Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Journée Nationale de la Femme Marocaine Le Code de la Famille, six ans après : Mme Rajaa Naji El Mekkaoui, professeur de Droit à l'Université Mohammed V
Encore des efforts pour en concrétiser l'esprit
Difficultés matérielles, procédurales, logistiques et humaines colossales Conciliation et médiation, pas toujours optimisées g Echec marital inhérent aux problèmes purement matériels g Le divorce par «Chiqàq» reste le plus demandé Le 10 octobre étant instauré Journée Nationale de la Femme Marocaine, relativement à la mise en œuvre du nouveau Code de la Famille en 2004, il est toujours d'actualité, après 6 ans, de dresser un bilan récapitulatif des avantages, des inconvénients et des contraintes qui persistent. Cette juste cause, qu'est la réforme de la Moudawanah, voulue et appuyée par SA Majesté le Roi Mohammed VI, est considérée comme une avancée majeure tant au niveau national qu'international et sert aujourd'hui de modèle à plusieurs pays arabes. Vu l'intérêt pour la plus petite enceinte de la société qu'est la famille, on a contacté, pour plus de précisions, Mme Rajaa Naji El Mekkaoui, professeur de Droit à l'Université Mohammed V, qui a à son actif plusieurs ouvrages sur le sujet, dont «De la réforme de la moudawanah à la concrétisation de son âme» et tout dernièrement «De la réforme de la Moudawanah à la cohésion familiale». Cette forme de jurisprudence est louable, d'autant plus que la problématique soulève toujours polémique et confusions, de la part de différentes tranches de la société, autour des textes de lois, de leur interprétation et de leur application sur le terrain, vu le manque de ressources humaines et matérielles, ainsi que le besoin d'accompagnement en formation et sensibilisation. Mme Rajaa Naji El Mekkaoui apporte la réflexion suivante: «La philosophie de la réforme a été explicitée dans les Directives éclairées du Discours historique, prononcé par le Souverain le 10 octobre 2003, à l'occasion de l'ouverture de la deuxième année législative de la septième législature, annonçant l'achèvement de l'élaboration du projet de Code de la famille. Dans ce même Discours, constituant le préambule (Charte) du Code de la famille, le Souverain a fort insisté sur la cohésion familiale en tant que principal objectif de la réforme. Si le Code de la Famille consacre dans ses textes l'égalité et la dignité de la femme et garantit ses droits et ceux des enfants ; si la nouvelle réforme a permis, après son entrée en vigueur, la restriction de la polygamie, a régi le problème du mariage des Marocains résidant à l'étranger (MRE), réglé la paternité des enfants issus des fiançailles, permis la réforme du divorce et la gestion des acquêts, au niveau des démarches et procédures, le doute persiste quant à la concrétisation des vraies valeurs prônées par ce code qui ne sont autres que consolider la famille. D'ailleurs, de par la philosophie même du code, c'est la cohésion familiale et le bien être des enfants qui devraient prendre le dessus sur toute autre considération. Or, durant les premières années de l'application de la Moudawanah, plusieurs difficultés ont ressurgi, entravant les juridictions familiales. Elles sont d'ordre socioculturel, représentés par les stéréotypes, les coutumes, les tabous, les différences idéologiques et de droit…, et d'ordre matériel... Ce qui a nécessité la mise en œuvre de plusieurs mesures pour accompagner ces changements, au niveau des démarches et procédures. Il s'agit notamment de la création de juridictions de la famille équitables, modernes et efficaces ; l'élaboration d'un guide pratique à effet d'unifier l'application (judiciaire) des dispositions du Code de la Famille ; la formation continue des cadres, notamment des juges ; la réduction des délais concernant le traitement des questions familiales et l'exécution des décisions y afférentes ; l'aménagement de locaux convenables pour les juridictions de la famille ; la mise en place d'un Fonds d'entraide familiale... Cependant, au bout de six ans, le nombre de juges est loin des perspectives du législateur et des instructions royales, les juridictions familiales sont débordées par le surnombre des dossiers, l'institution des assistantes sociales conçue par le Code, à même d'alléger les tâches du juge, est toujours inexistante. Il y a toujours insuffisance au niveau des ressources humaines, de leur compétence et de la défaillance de certains mécanismes indispensables à la gestion