En adoptant la loi mariage pour tous, le législateur français ouvre la voie à la conclusion d'unions conjugales entre des personnes de même sexe. Or, il va sans dire que ce genre de mariage est souvent une source d'immenses difficultés en droit international privé vu le nombre considérable de pays qui prohibent ce genre d'unions. A ce propos, l'une des interrogations qui se posent avec acuité, dès maintenant, est celle de savoir quel sera le sort, sur le territoire marocain, des mariages homosexuels qui seront célébrés en France. Une question qui se justifie pleinement par le fait que le législateur marocain fait de la différence de sexe une condition sine qua non de la validité du contrat de mariage. Pour répondre à cette question, il est indispensable d'examiner les règles inscrites dans la convention entre le Royaume du Maroc et la République française relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire faite à Rabat le 10 août 1981. En effet, cet accord, ayant pour objet essentiel d'établir des règles communes de conflit de lois et de juridictions en ce qui concerne le statut des personnes et de la famille, est le seul applicable en la matière dans la mesure où il écarte nettement, dans son troisième article, le système international de conflit de lois en vigueur dans chacun des deux États. Concernant le mariage, la convention franco-marocaine stipule dans son article cinq que : «les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité». En d'autres termes, cela signifie que la loi de référence qui détermine la validité d'un lien conjugale, au regard de la convention, est la loi personnelle de chacun des deux futurs époux. Permettant la stabilité de l'état d'une personne quelque soit son lieu de résidence, cette règle de conflit risque, avec l'entrée en vigueur de la loi mariage pour tous, de subir les énormes répercutions d'une législation qui placera face à face deux systèmes de valeurs diamétralement opposés. Pour le démontrer, il convient d'abord de s'interroger sur la validité d'un mariage homosexuel conclu entre deux français aux yeux du droit marocain, avant d'examiner, dans un second lieu, la possibilité pour un marocain de conclure ce genre d'union en France. I- Le sort d'un mariage homosexuel au Maroc D'emblée, il faut préciser que deux marocains ne peuvent être unis par un lien conjugal que s'ils sont de sexes différents. C'est ce qui résulte formellement de la lecture de l'article quatre du Code de la famille qui définit le mariage comme étant un pacte fondé sur le consentement mutuel en vue d'établir une union légale et durable, entre un homme et une femme. Autrement dit, l'appartenance au même sexe forme, dans le droit marocain, un empêchement perpétuel du mariage tout à fait comme les autres cas prévus par les articles 36, 37 et 38 du code de la famille. Concernant le mariage entre deux français ayant le même sexe, l'application de l'article trois de l'accord franco-marocain précité aurait pour effet de contraindre le juge marocain à reconnaître une relation qui heurte les valeurs de la société toute entière. Une situation qui nous amène à croire à la possibilité de faire appel à l'article quatre du même accord qui permet aux juridictions de l'un des deux Etats d'écarter la loi de l'autre chaque fois qu'elle est manifestement incompatible avec l'ordre public. Évidemment, le recours à l'exception de l'ordre public afin de rejeter l'application de la loi française ouvrant le mariage aux couples de même sexe présuppose, au préalable, de tracer les contours de cet ordre immuable. Le juge est tenu également de soulever le ou les principes fondamentaux du système juridique qui réprouvent la constitution, sur le territoire national, de ce genre de situation familiale. Sur ce point, il ne fait aucun doute que la religion musulmane représente l'élément central de l'ordre public marocain notamment en matière du statut personnel. C'est ce qui ressort, en effet, des dispositions de la constitution du 1er juillet 2011 qui fait de l'Islam la religion de l'État. Cette nouvelle loi fondamentale insiste également dans son préambule sur la prééminence accordée à la religion musulmane dans le référentiel national en rappelant que le Royaume du Maroc, État musulman souverain, entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Dans le même esprit, on peut évoquer la nouvelle norme constitutionnelle qui, tout en accordant aux conventions internationales dûment ratifiées par le Maroc, dès leur publication, la primauté sur son droit interne, exigeant, en conséquence, une harmonisation des dispositions pertinentes de la législation nationale, lie néanmoins cette primauté au respect de l'identité nationale immuable du pays. A côté des préceptes de la Charia, le droit pénal est, indubitablement, un autre élément constitutif de l'ordre public car il réunit en son sein tous les agissements portant atteinte à la stabilité de la société. Parmi ces agissements illicites, on trouve celui prévu par l'article 489 du code pénal qui fait de tout acte impudique ou contre nature entre des individus de même sexe un délit passible d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 120 à 1000 dirhams. Ainsi, quelque soit la qualification qu'elle puisse recevoir dans le droit français, l'homosexualité demeure, au regard de notre ordre juridique, un acte délictueux pénalement sanctionné. Une qualité que seul le législateur est capable de transformer car il est, selon l'article 71 de la constitution, l'unique autorité qui détermine et constitue en infractions les faits qui, à raison du trouble social qu'ils provoquent, justifient l'application à leur auteur de peines ou de mesures de sûreté. C'est