Le secteur de la mutualité s'est, de l'indépendance à nos jours, concentré sur le domaine de la santé. Son cadre réglementaire n'a pas favorisé l'éclosion de ce qu'on pourrait appeler un« tiers-secteur » économique, à caractère social et solidaire. Ce tiers-secteur, porté par des processus de financement et de gestion de type mutualiste, aurait pu constituer un contributeur positif au mieux-être social, en tant que levier additionnel de création de richesses et d'emploi, et en tant que pourvoyeur de services d'assurance de biens et des personnes, de crédits et de banque, de services aux personnes âgées ou en situation de handicap, ainsi que de couverture de santé de base pour les étudiants, les commerçants, les artisans et les professions libérales. Ces dimensions, insuffisamment explorées, continuent de représenter un important potentiel de développement pour le secteur mutualiste. L'évolution du cadre législatif et réglementaire relatif, d'une part, à la couverture médicale de base et, d'autre part, à l'exercice de la médecine a insuffisamment pris en compte, et semble même avoir négativement affecté l'activité mutualiste. Les textes pris pour instituer l'Assurance-maladie obligatoire de base et pour réguler l'offre de soins dans le secteur privé n'ont pas comporté de dispositions tenant compte des particularités sociales et de la contribution spécifique que les sociétés mutualistes apportent au dispositif national de couverture santé. Ainsi, la loi relative à la couverture médicale de base4interdit à un organisme gestionnaire de cumuler la gestion d'un régime d'assurance maladie obligatoire de base avec la gestion d'établissements assurant des prestations de soins définis au sens large. C'est manifestement ce principe qui a conduit à prévoir, dans le projet de code de la mutualité soumis à l'avis du CESE, l'interdiction pour les mutuelles de créer ou gérer des structures de soins. Or, cette interdiction est contestée par les mutuelles qui estiment, à juste titre, que les dispositions de l'article 44 de loi 65-00 ne les concernent pas. Les mutuelles du secteur public, qui sont de fait essentiellement chargées de la couverture médicale complémentaire depuis 2005, ne font qu'administrer pour le compte de la CNOPS, et sur la base d'une convention avec elle, les dossiers de maladies et les adhésions. Cette convention peut d'ailleurs être rompue à tout moment. L'assimilation de ces mutuelles à un gestionnaire de l'AMO n'est donc pas fondée. L'origine de cette confusion tient à l'évidence dans le changement du statut juridique de la CNOPS qui, alors qu'elle était une fédération de mutuelles de la fonction publique, a été transformée par la loi 65-00 précitée en «quasi établissement public» en charge de la gestion de l'assurance maladie obligatoire de base des fonctionnaires de l'Etat et des agents des collectivités locales et des établissements publics. La loi n° 03-07 ignorée Par ailleurs, la loi n°10-94 relative à l'exercice de la médecine et l'article 14 de son décret d'application n° 2-97-421 du 28 octobre 1997, qui réservent explicitement à des médecins la capacité légale de créer et de gérer des centres de soins et des établissements assimilés, semblent avoir produit sur le secteur mutualiste un effet d'inhibition. Depuis l'adoption de ces textes, les sociétés mutualistes existantes ont en effet cessé d'investir dans le développement d'infrastructures, d'équipements et de services à caractère sanitaire. L'adoption du projet de code de la mutualité tel qu'il est actuellement rédigé conduirait à la fermeture pure et simple des infrastructures et des services existants alors que l'accès aux soins au Maroc est encore très limité comme le précise le rapport du CESE sur les soins de santé de base. Cette fermeture constituerait une détérioration de l'offre et de l'accès aux soins. A l'inverse, un texte de loi, dont la mise en oeuvre est cruciale pour l'universalisation et pour l'équilibre du dispositif national de couverture de soins de santé, demeure largement inconnu et inappliqué. Il s'agit de la loi n° 03-07, promulguée par le dahir n° 1-07-165 du 30 novembre 2007, qui institue l'obligation de disposer d'une assurance-maladie obligatoire de base, soit auprès d'entreprises d'assurances et de réassurance, soit auprès de sociétés mutualistes, pour les travailleurs indépendants, les travailleurs exerçant une profession libérale, les gérants de société qui n'ont pas la qualité de salariés et les aides-artisans ainsi que pour les travailleurs à façon ou à la pièce. Ce texte complète, sur le plan des principes, le champ de la couverture médicale pour tous. Mais il ne s'accompagne pas de mesures opérationnelles garantissant sa mise en oeuvre. En l'absence de dispositif permettant l'organisation de la couverture médicale au sein d'organismes dédiés, à des prix accessibles, sans sélection et sur la base d'une gouvernance claire et régulée, le principe de l'obligation d'assurance-santé ne fonctionne pas spontanément. Pour être effectivement mise en oeuvre, cette législation suppose l'institution d'une caisse nationale ou de caisses professionnelles ou d'organismes mutualistes d'assurance maladie pour les catégories des travailleurs non salariés.