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Le FMI réfléchit à la configuration future de la politique macroéconomique
Face à la crise économique mondiale qui commence à s'estomper
Publié dans L'opinion le 24 - 02 - 2010

Le 12 février, le FMI a publié une étude intitulée «Repenser la politique macroéconomique», qui fait partie d'une série de documents de politique générale préparés par les services de cette institution. Cette étude recadre la politique macroéconomique et financière à la suite de la crise qui a ébranlé l'économie mondiale.
Plusieurs de ces documents seront examinés lors d'une conférence qui se tiendra ce mois-ci à Séoul, en Corée.
Le Bulletin en ligne a demandé à Olivier Blanchard, l'un des auteurs de «Repenser la politique macroéconomique» pourquoi cette étude était publiée aujourd'hui et dans quelle optique.
M. Blanchard, qui enseignait au Massachusetts Institute of Technology, est devenu Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI en 2008.
Bulletin en ligne : Pourquoi publier aujourd'hui cette étude, qui vise fondamentalement à redéfinir les contours de la politique macroéconomique?
M. Blanchard : Maintenant que la crise commence tout doucement à s'estomper, il est temps de remettre en question ce que nous croyons savoir sur la conduite de la politique macroéconomique. La tentation était grande pour les macro économistes et les décideurs de s'attribuer le mérite de l'atténuation régulière des fluctuations cycliques à partir du début des années 80 et d'en conclure que nous savions comment nous y prendre pour mener une bonne politique macroéconomique. Et nous n'avons pas résisté à cette tentation. La crise nous oblige naturellement à revoir les conclusions que nous avions tirées de cette expérience et c'est précisément ce que nous nous proposons de faire dans cette étude.
Bulletin en ligne : Il s'agit donc d'un mea culpa des économistes?
M. Blanchard : Attention, il est clair que ce ne sont pas les macro économistes qui ont causé la crise. Mais nous nous rendons compte aujourd'hui que les économistes et les décideurs se sont laissés gagner par un faux sentiment de sécurité devant le succès apparent de la politique économique avant la crise. C'est ce qu'on a appelé la période de la «grande modération», pendant laquelle on a réussi à réduire les fluctuations de la production et de l'inflation dans la plupart des pays avancés et à y relever les niveaux de vie. La crise nous a beaucoup appris et nous voulons tirer dès maintenant les enseignements de la «grande récession».
L'objectif de cette étude est de poser un certain nombre de questions fondamentales sur la conception des politiques macroéconomiques. Et de proposer des idées d'amélioration. Pendant la période à venir, il nous faudra poursuivre la réflexion sur les adaptations à apporter aux conseils de politique économique que nous prodiguons aux pays avancés, aux pays émergents et aux pays en développement.
Bulletin en ligne : A quelles conclusions êtes-vous arrivés jusqu'à présent?
M. Blanchard : Les principaux éléments du consensus qui existait avant la crise restent d'actualité. La politique économique doit poursuivre un double objectif : maintenir la production proche du niveau potentiel et faire en sorte que l'inflation reste basse et stable. Et la maîtrise de l'inflation demeure la responsabilité première de la banque centrale. Mais la crise nous oblige à réfléchir à la manière d'atteindre ces objectifs.
Cela dit, la crise a bien montré que les décideurs devaient rester attentifs à de nombreuses autres variables, dont la composition de la production, l'évolution des prix des actifs, et l'endettement des différents acteurs de l'économie. Elle a aussi montré qu'ils pouvaient recourir à un bien plus grand nombre d'instruments qu'ils ne le faisaient avant la crise. Le plus difficile est d'apprendre à faire le meilleur usage possible de ces instruments. Le recours combiné aux outils classiques de la politique monétaire et à la réglementation, ainsi que l'élaboration de meilleurs stabilisateurs automatiques pour la politique budgétaire sont deux pistes de réflexion qui s'annoncent prometteuses.
Bulletin en ligne : Qu'entendez-vous par le recours combiné aux d'outils de la politique monétaire et à la réglementation?