dire, en d'autres termes, qu'il est incontestable que les relations conjugales entre des personnes de même sexe sont une institution absolument intolérable au Maroc car elle est contraire, et aux enseignements de la religion musulmane n'autorisant les rapports charnels que dans le cadre d'un mariage valide entre un homme et une femme, et aux dispositions explicites de la loi pénale incriminant toutes les pratiques homosexuelles. De toutes ces observations, il en découle que la loi mariage pour tous, manifestement incompatible avec notre ordre public, n'a aucune chance d'être reçue au Maroc. Aucun des mariages qui seront célébrés conformément à cette législation ne sera reconnu dans notre système juridique. Nul effet ne s'en suivra ni entre les parties ni à l'égard des tiers et cela quelque soit, bien entendu, la nationalité des concernés qui, selon la réforme entreprise, peuvent même être des marocains. II- Les Marocains et la célebration de maraiges homosexuels en France En élaborant une loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le législateur français a introduit une nouvelle règle de conflit, pour le moins que l'on puisse dire, étrange. Avec la promulgation du texte, le nouveau article 202-1 du code civil dispose, en effet, dans son deuxième alinéa, que : «la loi personnelle d'un époux est écartée, sous réserve des engagements internationaux de la France, en tant qu'elle fait obstacle au mariage de deux personnes de même sexe, lorsque la loi de l'Etat sur le territoire duquel est célébré le mariage le permet.». Sans doute, l'introduction d'une telle règle, trouvant, suivant le professeur Hugues Fulchiron, sa justification dans la volonté du législateur français d'assurer un rayonnement international maximum à ses choix en écartant la loi des parties ou de l'un d'entre elles chaque fois que celle-ci prohibe le mariage homosexuel, aura pour effet de donner naissance à d'énombrables situations familiales boiteuses qui perdront leur légitimité dans la plupart des Etats. En ce qui concerne les relations franco-marocaines, il y a lieu de remarquer que la règle de conflit précitée conduira inévitablement, comme d'ailleurs le professeur Fulchiron l'a souligné, à vider la convention qui lie les deux Etats en matière de statut personnel de sa substance, avec tous les problèmes diplomatiques que cela risque d'engendrer. En effet, l'entrée en vigueur du future article 202-1 du code napoléonien permettra aux juridictions françaises, à l'occasion de mariages homosexuels où l'une des parties sera marocaine, d'écarter le code de la famille en arguant qu'il est contraire à l'ordre public et, spécialement, au principe de l'égalité entre les couples ainsi qu'en se basant sur le refus de toutes les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. A ce propos, il faut noter que parmi les griefs qui ont été soulevés par les députés ayant saisi le conseil constitutionnel français suite au vote de la loi le 23 avril dernier, figure le fait que l'autorisation du mariage en France entre personnes de même sexe, dont l'un au moins sera ressortissant d'un Etat ne reconnaissant pas la validité d'une union entre personnes de même sexe n'est pas compatible avec les engagements de la République, car la définition du mariage résultant de la loi viole la règle «Pacta sunt servanda» qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. Il s'en suit que l'adoption par le Parlement d'une loi clairement et délibérément contraire aux traités ou accords internationaux en vigueur dans l'ordre interne caractérise, aux yeux des auteurs de la saisine, la «mauvaise foi» du législateur dans l'exécution des conventions internationales, et donc la méconnaissance du quatorzième alinéa du préambule de la constitution de 1946 qui dispose que «la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international». En tout cas, on doit s'attendre, dans les mois qui viennent, à la célébration de mariages homosexuels entre des marocains et des français ainsi qu'entre des marocains et d'autres marocains ou même des étrangers résidant en France. Des situations qui, d'un point de vue juridique, seront fortement déplorables vu l'extrême précarité des liens engendrés et l'ampleur de l'incertitude qui les entoure. Pour s'en rendre compte, il suffit de rappeler que les couples homosexuels se transformeront, aussitôt sur le territoire marocain, à des délinquants qui risquent de tomber sous le coup de l'article 489 sus mentionné. Evidemment, cette réalité n'a pas échappé aux concepteurs de la loi qui ont tenu à rappeler, dans l'étude d'impact ayant accompagnée le texte, que l'obligation de publication des bans permettrait aux Etats étrangers de connaître le statut de leurs ressortissants et un voyage temporaire dans leur pays d'origine pourrait engendrer une condamnation pénale pour le mariage contracté en France. C'est pourquoi, il est recommandé de demander aux officiers d'état civil, par voie de circulaire, d'appeler l'attention des citoyens sur la possible non-reconnaissance de leur union à l'étranger. La circulaire rappellera également, pour les pays dans lesquelles l'homosexualité est expressément prohibée et punie, l'opportunité de recourir aux dispositions de l'article 169 du code civil qui permettent une dérogation à la publication des bans pour des causes graves. Or, l'incitation de certains couples homosexuels à dissimuler leur mariage n'est rien d'autre que la preuve des nombreuses difficultés qui surgissent avec l'ouverture de l'institution du mariage aux individus de même sexe. La plus indissoluble de ces difficultés est, incontestablement, la discontinuité qui caractérise l'état des personnes engagées dans ce type d'union.