La question migratoire est depuis quelques années sur le devant de la scène médiatique maghrébine et européenne. Elle concerne un nombre croissant de pays et de personnes et pose une problématique globale et pluridimensionnelle. La problématique de la migration à partir du Maghreb est liée aux problèmes de l'Afrique (pauvreté, troubles et conflits) qui ont conduit à l'augmentation du nombre des migrants vers l'Europe. Plusieurs études (Lahlou, 2004 ; Haas, 2007 et Bossard, 2007) confirment qu'il y a eu une augmentation considérable des flux migratoires entre les pays d'Afrique sub-saharienne et l'Europe, qui a en outre transformé les pays nord-africains en territoires de transit et d'accueil. Il s'agit d'une problématique à la fois démographique, économique, sociale et politique, ersatz d'une marche forcée vers la mondialisation et la globalisation financière et des marchés qui la dépasse et qui ne profite pas aux africains. Dans ce contexte l'Afrique, paraît faire fuir une partie importante de sa jeunesse. Celle-ci voit l'espoir d'une vie meilleure sur le continent s'amincir au même rythme que s'y développent pauvreté et absence de droits politiques et sociaux, aggravées par les violences dues au déséquilibre entre leur croissance démographique et les ressources dont ils disposent. L'Afrique qui en 1950, ne comptait que 225 millions d'habitants, elle abrite aujourd'hui un terrien sur sept, soit 1 milliard d'habitants. Dans ce contexte, le Maghreb dispose d'une place à part. Cette région qui est un espace traditionnellement d'émigration est progressivement devenue une région de transit puis d'accueil de migrants depuis les années 1989-1990. Cependant, une très forte réduction des flux migratoire vers l'Europe y a cependant été enregistrée depuis fin 2005. C'est le résultat du changement des itinéraires empruntés par les migrants. Beaucoup de migrants se dirigent désormais directement de l'Afrique centrale et occidentale, à l'ouest, vers les îles Canaries, pour essayer de rallier l'Europe ou, à l'est, vers Djibouti, pour rejoindre la péninsule arabique (Lahlou, 2011). Ce nouveau glissement des voies de migration irrégulière indique que l'espace Nord-Africain est devenu une sorte d'antichambre du «paradis», dans l'éventualité de devenir « zone de protection » pour les frontières sud de l'Europe. Cette situation ne peut pas durer interminablement pour la simple raison que le Maghreb lui-même est devenu attractif pour les jeunes d'Afrique subsaharienne cherchant une vie meilleure. Face à l'incapacité de maintenir très longtemps une démarche particulièrement sécuritaire, il est urgent d'envisager une nouvelle approche qui soit fondée sur la concertation et le dialogue et non sur les seuls désirs européens, tels qu'ils sont exprimés par exemple dans le Pacte Européen sur l'Immigration et l'Asile (PEIA). Ce pacte témoigne d'un grand illogisme lorsqu'il fait le lien entre développement et migration au sujet des pays d'émigration. Il va à l'opposé des appels à l'ouverture et à la libéralisation des échanges économiques et financiers qui sont les principes fondamentaux de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Fondé sur une approche bien égoïste « des relations internationales, ce pacte voudrait que les pays de départ et de transit opèrent en matière migratoire au seul profit de l'UE » (Lahlou, 2011). Le pacte est également incohérent, alors qu'il cherche à réduire les mouvements des hommes du Sud vers le Nord, il fait des migrations un instrument de développement. D'un côté l'Europe conseille aux gouvernements des pays du Sud de tout mettre en œuvre pour réduire l'émigration de leurs citoyens, de l'autre côté on demande à ces mêmes gouvernements de fonder leurs politiques de développement sur les ressources transférées par leurs migrants. L'émigration à partir du Maghreb, comme de l'ensemble de l'Afrique, doit être abordée en tenant compte les raisons et les causes à l'origine dans chacun des pays concernés. La résorption de la disposition à émigrer nécessite une série d'interventions qui consistent à créer les possibilités de développement dans les pays de départ et de transit et à accroître l'osmose entre la migration et le développement, aussi bien dans les régions émettrices de migrants que dans les pays d'accueil et ceci en menant des politiques de développement qui mèneraient à des constructions économiques sous-régionales et régionales. L'approche de la régionalisation économique « est la plus à même de créer les meilleures opportunités d'augmentation de la production, agricole et industrielle, et d'élargir les possibilités régionales de commerce et d'échanges. Elle faciliterait par là-même une plus grande liberté de circulation des personnes dans des espaces devenus plus complémentaires que concurrents » (Lahlou, 2011). Toute intervention isolée dans l'espace n'aurait aucune portée pratique. Le dialogue euro-méditerranéen tel qu'il se construit actuellement à travers la politique européenne de voisinage (PEV) et la constitution de l'Union pour la Méditerranée (UPM), ne peut avoir un effet concluant en matière migratoire que s'il englobe la dimension Afrique subsaharienne, en bâtissant un partenariat économique et social équilibré entre les pays de départ (l'Afrique subsaharienne), les pays de transit et d'accueil et de départ (le Maghreb), et les pays d'accueil (l'Union Européenne). Toute construction régionale, euro ou inter-méditerranéenne, qui ferait du Maghreb le « gendarme de l'Europe » plutôt qu'un pont entre l'Afrique et l'Europe rendrait la résolution de la question migratoire encore plus difficile à saisir. D'après les projections de l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED), à l'horizon 2050, l'Afrique abriterait un homme sur cinq et verrait les ressources naturelles, à la disposition des Africains, diminuer sensiblement ce qui pourrait être à l'origine de déplacements de populations encore plus importants dans le futur. Les pays du Maghreb doivent s'adapter à cette nouvelle donne, relativement récente, et doivent désormais, à leur tour, relever le défi de l'intégration des migrants dans leurs sociétés. _____________ *Géographe Chercheur en Géo-physique, Environnement, Aménagement de l'Espace et Paysages