A trois jours de la proclamation formelle de l'indépendance du Sud-Soudan, approuvée à une écrasante majorité par ses habitants lors d'un référendum en janvier, le Nord-Soudan envisage son avenir avec anxiété. L'économie est minée par l'inflation, l'essentiel des richesses pétrolières va passer entre les mains des Sudistes et la situation socio-ethnique est tout sauf stable. La partition du plus vaste Etat d'Afrique implique que le président Omar Hassan Al Bachir devra jouer finement pour maintenir la cohésion de ce qui lui reste de la nation dont il présidait les destinées depuis plus de vingt ans. Dans les souks poussiéreux de Khartoum, les marchands commentent la partition imminente du pays avec un mélange de tristesse, de résignation et d'inquiétude. "L'indépendance du Sud est une très, très grosse erreur de notre gouvernement. C'est mauvais. Notre économie va souffrir parce que nous dépendons du pétrole. Les prix augmentent tous les jours et l'inflation va progresser", explique Mohamed, un vendeur de journaux. Même si le référendum de janvier a couronné les accords de paix de 2005 ayant mis fin à des décennies d'une guerre civile Nord-Sud qui a fait deux millions de morts, d'autres conflits menaçants sont en cours, ou couvent. Dans la région occidentale du Darfour, des groupes négro-africains se plaignant de discriminations ont pris les armes depuis huit ans. D'autres tensions se font jour dans l'Est. Des guérillas ont éclaté aussi dans deux Etats du Nord-Soudan, celui du Nil bleu et celui du Sud-Kordofan . Ces diverses rébellions ont pour point commun un ressentiment bien installé vis-à-vis de la domination complète des pouvoirs et des richesses dans les mains d'une petite élite nordiste. Selon les observateurs, elles devraient prendre de l'ampleur une fois le Sud indépendant, à la faveur d'une plus grande vulnérabilité du pouvoir central de Khartoum. "Les griefs qui nourrissent les mécontentements dans l'Est, l'Ouest, l'extrême Nord et les Etats frontaliers du Kordofan ou des Nils blanc et bleu ne vont pas s'évanouir avec la sécession du Sud", prédit Aly Verjee, chercheur à l'Institut de la vallée du Rift. Le Parti du congrès national (NCP) au pouvoir à Khartoum a pris l'habitude de gérer ces foyers d'instabilité en maniant la carotte et le bâton. Tout en réprimant sévèrement les rébellions il propose des arrangements à certains de leurs leaders, pour tenter de les diviser. Avec des revenus pétroliers en baisse, il va lui devenir difficile de poursuivre ce type de politique. "Dans un an, si le NCP ne change pas, n'adopte pas une nouvelle approche plus fondée sur l'intégration que sur la sécurité, le Soudan va affronter de sérieux problèmes", estime Fouad Hikmat, analyste à l'International Crisis Group. Mais toute concession exposera Bachir aux attaques de ses adversaires les plus radicaux, hostiles à toute concession aux Etats périphériques. Beaucoup de ce qui se passera dans le Nord dépendra de l'accord final sur le partage des revenus pétroliers avec le Sud-Soudan, qui restera à conclure après l'officialisation de la sécession. Quoi qu'il arrive, le Nord obtiendra moins de la moitié des revenus tirés du Sud pétrolifère, dont il reçoit 50% depuis les accords de paix de 2005. Pour compenser ce manque à gagner, Khartoum pourrait s'ouvrir aux investisseurs étrangers comme l'Iran ou la Chine, où, bien que considéré comme un paria international, Bachir s'est récemment rendu.