Au delà de l'épisode d'Aix-Les-Bains au sujet duquel Allal El Fassi avait publiquement exprimé ses réserves estimant, à juste titre d'ailleurs, que les négociations devaient porter sur la libération de l'ensemble du territoire national afin d'éviter une indépendance boîteuse -nous trainons aujourd'hui encore les conséquences de ces «négociations des concessions», notamment pour ce qui est du Sahara et d'autres territoires nationaux toujours sous domination étrangère-, le Président de l'Istiqlal s'était particulièrement illustré, là encore, par ses positions engagées au sujet de Sakia Al Hamra et Oued Eddahab. Le 7 mai 1974, à six jours de son décès, Allal El Fassi quittant le Koweït pour Bucarest où il succombera à une attaque cardiaque dans les bureaux du président roumain, lance un appel à la nation arabe pour qu'elle soutienne le peuple marocain dans sa lutte pour la récupération de ses territoires occupés par l'Espagne. «Il est regrettable, avait-il dit, que cette question n'attire pas plus d'attention de la part des pays arabes d'autant que ce problème fait partie intégrante de la cause arabe. L'Espagne, il est vrai, avait ajouté le leader du Parti de l'Istiqlal, est un pays ami des Arabes, qui n'a pas reconnu «Israël» mais ceci ne doit pas empêcher les pays arabes de réclamer leurs terres usurpées». Une année auparavant, en 1973, Allal El Fassi estimera dans un écrit que la question du parachèvement de l'unité territoriale «avait échappé des mains de sa génération pour se trouver dans la nouvelle vague, celle de jeunes». Par ce propos et par l'appel du Koweït, Allal El Fassi concluait toute une partie de sa vie dans l'étape post-indépendance consacrée au parachèvement de l'intégrité territoriale qui avait commencé le 25 mars 1956 à Tanger. De cette ville, encore tristement internationale, le leader de l'Istiqlal adressa un message au Congrès constitutif de la Jeunesse Istiqlalienne qui se tenait à Fès. Le texte du message qualifiait justement l'indépendance du Maroc de boiteuse et fixait la priorité pour les Marocains dans la poursuite du combat pour la libération totale du pays et son unification. Certains ont vu dans le combat de Allal El Fassi pour la récupération du Sahara un “égarement dans les sables et une poursuite vaine des mirages du désert”. Mais Allal El Fassi dans cette lutte contre le colonialisme et contre les défaitistes de l'intérieur du pays assumait le risque d'être seul et solitaire dans cette course de fond et de longue haleine, sans jamais démordre ni faillir à sa mission. Dans la préface de «Bloc-notes du Sahara» dans lequel il a consigné une partie de ses écrits sur le Sahara, le leader de l'Istiqlal notera que son «appel au parachèvement de l'unité territoriale, a été considéré par d'aucuns, comme un dépassement de ce qui devait se produire, du fait que l'indépendance du Maroc était toute fraîche et nous avons besoins de nous occuper de l'édification de ce que nous avons obtenu, avant de revendiquer ce qui relève encore de l'imaginaire (...)». Mais pour Allal El Fassi, le combat pour l'édification du pays et le parachèvement de l'unité territoriale étaient indissociables, et son action, même si elle ne devait pas aboutir dans l'immédiat, devrait servir de repère aux futures générations qui «peut-être, y décèleront une raison pour réaliser ce que notre génération a été incapable de concrétiser (...)». Conscient que la libération du Sahara ne pouvait échapper à la pesanteur de la conjoncture sur les évènements et dépendait du degré de conscience, de maturité politique et d'engagement, Allal El Fassi consacrera la majorité de ses œuvres, déclarations, conférences, discours, causeries, etc. au développement de l'affaire du Sahara et à ses évolutions futures. En mars 1956, il crée un hebdomadaire «Saharaâ Al Maghrib» (Sahara du Maroc) puis «perspectives sahariennes» qui contiendront pas moins de 20 éditoriaux qu'il réunira par la suite dans deux livres: «Bloc-notes du Sahara», et «Défendre l'unité territoriale». Son action sera également caractérisée par un contrat permanent avec les populations des régions occupées et de multiples démarches officieuses, secrètes et publiques auprès de l'Espagne pour la dissuader de sa politique colonialiste. Quand, en novembre 1968, le ministre espagnol des Affaires étrangères fait savoir à la Commission de décolonisation de l'ONU que son gouvernement était prêt à rétrocéder l'enclave d'Ifni au Maroc, sans souffler mot sur Sakia El Hamra et Oued Eddahab, Allal El Fassi déclarera devant le Conseil National du Parti de l'Istiqlal que «nous n'abandonnerons jamais nos droits légitimes», précisant par la même occasion que «l'attitude (complaisante) des organismes internationaux et des grandes puissances permettant à «Israël» de continuer à occuper des territoires arabes est un encouragement aux colonialistes. C'est ce qui explique, déduisait-il, le refus de l'Espagne de reconnaître notre souveraineté sur le Rio de Oro, sur la Sakia El Hamra et sur Sebta et Mélillia (...). Notre devoir est d'essayer d'amener les Espagnols à reconnaître nos droits par la négociation. Si l'Espagne devait persister à ne pas reconnaître nos revendications légitimes, nous serions en droit de recourir à d'autres moyens (...)». L'essentiel cependant de la force d'Allal El Fassi dans la défense de l'unité territoriale n'était pas tant son sentiment juste d'être dans son droit, mais surtout dans la lucidité de l'analyse qu'il faisait de l'indépendance incomplète du Maroc : dans l'objectif et les desseins à court terme de l'occupation d'une partie des territoires marocains par des forces colonialistes, il voyait un plan destiné à empêcher le Maroc d'évoluer proportionnellement à ses forces réelles et potentialités naturelles afin de provoquer au Maroc une situation à même d'en faire un pays aliéné et néo-colonisé. Le 20 mars 1957, il relate dans «Saharaâ Al Maghrib» le plan du colonialisme et les étapes «naturelles» qu'il allait connaître: «La première étape du colonialisme, écrivait-il, consistera à créer un parti ou groupements locaux liés aux forces de l'occupation dont la principale tâche sera le rattachement à la métropole (...). La deuxième étape du plan consistera à inciter la création d'un «Etat indépendant», «souverain» mais n'en demeurant pas moins cordialement lié à l'ancienne puissance coloniale». Un scénario qui a failli se produire 18 ans après, n'eut été la Marche Verte.