Après son retrait du cessez-le-feu, le Polisario n'a atteint aucun de ses objectifs "militaires". Le front refuse toujours les appels de l'ONU. Décryptage. En perte de boussole, l'Envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies, Staffan de Mistura, continue de griffonner ses notes avant de soumettre son fameux briefing aux membres du Conseil de Sécurité, à la veille de la fameuse réunion d'octobre. Quoique traditionnelle et coutumière, cette réunion reste importante dans l'agenda diplomatique et reste suivie avec intérêt par les observateurs, tant elle constitue une sorte de repère dans le chemin sinueux vers une solution tant espérée. Deux questions remontent à la surface chaque année pour savoir quelle sera la teneur de la Résolution proposée par les Etats-Unis (penholder) et si la Russie n'imposerait pas son véto pour que la MINURSO puisse continuer son travail. Le reste, ce sont des formalités diplomatiques qui ne passent pourtant pas inaperçues, surtout lorsqu'un des Etats membres change, ne serait-ce que stylistiquement, la formulation de sa position. Chaque terme compte.
La traversée du désert de Staffan de Mistura Après avoir sondé la diplomatie marocaine qui reste intransigeante sur une solution dans le cadre de la souveraineté du Royaume, avec la participation de l'Algérie aux négociations, Staffan de Mistura est parti à Tindouf où il s'est entretenu avec le chef du Polisario, Brahim Ghali, pour prendre acte de sa position. Là, rien de nouveau. La chimère de l'autodétermination et le refus catégorique de parler du plan d'autonomie restent les derniers mots des séparatistes qui ont perdu tout sens de la réalité depuis longtemps. Malgré son talent diplomatique incontestable, l'émissaire onusien, sur lequel on pariait pour faire la différence, semble réduit à un simple messager, lui dont la mission principale est de ressusciter les tables rondes que son prédécesseur, Horst Kohler, avait réussi remarquablement à lancer à deux reprises en 2018 et 2019. Aujourd'hui, le souvenir du Maroc et de l'Algérie réunis autour d'une table est quasi impensable même s'il n'est pas si lointain. L'espoir d'une solution politique s'éloigne d'un jour à l'autre pour l'émissaire onusien qui semble errer dans une traversée du désert.
Les incartades du Polisario ou l'aveu d'échec de l'ONU Le Polisario continue toujours de s'affranchir unilatéralement du cessez-le-feu sans que les Nations Unies ne fassent un geste fort et ferme pour l'en dissuader. Récemment dévoilé, le rapport annuel du Secrétaire Général de l'ONU, Antonio Guterres, sur la situation au Sahara, est plein d'enseignements sur le marasme ambiant. Il se dit toujours préoccupé. C'est un vocable de prédilection auquel fait recours la communication onusienne pour ne rien dire sur une situation malencontreuse et gênante. Guterres constate avec amertume dans son rapport la poursuite des hostilités et l'absence de cessez-le-feu entre le Maroc et le Polisario. Selon lui, "cela marque un net recul dans la recherche d'une solution politique à ce différend de longue date". Une fois le constat fait, ce que tout le monde sait depuis la libération d'El Guerguerat, le patron de l'ONU fait état de frappes aériennes et de tirs de part et d'autre du mur de sable, qui ne cessent de contribuer à la montée des tensions. "Dans ce contexte, il est primordial de rétablir un cessez-le-feu", plaide-t-il, sans s'attaquer vraiment aux racines du mal. Depuis la libération du passage d'El Guerguerat en 2020, le Polisario se targue ostensiblement de son retrait du cessez-le-feu, alors que le Maroc y reste attaché sous réserve de riposte au nom de la légitime défense, ce qui lui revient de droit. Or, c'est le front séparatiste qui revendique l'initiative de l'attaque en allant jusqu'à tirer des roquettes sur Smara. Un acte face auquel le Royaume a fait preuve d'une retenue proverbiale.
