Le Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, qui a présenté mardi sa démission, refuse de prendre à nouveau la tête du gouvernement, a déclaré jeudi sa formation, Ennahda. Le parti islamiste au pouvoir annonce dans un communiqué qu'il va choisir un autre candidat au poste de Premier ministre. Hamadi Jebali, qui est secrétaire général (numéro deux) d'Ennahda, a renoncé à ses fonctions faute d'avoir pu former un gouvernement d'experts sans étiquette politique, comme il le souhaitait après la crise provoquée par l'assassinat de l'opposant de gauche Chokri Belaïd le 6 février. «Jebali a refusé d'accepter sa nomination (comme prochain Premier ministre)», a déclaré Ennahda. «Un nouveau candidat sera présenté cette semaine au président de la République (Moncef Marzouki).» Dans la soirée, Hamadi Jebali a présenté dans une allocution télévisée des excuses au peuple tunisien et lui a demandé de rester uni afin que le pays surmonte la crise politique actuelle. «Je présente mes excuses aux Tunisiens car j'ai échoué et les ai déçus», a-t-il déclaré. Disant avoir «bon espoir que le consensus l'emporte et que la révolution l'emporte aussi», il a appelé ses concitoyens à la patience. «Les Tunisiens devront faire preuve de patience dans les mois qui viennent. Les revendications et les sit-in doivent cesser jusqu'à ce que la révolution l'emporte», a-t-il ajouté. Hamadi Jebali avait pris ses fonctions il y a quinze mois, après la victoire électorale de son mouvement, première force politique au Parlement, qui a conclu un accord de partage du pouvoir avec deux partis laïques, le Congrès pour la République de Marzouki et le parti Ettakatol. Ces derniers étaient favorables à la formation d'un gouvernement apolitique mais Ennahda craignait de perdre sa position dominante et propose un gouvernement mélangeant «techniciens» et politiques. Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahda, avait souhaité qu'Hamadi Jebali soit chargé de la formation d'un nouveau gouvernement de coalition mais l'intéressé avait prévenu mardi qu'il n'accepterait pas de rester à son poste en l'absence d'assurances sur la tenue de nouvelles élections et l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution. Un haut responsable d'Ennahda a déclaré à Reuters que le prochain Premier ministre viendrait de l'aile dure du mouvement islamiste qui refuse d'accorder le moindre rôle aux responsables liés à l'ancien régime du président Zine Ben Ali, renversé le 14 janvier 2011. Ce responsable a nommé cinq candidats potentiels, tous membres du gouvernement sortant : Nourredine Bouheiri (Justice), Abdellatif Mekki (Santé), Mohamed Ben Salem (Agriculture), Ali Laarayedh (Intérieur) et Abdelkarim Harouni (Transports). «Ennahda tiendra une réunion ce soir pour choisir un candidat. Le prochain Premier ministre sera un des noms sur la liste», a ajouté le responsable. Une fois formellement désigné par le président de la République, le futur Premier ministre aura deux semaines pour former un gouvernement. Ennahda, vainqueur des législatives d'octobre 2011, contrôle 42% des sièges à l'Assemblée nationale constituante - 89 sièges sur 217 - chargée d'élaborer une nouvelle Constitution. Le Congrès pour la République (CPR) du chef de l'Etat, qui a 29 sièges à l'assemblée, a annoncé qu'il était prêt à rejoindre le nouveau gouvernement. «Notre parti participera au nouveau gouvernement et aura un rôle actif à jouer», a déclaré Hedi Ben Abbes, porte-parole du CPR, après un entretien avec Marzouki. A eux deux, Ennahda et le CPR s'assureraient une majorité à l'assemblée avec 118 élus. On ignore si d'autres partis laïques sont prêts à rejoindre la coalition. Rached Ghannouchi juge essentiel de poursuivre la coopération avec les mouvements laïques et assure que son parti est prêt à des compromis sur les «grands ministères» que sont les Affaires étrangères, la Justice et l'Intérieur. Mais un nouveau Premier ministre issu de l'aile la plus conservatrice du mouvement pourrait avoir des difficultés à trouver des alliés laïques dans le climat extrêmement tendu créé par l'assassinat de Belaïd. La crise politique a également mis en lumière les divergences internes à Ennahda, entre Ghannouchi, revenu d'exil après la chute de Ben Ali, et Jebali, emprisonné sous l'ancien président pour son rôle d'opposant. Pour le politologue Salem Labyed, la Tunisie, berceau du «printemps arabe», est à nouveau à la croisée des chemins. «Si Ennahda désigne un de ses faucons, il y aura un conflit avec les partis laïques. A ce moment-là, le climat pourrait devenir très tendu et déborder dans la rue», dit-il. La police a par ailleurs découvert mercredi soir une cache d'armes à Tunis. Des dizaines de kalachnikov, des roquettes et des explosifs ont ainsi été saisis dans une maison du quartier de Mnihla, a annoncé jeudi le ministère de l'Intérieur. En janvier, une autre cache d'armes avait été découverte à Médénine, dans le Sud tunisien, non loin de la frontière libyenne, et un groupe de «terroristes» avait alors été arrêté.