique suscitée par les graves accusations portées par le leader d'un important parti contre le patron des services secrets, à côté d'une contestation sociale inflexible, qui perturbe des secteurs névralgiques et qui engendre des tensions aux conséquences imprévisibles, à l'image de la crispation communautaire dans la vallée du M'zab. Les déclarations et les sorties des différents acteurs sonnent comme une projection d'un malaise général, exacerbé par les craintes de débordement des luttes de pouvoir réservées jusqu'à récemment au domaine privé. En fait, les dissonances gardées minutieusement en secret se sont invitées au débat public, après l'attaque virulente du secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, parti présidentiel), Amar Saadani, contre le Département du renseignement et de sécurité (DRS). «Notre pays traverse la plus grave crise politique de son histoire, une crise plus grave que celle de l'été 1962, car, ce sont l'intégrité et la stabilité de l'Etat-nation qui sont cette fois visées». C'est Louisa Hanoune, Secrétaire générale du Parti des Travailleurs, qui donne le ton. Dans ce contexte, plusieurs voix se sont élevées pour demander au président Bouteflika de «sortir de son silence» pour mettre un terme aux dommages collatéraux occasionnés par l'envolée médiatique de M. Saadani, dont les remous n'ont pas encore fini de résonner. En plus de cette bravade qui fait couler beaucoup d'encre, avec une presse foncièrement hostile au dirigeant du vieux parti, c'est le flou entourant les projets du chef de l'Etat concernant le prochain scrutin qui enflamme tant ses partisans, qui voient en lui «le garant de la stabilité», que les opposants à sa candidature pour un nouveau mandat, qui assimilent cette vision des choses à un «chantage sécuritaire». Légalement, M. Bouteflika, très bientôt 77 ans, a jusqu'au 4 mars prochain pour se décider, soit 45 jours après la convocation du corps électoral. En dépit de ses multiples apparitions en train de recevoir des hôtes étrangers, les observateurs posent toujours des interrogations sur son état de santé, en convalescence depuis son évacuation, en avril 2013, en France pour une hospitalisation de près de trois mois à cause, officiellement, d'un «mini-AVC». A un certain moment, il y a un peu plus d'une semaine, la sphère politico-médiatique a cru au dénouement de cette affaire, lorsque le président du Rassemblement pour l'espoir de l'Algérie (communément TAJ) et ministre des Transports, Amar Ghoul, a fait état du retrait par le président Bouteflika des formulaires de candidature. Le Groupe pour la loyauté et la stabilité, nouvellement créé et composé de 31 formations politiques, «a entamé, samedi (2 février), l'opération de collecte des signatures en faveur de son candidat à l'élection présidentielle prévue le 17 avril prochain, le président Bouteflika», avait affirmé M. Ghoul désigné coordonnateur de ce collectif. Mais, quelque 24 heures après cette annonce solennelle, le ministre de l'Intérieur est venu refroidir les ardeurs: «Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, n'a jusqu'à présent adressé au ministère aucune demande pour le retrait des formulaires de souscription de signatures en vue de sa candidature à la présidentielle du 17 avril prochain». Ce faisant, certaines formations politiques ont choisi d'écourter le suspense en décidant tout bonnement de boycotter la prochaine consultation, les uns par conviction, comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), d'autres par calcul tacticien au gré des vents défavorables de la conjoncture, à l'image des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP) et d'Ennahda. Pour le président du RCD, Mohcine Bellabes, cette élection «n'est rien d'autre qu'une tromperie continuellement reproduite» car «le flou et l'opacité qui ont prévalu durant toute cette période sur la présidentielle d'avril 2014 est un signe de plus sur le refus de l'alternance». Le MSP avance, quant à lui, l'absence «des conditions d'honnêteté et de transparence», tandis que le mouvement Ennahda estime que le pouvoir a verrouillé l'action politique et «totalement fermé le jeu à l'approche de la présidentielle». Les rangs des partisans du boycott sont destinés à grossir dans les jours à venir, avec la décision attendue dans ce sens du Front des forces socialistes (FFS), puisque tout porte à croire que le parti de l'opposant historique Hocine Ait Ahmed, en exil volontaire en Suisse, opterait pour la chaise vide. Sauf que toutes ces formations ne devraient pas avoir droit de cité entre le 23 mars et 13 avril, en vertu d'une décision du ministère de l'Intérieur qui fait que les lieux publics seront exclusivement réservés à la campagne des candidats.