Un juge espagnol a inculpé mardi la fille du roi Juan Carlos, l'infante Cristina, pour fraude fiscale et blanchiment de capitaux présumés, ouvrant une année noire pour une monarchie affaiblie par les scandales et les ennuis de santé du souverain. C'est la première fois qu'un membre direct de la Famille royale est touché par l'enquête pour corruption qui vise Iñaki Urdangarin, l'époux de Cristina, un ancien champion olympique soupçonné de détournement d'argent public. La mise en examen de Cristina, convoquée le 8 mars au tribunal de Palma de Majorque, aux Baléares, arrive au pire moment pour le roi Juan Carlos, qui a fêté dimanche ses 76 ans puis est apparu lundi lors d'une cérémonie militaire, visiblement fatigué et appuyé sur des béquilles, pour la première fois en public depuis une opération de la hanche le 21 novembre. Cette année noire commence aussi avec un nouveau sondage désastreux pour la popularité du roi: selon une enquête publiée dimanche par le quotidien de centre droit El Mundo, 62% des Espagnols souhaitent qu'il abdique et à peine un sur deux (49,9%) soutient aujourd'hui la monarchie. Le seul recours, d'après ce sondage, viendrait du prince Felipe: 66% des personnes interrogées ont une opinion «bonne ou très bonne» de l'héritier de la Couronne, âgé de 45 ans, et 57% pensent qu'il serait à même de redorer l'image de la monarchie. La Maison Royale a exprimé son «respect» face à la décision du juge, qui ne préjuge en rien des suites judiciaires de l'affaire, tandis que la défense de Cristina a annoncé qu'elle ferait appel. Le juge José Castro, qui enquête depuis 2010 sur cette affaire, a passé outre l'opposition du Parquet pour mettre en examen Cristina, âgée de 48 ans, pour «délits fiscaux présumés et blanchiment de capitaux», liés aux activités frauduleuses présumées de son époux. Cette procédure était réclamée par l'association d'extrême droite Manos Limpias, célèbre pour avoir été à l'origine de procès retentissants, comme celui en 2012 de l'ancien juge Baltasar Garzon. En avril 2013 (bien: 2013), le juge avait mis en examen une première fois l'infante, à l'époque pour trafic d'influence, mais cette décision avait été annulée suite à un recours du Parquet qui avait jugé les indices insuffisants. Le juge, un magistrat réputé intègre et obstiné, a ensuite ouvert un nouveau volet de l'enquête, cherchant à établir si la fille cadette du roi a des liens avec les faits reprochés à son époux. Il a minutieusement épluché les déclarations d'impôts et comptes bancaires de l'infante, scrutant ses moindres dépenses pour des voyages, des repas au restaurant ou des fêtes de famille. «Préjuger que Doña Cristina Federica de Bourbon ne connaissait pas les activités de son mari et les conséquences pénales de ses propres agissements serait aussi précipité que d'affirmer définitivement le contraire», écrit le juge dans son arrêt. Cette convocation, ajoute-t-il, «a pour seul but de lui donner la possibilité de s'expliquer personnellement, et non à travers le filtre de sa défense, sur certains indices objectifs» de délits, «qui ne sont pas le fruit d'élucubrations capricieuses». Iñaki Urdangarin, un ancien champion olympique de handball reconverti en homme d'affaires, âgé de 45 ans, est soupçonné d'avoir détourné 6,1 millions d'euros d'argent public avec son ancien associé, Diego Torres. Il aurait passé via l'institut Noos, une société à but non lucratif qu'il présidait entre 2004 et 2006, des contrats avec les autorités régionales des Baléares et de Valence pour l'organisation et la promotion de congrès liés au sport. Or Cristina était à cette époque membre du comité de direction de Noos. Elle détient aussi pour moitié, avec son époux, la société Aizoon, soupçonnée d'avoir servi de société écran dans les détournements et sur laquelle le juge a porté son enquête. Le scandale a éclaté en 2011, lorsque le juge Castro a mis en examen l'époux de Cristina. Ce dernier a alors été mis à l'écart des activités officielles de la Famille royale, qui tente depuis, en vain, de redorer son image. Cristina, avec sa famille, a déménagé en 2013 en Suisse. La luxueuse villa où le couple vivait avec ses quatre enfants dans le quartier huppé de Pedralbes, à Barcelone, achetée en 2004, a été mise en vente l'an dernier pour 9,4 millions d'euros et saisie pour moitié par la justice, parmi 16 biens appartenant à Iñaki Urdangarin et Diego Torres.