rationnelle des litiges familiaux… Pour ce qui est de la conciliation et de la médiation, moyens sûrs de régler les conflits entre époux, elles ne sont toujours pas optimisées. Sans oublier le non respect du délai d'un mois pour ordonner la pension alimentaire, ni celui de six mois au maximum pour statuer sur le divorce. Et ce en raison des défis matériels et logistiques auxquels s'affrontent quotidiennement les juridictions familiales… Pour aller plus loin, il s'avère nécessaire de promouvoir la prévention et la médiation et de mettre en place des Centres de formation et de Consultation en matière familiale. Somme toute, la Moudawanah, pour idéale soit-elle, s'est heurtée au début à de grands défis quant à son application, à des difficultés matérielles, procédurales, logistiques et humaines colossales, qui paraissent parfois très insignifiantes, mais qui conditionnent fortement la concrétisation de l'âme des textes. Sur le terrain a été relevé un pourcentage très élevé de l'échec marital, inhérent aux problèmes purement matériels, se rapportant très souvent à la gestion des revenus des épouses, qui refusent de contribuer aux charges ménagères ou dont les époux s'en emparent abusivement. Peu de différences enregistrées à ce niveau entre intellectuels et autres. Pour ce qui est des statistiques communiquées par le Ministère de la Justice, après un recul du mariage sensible les deux premières années de la mise en application du Code de la Famille, on constate, à partir de l'année 2005 que le taux de mariage connaît une évolution de 3,48% en 2005 ; puis 11,52% (le score le plus élevé de tous les temps) l'année 2006, 9,04% en 2007 et 10,9% en 2008. Plus encore, les déclarations officielles du Ministre de la Justice à l'occasion du cinquième anniversaire de la promulgation de la Moudawanah (février 2009), laissent entendre : * Une augmentation non négligeable des actes de mariage, passant de : 236.574 en 2004 (le lendemain de la réforme) à 307.575 mariages en 2008 et 314 400 en 2009. * En matière de Jugements en reconnaissance de mariage (Thoubout Azaoujiyah) ils passent de : 6.918 actes en 2004 à : 23.390 actes en 2008, puis à 13 962 en 2009. * Un autre optimisme concerne la baisse des mariages avant la majorité entre 2007 et 2008, avec une amélioration au niveau de l'âge des mineurs qui s'approche de plus en plus de l'âge matrimonial : dans 60% des cas d'autorisation, la mineure ou le mineur est proche de la majorité. * La Polygamie qui n'a jamais constitué un véritable phénomène au Maroc, continue, en vertu de la réforme, de se rétrécir, passant de 0,38% en 2004, à 0,27% en 2008 et à 0,31 en 2009. * Le Divorce : le Talàq (divorce par déclaration) qui a toujours été une arme comminatoire entre les mains du mari, passe de 26.914 en 2004 à 27.904 en 2007, et de 27.935 en 2008 à 24 170 en 2009, marquant ainsi une stagnation générant optimisme, au moins au niveau des recours des maris au Talàq abusif. Mais il ne faut guère croire que c'est le recours à la dissolution du mariage qui a baissé. Il s'agit en fait d'une tendance de plus en plus abondante vers la voie judiciaire (occupant plus de 50% des dissolutions du mariage) qui passe de 7.213 en 2004 à 27.904 en 2007, et 27.441 en 2008 à 24170 en 2009(enregistrant une baisse non négligeable). Et dans le canevas du divorce judiciaire, le Chiqàq reste le plus intenté en 2008, avec un pourcentage de 74,68% du total des cas de divorce judiciaire. Les citoyens et les Organisations Non Gouvernementales ont plus recours au Chiqàq, de la part des deux conjoints (notamment des épouses avec un pourcentage dépassant 65%), par rapport aux autres procédures plus coûteuses et plus aléatoires. En réalité, il n'est fait recours aux autres voies de divorce judiciaire que lorsque la procédure du Chiqàq n'aboutit pas. Six ans après, il est toujours d'extrême actualité de s'interroger sur la concrétisation de la Charte de la famille et de l'esprit des textes (...), en un mot sur la promotion de la famille. A vrai dire, la mise en œuvre du Code de la Famille a ultimement besoin d'une promotion parallèle des valeurs, mais plus encore d'une politique familiale globale, celle de valeurs saines, équitables et pérennes, qui concilient entre valeurs et modernité, à même de permettre la promotion de la famille et d'assurer la paix sociale». En fin de compte, comme dit par Mme Naji, trop de calcul envenime la solidarité familiale et le dévouement n'est ni faiblesse, ni infériorité, ni sujétion.