Projeté dans la section 11e Continent du Festival International du Film de Marrakech 2024, Green Line est une plongée poignante dans l'enfance en guerre, réalisée par Sylvie Ballyot, avec la participation de Fida Bizri. Rencontre avec deux femmes artistes qui explorent les frontières visibles et invisibles entre vie, mort et résilience à travers un récit profondément personnel et universel. Dès ses premières minutes, Green Line impose un ton : celui d'un récit qui transcende l'expérience individuelle pour atteindre une portée universelle. « Le film n'est pas sur la guerre du Liban, mais sur ce que signifie être un enfant dans une guerre, n'importe où dans le monde », explique Sylvie Ballyot. Ce long-métrage de 2h30 navigue entre différentes formes narratives : animation, témoignages documentaires et scènes fictionnelles, un mélange audacieux qui donne vie à l'histoire de Fida Bizri.
« Fida est née en pleine guerre civile libanaise dans les années 70. Aujourd'hui adulte, elle revient sur cette période avec des figurines, représentant les enfants de son passé, pour dialoguer avec des ex-combattants », poursuit la réalisatrice. Ce dialogue intergénérationnel, parfois silencieux, parfois heurté, ouvre une réflexion sur les cicatrices laissées par la guerre et leur transmission.
Green Line : une frontière au cœur du récit
Le titre, Green Line, se réfère directement à la ligne de démarcation séparant Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest pendant la guerre civile. Mais cette ligne symbolise bien plus : elle est aussi la frontière ténue entre vie et mort, enfance et âge adulte, espoir et désillusion. « En temps de guerre, les frontières disparaissent ou deviennent poreuses. La vie et la mort, l'innocence et la violence se confondent », explique Ballyot.
Ce flou est rendu palpable dans le film, notamment à travers des scènes d'animation où l'enfant Fida traverse des espaces imaginaires, grottes de bois, forêts mystérieuses, pour échapper à la brutalité du réel. « Ces séquences symbolisent le refuge mental qu'un enfant crée pour survivre. Dans l'une des scènes les plus marquantes, Fida, menacée par un milicien à la sortie de l'école, sort de son corps et entre dans le regard de l'homme, espérant ainsi échapper à son sort. »
Une parole entre dit et non-dit
Si Green Line explore les traumatismes de l'enfance en guerre, il interroge aussi les silences et les non-dits laissés par les conflits. « Fida dialogue avec d'anciens miliciens, mais tout n'est pas exprimé verbalement. Les regards, les silences portent autant, sinon plus, que les mots », analyse Ballyot.
Dans cette démarche, le film adopte une esthétique immersive et introspective. « Le cinéma permet de capter les émotions dans les silences, les gestes, les visages. Cela crée une connexion immédiate et universelle avec le spectateur », ajoute-t-elle.
Pour les deux artistes, Green Line est avant tout une œuvre sur les frontières, qu'elles soient physiques, émotionnelles ou symboliques. « Les frontières définissent et divisent, mais elles peuvent aussi être franchies, repensées. En état de guerre, elles prennent un autre sens, elles deviennent floues », confie Ballyot.
Ce questionnement dépasse le contexte libanais pour rejoindre une réflexion universelle sur la résilience humaine et l'impact des conflits sur les générations futures. Par cette exploration des limites ; géographiques, intérieures et narratives, Green Line se révèle une œuvre d'une rare intensité, portée par une mise en scène sensible et une parole libre. Le film transcende le cadre de la guerre pour interroger les spectateurs sur leur propre rapport à la frontière, à l'enfance et à l'humanité. Un long-métrage qui, tout en dépeignant les blessures de l'histoire, offre un espace de dialogue et de catharsis.