Les parties prenantes rencontrées par la Commission des Affaires Sociales et de la Solidarité (CPASS) du CESE s'accordent clairement sur la nécessité de principe d'actualiser la législation relative à la mutualité. Toutes soulignent le caractère ancien et de surcroît inappliqué du cadre normatif régissant la mutualité depuis un demi-siècle et affirment le besoin d'un cadre juridique rénové répondant à la nécessité de responsabiliser les acteurs et de renforcer les règles de gouvernance du secteur. La nécessité est unanimement reconnue de doter les mutuelles de procédures transparentes, qui garantissent la fiabilité de leurs règles techniques et financières de gestion et qui permettent de veiller à leur équilibre financier et à leur pérennité. De même, toutes les parties soulignent le besoin de veiller à l'amélioration de la qualité des services rendus par les sociétés mutualistes à leurs membres. Ces éléments constituent, en eux-mêmes, une précieuse prise de conscience collective de la nécessité de réformer le cadre d'action de la mutualité. Cette prise de conscience peut constituer une base solide pour la concertation et la conclusion d'un contrat collectif, entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, au sujet du contenu et des objectifs d'une réforme de la mutualité. Cet accord serait, avec la participation des organismes mutualistes, une puissante impulsion à réformer le statut de la mutualité. Cette démarche est d'autant plus souhaitable qu'il n'apparaît pas que des discussions approfondies aient eu lieu ni, a fortiori, que des convergences se soient dégagées, au sujet des finalités, de la portée et des dispositions techniques du projet de code de la mutualité entre, d'un côté, les départements ministériels auteurs du projet en question et, de l'autre côté, les parties prenantes, qu'il s'agisse de syndicats, de sociétés mutualistes ou d'institutions gestionnaires de l'assurance-maladie telles que la CNOPS ou la CNSS. Menaces de démutualisation Une parmi les critiques les plus vives, exprimée de façon récurrente par les parties prenantes contre le projet de code de la mutualité concerne l'absence d'une vision claire du rôle, du positionnement et de l'avenir du secteur mutualiste dans l'économie nationale et la société marocaine en général, et dans le secteur de la santé en particulier. Ce projet ne semble pas non plus avoir fait l'objet d'étude de ses impacts sur la pérennité des structures de soins et de services existants, et sur l'avenir du secteur de la mutualité. Ce projet apparaît, selon le point de vue exprimé par de nombreuses parties rencontrées par la Commission permanente des affaires sociales et de la solidarité (CPASS), comme un texte de circonstances. L'émotion suscitée parmi l'opinion publique par le scandale des détournements et les procès mettant en cause des dirigeants de certaines mutuelles et les dysfonctionnements constatées au niveau de la gestion d'autres mutuelles auraient manifestement pesé sur les termes de sa rédaction à partir de 2008, et ne seraient pas sans rapport avec l'accélération de son adoption par le gouvernement en 2010, avant qu'il fasse véritablement l'objet de discussions avec les différents partenaires. Sur le fond, ce texte présente en plusieurs points, que les parties prenantes jugent essentiels, des incohérences avec les principes fondamentaux de la mutualité et ne tient pas compte des acquis ni des mutations connues par l'environnement du secteur mutualiste marocain. Sont particulièrement critiqués: - les entraves à l'initiative mutualiste, du fait, notamment de l'instauration de procédures administratives contraignantes et de critères de constitution dissuasifs (effectif minimum de 5000 personnes, etc.) ; - les menaces de démutualisation: - l'interdiction de créer et de gérer des établissements à caractère sanitaire ce qui constituerait une régression par rapport aux réalisations de la mutualité et une orientation à contre courant des besoins de couvrir les déficits du pays en matière d'offre de soins (insuffisance voire inexistence de structures publiques et privées dans certaines localités), d'accès aux soins et aux médicaments (élimination de l'avance des frais au bénéfice des mutualistes membres des organismes gestionnaires de ces établissements) ; - le mode de gouvernance inspiré de la réglementation régissant les sociétés anonymes, faisant abstraction des règles de la gestion démocratique qui est l'un des principes fondamentaux et universels de la mutualité ; - le déséquilibre de l'architecture du texte du projet de code en détaillant à l'excès certaines dispositions coercitives ou limitatives (procédures administratives, conditions à remplir par un gestionnaire d'une mutuelle...) sans, à l'inverse, consacrer le même niveau de précision aux aspects qui constitueraient des leviers de développement de la mutualité (prévoyance, retraites complémentaires, assurances, etc.) ; - l'obsolescence du projet de code, compte tenu de : - la promulgation de la Constitution du Royaume du 1er juillet 2011 dont l'article 31 a institué pour la 1ère fois le droit d'accès aux soins de santé, à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l'Etat ; cette disposition questionne la pertinence des articles 2, 144 et 154 qui interdisent aux mutuelles et leurs unions, la création ou la gestion d'activités médicales ou paramédicales ; - le message de sa Majesté le Roi Mohammed VI aux participants ˆ la 2ème conférence sur la santé 1-3 juillet 2013 à Marrakech, qui a insisté sur « la nécessité de trouver les meilleurs moyens pour développer le secteur mutualiste comme outil de renforcement du financement solidaire de la santé et de réduction des inégalités pour un accès aux soins équitable » ; cette Haute orientation royale converge avec les exigences de l'article 31 de la Constitution ; - la recommandation 202 de l'Organisation Internationale du Travail sur les socles de protection sociale adoptée en juin 2012 par la 101ème session de la Conférence Internationale du Travail qui identifie les mutuelles comme une composante essentielle du socle de protection sociale indispensable pour atteindre la couverture médicale universelle et permettre l'accès aux soins de santé essentiels et aux autres services sociaux.