La poésie, c'est la vie. La fêter, c'est faire un hymne au Mot. C'est s'offrir une pause pour souffler et opérer un retour sur soi. C'est se focaliser, sur d'autres beautés qui nous sont quotidiennement offertes, tendues par l'existence, sans que l'on n'y prenne la peine de s'y attarder, rien que quelques minutes, pour les admirer et pouvoir en jouir. Commémorer la poésie, c'est éveiller notre humanisme, passer outre les obstacles réels ou chimériques de cette vie, pour rapprocher les hommes à travers ce langage magique, universel et sans frontières. La Journée mondiale de la Poésie, coïncidant cette année avec celle des Mères et le retour du Printemps, a été l'occasion toute indiquée pour faire d'une pierre...trois coups. Fatima Moutih, la poétesse, la mère, la fleur mazaganaise, sur la scène du théâtre Mohamed Said Afifi àEl Jadida était d'une beauté indescriptible. Une de ces beautés qui ne cessent de croître, au fur et à mesure que le temps s'écoule, que les mots, les vers et les rimes défilent, une beauté qui va en s'embellissant... Et c'est d'une voix haletante, parfois brisée, comme trahie par l'émotion, par l'intensité des sentiments, du désir ou par les méandres ténébreux de la déception de la vie, que notre poétesse chuchote ou crie chaque syllabe, chaque mot, chaque vers, au gré de ses déceptions et de ses joies. Regard parfois absent, elle semble nous abandonner par intermittence, comme pour aller goûter d'autres délices auprès de l'être cher ; aller se blottir dans ses bras et y trouver refuge ; entrer au contact de son corps et y trouver chaleur ; s'accrocher à ses lèvres et s'y laisser fondre. Guettant la fraîcheur de chacun de ses mots, le parfum de son souffle, le timbre de sa voix, cet Air qu'elle respire ; cette Eau dont elle s'abreuve ; ce Feu, loin duquel les angoisses finissent par l'engloutir et les braises par la consumer... jusqu'à l'anéantir. D'un charisme et d'une présence sur scène qui focalisent toutes les attentions, elle lit de sa voix suave et tremblante ; une voix de celles qui vous chantent l'Amour et font hymne à la passion, à l'émotion, au partage, au pardon et à la générosité. On dirait que chacun de ses mots est ressenti par chaque partie de son corps. Elle se tord, telle une prisonnière qu'on enchaîne au seuil du summum d'un Amour tant miroité, elle se débat de toutes ses forces. Insatiable. Inconsolable. Régurgitant à mort toute l'étendue de son calvaire, de sa tristesse, de ses peines et de l'injustice du sort. Ce fut trop d'émotions pour une assistance, séduite et envoûtée. Un public contaminé par cette maladie d'amour qu'elle lui communique, aidée en cela par son charme, le ton de sa voix, le dosage ingénieux de ses mots, l'élégance de ses gestes...et la profondeur de ses poèmes. L'espace d'un soir, cette poétesse a été fidèle à son image habituelle : rayonnante. Son passage devant un public ravi revêtait une connotation très particulière pour elle. Ce sont les souvenirs d'une enfance joyeuse dans les rues de la médina (derb Touil) qui reviennent, en cascade, lui rappeler les charmes de sa ville natale qui a de tous temps inspiré amour et tolérance. Ville des couleurs et des odeurs : par son air iodé, sa mer, son sel balloté par les vagues, ses fritures de poissons, ses sardines grillées près du vieux port d'où émane ce brouhaha les jours des grandes prises et qui ne demandent à tous ceux qui y ont goûté qu'à fermer les yeux pour s'y retrouver. Pour cette magnifique soirée, mille mercis à cette mazaganaise : Fatima Moutih. Le récital de Fatima Moutih a été égrené par des « taqasim » de luth joué par Jamal Boudouil.