M. Blanchard : Les taux d'intérêt ne sont pas très efficaces pour remédier à l'endettement excessif, à la prise excessive de risque ou aux décalages apparents entre les prix des actifs et les fondamentaux de l'économie. Il faut combiner instruments de la politique monétaire et réglementation.
Par exemple, si l'endettement paraît excessif, il est possible de relever les ratios de fonds propres réglementaires; si la liquidité manque, on peut accroître les ratios de liquidité réglementaires; pour freiner l'emballement des prix de l'immobilier, les quotités de prêts peuvent être diminuées; pour limiter la hausse des prix des actions, il est possible d'augmenter les marges obligatoires. Même si ces mesures peuvent être en partie contournées, elles sont mieux adaptées que le taux directeur pour agir de façon ciblée sur les variables qu'elles visent à influencer.
Il est préférable de se servir du taux directeur essentiellement pour agir au niveau global sur l'activité et l'inflation, et d'utiliser les mesures que je viens de mentionner pour agir plus spécifiquement sur la composition de la production, le financement et les prix des actifs.
Ce recours combiné aux instruments de la politique monétaire et à la réglementation a pour corollaire que les cadres monétaires et réglementaires traditionnels doivent acquérir une dimension macroéconomique. La principale difficulté consiste alors à trouver le bon équilibre entre un système perfectionné, sensible à la moindre évolution marginale du risque systémique, et un système fondé sur des indicateurs de déclenchement simples à communiquer et des règles faciles à appliquer.
Si l'on part du principe que, ensemble, la politique monétaire et la réglementation offrent un large éventail d'instruments cycliques, se pose alors la question de la coordination entre autorités monétaires et autorités de réglementation, ou du regroupement de ces deux fonctions à la banque centrale. Le moment est peut-être d'ailleurs venu d'inverser la tendance à leur séparation.
Bulletin en ligne : Vous dites qu'il faut chercher à comprendre pourquoi, dans de nombreux pays, les banques centrales s'intéressent davantage au taux de change qu'elles ne veulent bien l'admettre et que nous devrions en tirer des conclusions pour la politique économique. Pourriez-vous élaborer?
M. Blanchard : Dans un grand nombre de pays émergents, les autorités monétaires disent pratiquer le ciblage de l'inflation, mais manifestement elles accordent au taux de change une attention qui dépasse son effet sur l'inflation.
Elles ont sans doute de bonnes raisons de le faire. Mais n'est-il pas temps de concilier pratique et théorie, et d'avoir une conception plus large de la politique monétaire, en y voyant l'utilisation à la fois du taux d'intérêt et de l'intervention stérilisée, pour préserver les cibles d'inflation tout en réduisant le coût d'une volatilité excessive des taux de change?
Bulletin en ligne : Les banques centrales ont choisi des cibles d'inflation faibles, voisines de 2 %. Dans votre étude, vous faites valoir qu'il serait peut-être bon de revoir cet objectif. Pourquoi?
M. Blanchard : La crise a montré que les taux d'intérêt peuvent effectivement tomber à zéro et, lorsque cela se produit, c'est une lourde contrainte pour la politique monétaire, car vous n'avez plus aucune marge de manœuvre en période de difficultés.
En toute logique, si avant la crise les taux moyens d'inflation avaient été plus élevés et, par conséquent, les taux d'intérêt nominaux moyens plus hauts, les autorités auraient eu une plus grande latitude pour relâcher leur politique monétaire pendant la crise, ce qui se serait traduit par une dégradation moindre des finances publiques. La question que nous devons nous poser maintenant est de savoir si cela justifie de fixer des cibles d'inflation plus élevées à l'avenir.
Bulletin en ligne : Cela n'est-il pas risqué?
