Bien que son nom ait fait partie du premier peloton d'artistes marocains aujourd'hui célèbres (A. Cherkaoui, Gharbaoui, Zine, Melehi, etc.), le parcours artistique de Youssef Benjelloun a toujours connu des hauts et des bas, voire des éclipses qui l'ont empêché de s'imposer dès les premières heures de l'art contemporain au Maroc. C'est une peinture qui s'est toujours inscrite de manière quasi pléonastique dans le paysage, les scènes de genre et les portraits dont il tire la matière de sa ville natale, Ouezzane. Benjelloun avait aussi, dans sa jeunesse, fait partie de la première « Association des artistes peintres marocains », constituée début de l'année 1961 et dont feu Moulay Ahmed Alaoui était alors le président, comme il avait donné ici et là quelques expositions dont la plupart les médias ont tout juste signalé la tenue. Il s'agit d'une démarche et d'une thématique figurative à caractère largement ethnographique ; elle s'attache tout entière à la description par les traits et la couleur, et essaie de raconter à sa manière un mode de vie aujourd'hui révolu. Une figuration qui ne s'est pratiquement jamais écartée de son centre d'intérêt, celui d'une ville d'antan, toujours présente à la mémoire, que les tableaux évoquent tant bien que mal, à coups de dessins proches de l'esquisse et d'une palette rendue sentimentale jusqu'à la sensiblerie. Ouezzane, petite ville du nord du Maroc connue pour son charme quasi rifain, ses gens qui, à voir les œuvres de l'artiste, semblent être le produit beaucoup de l'espace que du temps, son atmosphère et ses traditions enracinées. Une ville dont Benjelloun a voulu peindre et repeindre jusqu'à saturation les divers aspects sociaux représentés surtout dans les petits métiers et dans la populace, sinon nés de ses souvenirs inventoriés selon les besoins de la cause et typés comme de fameux (ou fumeux) prototypes. L'artiste chercherait à sonder la psychologie de ses personnages ou ce qu'il croit être le cas, n'hésitant pas de s'attaquer à une portraituration où la forme perd nettement en profondeur et le graphisme en conviction. Pour basculer dans un réalisme décharné, aux trouvailles extravagantes et à l'éloquence bavarde. Cela manque réellement d'imagination, et il en est de même dans les natures mortes et les paysages, qui ont pour vocation primaire de célébrer un terroir proche du fantasme au lieu que l'artiste cherche à en transcender l'image par des jeux de lumière et de couleur ciblés. La peinture de Youssef Benjelloun fait ainsi dans la chronique sentimentale et dans une narration vaudevillesque. Se voulant raffinée, la touche finit dans le maniérisme et le décoratif. Les personnages, existant sans doute déjà sur des photos anciennes, affichent une galerie locale aux expressions devenues folkloriques. Pour l'artiste, ils feraient office de repères d'une classe sociale à laquelle il resterait sentimentalement attaché, tellement sa technique résonne de partis pris théoriques. L'ambiance de la vie quotidienne à Ouazzane aurait été du fait recréée avec ses détails, si le traitement de la lumière et des couleurs assurait une réelle réception. Le sens d'observation de Youssef Benjelloun, qui a quand même fait des études d'art, semble tirer profit du seul regard tangible, celui dédaigné par les peintres naturalistes essentiellement tournés vers la mise en valeur de l'aspect émotif des personnages. Benjelloun semble aussi tirer profit de certains effets colorés qui interpelleraient sa nostalgie du temps passé à Ouezzane... Le titre « L'homme penché sur son passé » conviendrait parfaitement à ses thèmes. L'artiste connaît pourtant la valeur illustrative du trait, l'importance sémantique des nuances et des dégradés. Il fait parler toutefois à son art un langage de témoin oculaire, ce qui est complètement démodé. Aussi, ses représentations se donnent-elles comme des références manquées et des réminiscences de fortune. Au point de parler à son endroit d'un amateurisme éclectique, qui serait né de l'enthousiasme. Les figures et les lieux interpellés, pris ensemble, si on compare Benjelloun à d'autres figuratifs marocains qui excellent dans le rendu et jonglent avec l'imaginaire artistique, finissent par basculer dans une création utilitaire parce que décorative et vice versa. L'artiste n'aurait peut-être eu d'autre idée en tête que celle de « réaliser » son projet d'exposition. Le sentiment du « vrai » qui s'en dégage n'est au fond qu'une vue de l'esprit.