Après la disparition de l'acteur-vedette Hamidou Benmassoud il y quelques semaines seulement, un autre acteur-vedette vient de disparaître en la personne de Mohamed Habachi. Si le premier s'est distingué nettement sur la scène internationale, Habachi lui, s'est constitué une étoile sur le plan national. Ce fut à un moment où les acteurs participaient efficacement au développement du cinéma national en travaillant bénévolement dans les films ou se contentant du peu de salaire. Militant malgré lui, Habachi a traversé honorablement cette période en y laissant certes des plumes. En intégrant le milieu en pauvre, il l'est resté toute sa vie. Mais son nom a marqué l'Histoire du Maroc sur le plan du cinéma et du théâtre. Acteur peu prolifique, il a fallu du peu pour que ce Hrizi d'origine soit remarqué par son jeu juste et original donnant l'impression qu'il ne joue pas, car il n'y a que très peu de frontières entre Mohamed Habachi, la personne, et ses personnages, ce qui constitue un cas unique dans le milieu artistique marocain. La première fois que j'ai eu l'occasion de découvrir Mohamed Habachi ce fut en 1977, à la première des «Cendres du clos» (Rmad Zriba) organisée à l'Ecole Mohammadia d'Ingénieurs, un milieu hautement militant jusqu'à l'extrême. On suivait avec intérêt le voyage initiatique d'Abdelkader, un «khammas» fier de son statut joué admirablement par Habachi. Le film est en couleurs, ce qui relevait du luxe à cette époque. C'est le premier film qui intéressa véritablement le public marocain avec ces chiffres fort significatifs: 8 semaines de projection à Casablanca uniquement avec 78.000 spectateurs. Un record réalisé jusqu'à lors par les seuls films étrangers tout à l'honneur du «collectif» constitué essentiellement de cinéastes ou futurs réalisateurs mais dont le chef de projet est incontestablement Mohamed Reggab. J'eus une autre occasion de connaitre Mohamed Habachi mais en chair et en os cette fois. Ce fut en 1981 à Safi, quand l'Office Chérifien des Phosphates (O.C.P.) achetait les billets de spectacle pour ses employeurs. Le spectacle n'est autre que la pièce de théâtre «Hallouf Karmos' écrite par Les frères Dakhouche devenus le groupe «Tagada» par la suite. Les rôles principaux sont partagés entre Mohamed Habachi et son amie de toujours Touria Jabrane qui formaient un duo exceptionnel déployant une rare complicité de jeu. On comprend aujourd'hui l'estime qu' a gardé cette dernière pour l'acteur jusqu'aux derniers jours de sa vie. C'est grâce à elle d'ailleurs que la famille Habachi a pu bénéficier de la couverture sociale malgré des réticences, prétextant qu'il est loin du domaine. Son retour récent et à contre-coeur sur les plateaux de la télévision est certes dicté par ce besoin. Quand enfin j'ai eu l'occasion de le rencontrer, c'est à l'époque de son retrait volontaire. J'eus du mal à trouver son domicile malgré l'aide de son ami Ahmed Saari. Habachi habitait une modeste demeure située en quartier populaire à haut risque. Cette situation contredisait son statut de seul héritier légitime d'immenses terrains agricoles. Refusant tout entretien journalistique et prise de photos, il nous recevait en amis autour d'une table et d'une tasse de thé qui me rappelait «Miloud» du «Coiffeur du quartier des pauvres» dans son humble demeure face à «Mahjouba», son épouse. Décidément, il y a peu de frontières entre Mohamed Habachi et ses personnages.