M. Blanchard : La crise a montré que le système n'était pas à l'abri de chocs considérables et que ceux-ci sont bel et bien une réalité. Lors de cette crise, les chocs sont venus du secteur financier, mais ils pourraient très bien venir d'ailleurs à l'avenir — par exemple d'une pandémie qui handicaperait le tourisme et le commerce ou un important attentat terroriste qui ébranlerait un grand centre économique. Les décideurs auraient donc peut-être intérêt à fixer des cibles d'inflation plus élevées en temps normal, de manière à se donner une plus grande marge de manœuvre monétaire face à des chocs de ce type. Concrètement, le coût net de l'inflation est-il plus élevé à, disons, 4 % qu'à 2 %, qui est la cible actuelle? Est-il plus difficile d'ancrer les anticipations à 4 % qu'à 2 %?
En même temps, il est indéniable que le niveau faible d'inflation auquel on est parvenu de façon crédible grâce à l'indépendance des banques centrales est une réussite historique, surtout dans plusieurs pays émergents. Pour répondre à ces questions, il faut donc réexaminer soigneusement la liste des coûts et des avantages possibles de l'inflation. Cependant, il serait bon de se demander si ces coûts sont plus que compensés par la plus grande marge de manoeuvre qui serait disponible en période de crise moyennant un niveau d'inflation légèrement plus élevé.
Bulletin en ligne : La politique budgétaire est de nouveau à la mode à cause de la crise.
M. Blanchard : La crise a redonné à la politique budgétaire une place centrale en tant qu'instrument macroéconomique, et ce pour deux raisons principales. Premièrement, dans la mesure où la politique monétaire, notamment le desserrement du crédit et l'assouplissement quantitatif, avait pour ainsi dire atteint ses limites, les décideurs n'avaient guère d'autre choix que de s'en remettre à la politique budgétaire. Deuxièmement, dès les tout premiers stades de la crise, on s'attendait à ce que la récession se prolonge, de sorte que les mesures de relance auraient largement le temps de produire leurs résultats, même si elles étaient mises en œuvre avec un certain décalage.
La crise a aussi révélé l'importance de disposer d'un «espace budgétaire», c'est-à-dire d'une marge de manœuvre en période de difficultés. Certains pays avancés qui avaient abordé la crise avec un endettement élevé et des engagements non capitalisés n'ont guère été en mesure de recourir à la politique budgétaire et doivent opérer aujourd'hui de difficiles ajustements.
Les pays émergents (dont certains pays d'Europe orientale) qui menaient des politiques budgétaires fortement pro cycliques tirées par des booms de la consommation sont maintenant obligés de réduire leurs dépenses et d'accroître les impôts alors qu'ils connaissent des récessions sans précédent. En revanche, beaucoup d'autres pays émergents étaient peu endettés au début de la crise, ce qui leur a permis de recourir à la politique budgétaire de façon plus énergique sans compromettre la viabilité de leurs finances publiques ni subir par la suite un arrêt brutal des flux de capitaux.
Cela amène à penser qu'il y a peut-être lieu de revoir les ratios dette/PIB retenus comme cibles. Il faudrait peut-être viser des ratios beaucoup plus faibles qu'avant la crise. On mettra du temps à y parvenir, compte tenu de la situation de départ, mais c'est une autre question à réexaminer.
Bulletin en ligne : Que peut-on faire pour rendre la politique budgétaire plus efficace en période de crise?
M. Blanchard : En général, les mesures budgétaires discrétionnaires interviennent trop tard pour contrer le ralentissement parce qu'il faut du temps pour mettre en place des réductions d'impôts ou de nouvelles dépenses. À cet égard, l'idée d'améliorer ce qu'on appelle les stabilisateurs budgétaires est très intéressante. Dans notre étude, nous invitons à envisager sérieusement des mesures qui prendraient effet automatiquement en cas de ralentissement de l'activité et influeraient sensiblement sur l'économie. Par exemple, on pourrait imaginer des mesures fiscales temporaires ciblées sur les ménages à faible revenu, des crédits d'investissement ou des transferts sociaux temporaires qui entreraient en vigueur dès qu'une variable macroéconomique donnée franchirait un certain seuil (par exemple, si le taux de chômage dépassait la barre des 8 %).


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