Quand le Polisario rejette les sollicitations de l'ONU Conscientes de l'ampleur du risque d'un engrenage aux conséquences irréversibles, les Nations Unies appellent à la retenue en s'adressant au pluriel, alors que la responsabilité de l'escalade incombe manifestement et individuellement au Polisario depuis le blocage d'El Guerguerat dont la libération n'a été obtenue que grâce à l'intervention ferme du Maroc après des années de tergiversations de l'instance onusienne qui n'a rien fait de concret pour débloquer la situation. Il est curieux quand même que l'ONU fasse un tel constat, aussi impartial soit-il, sans en tirer les conséquences nécessaires. S'il s'avère qu'un des protagonistes, en l'occurrence le Polisario, viole expressément le cessez-le-feu, et le revendique en plus, la condamnation s'impose, ne serait-ce que par des termes diplomatiques. Au contraire, le Secrétaire Général ne va pas si loin et se contente d'un constat aux allures d'un aveu d'impuissance. Restons dans les faits. Selon le compte rendu de Guterres, à la fin de février 2024 et à l'approche du Ramadan, le Chef de la MINURSO, Alexander Ivanko, et le Commandant des Casques bleus se sont sentis tellement préoccupés et ont exhorté, dit-il, les deux parties à cesser les hostilités. La plupart des tirs de part et d'autre du mur de sable signalés à la MINURSO étaient concentrés dans le Nord du territoire, près de Mahbès. Le rapport rend justice au Maroc qui a répondu favorablement, le 26 février 2024, en réaffirmant son engagement à respecter le cessez-le-feu. Par contre, le Polisario a fait l'inverse. Le 13 mars 2024, une lettre parvient au chef de la mission. Le Polisario y dit noir sur blanc qu'une "cessation des hostilités revenait à méconnaître la réalité actuelle sur le terrain". Tout est dit. Le front refuse d'obtempérer aux injonctions de l'ONU qui, pourtant, ne condamne pas ouvertement une telle forfaiture. Le Polisario poursuit sa fuite en avant en persévérant sur la piste terroriste. Maintenant, la situation est d'autant plus préoccupante que le front aurait peut-être accès aux drones. Antonio Guterres dit avoir été informé par les FAR qui auraient quatorze fois signalé des drones d'observation survolant les unités stationnées à Oum Draiga, à 280 kilomètres de Dakhla. Un constat alarmant qui ressuscite le soupçon des livraisons iraniennes. (Voir repères)
Situation sous contrôle Bien que le rapport utilise un ton alarmiste, la situation dans la zone tampon reste, en dépit de la tension ambiante, toujours sous contrôle. "La situation au Sahara occidental est restée caractérisée par des hostilités de faible intensité", note le patron de l'ONU dans son document. Loin d'être une prouesse des Casques bleus, c'est l'Armée marocaine qui fait le job. Grâce à la vigilance des FAR, le Polisario est neutralisé, étant donné qu'il n'ose plus s'aventurer comme avant dans la zone tampon. Les frappes chirurgicales de drones font désormais des incursions près du mur une mission quasi-suicidaire. Le souvenir macabre de la liquidation du soi-disant chef militaire de la sixième région militaire, Abba Ali Hamudi, hante encore le clan de Brahim Ghali. Trois questions à Mohamed Badine El Yattioui : "La faible intensité des hostilités du Polisario explique la faible réaction de la communauté internationale" * Qu'est-ce qui explique que l'ONU n'ait pas encore fermement condamné le retrait du cessez-le-feu par le Polisario ?
En fait, avec les bouleversements de l'agenda international et les embrasements auxquels on assiste en Ukraine et au Proche Orient, la question du Sahara ne semble pas érigée en priorité par les Nations Unies, malheureusement. Aussi, la faible intensité des hostilités menées par le Polisario ne pousse pas l'ONU à réagir très fermement. Ces deux facteurs combinés font que la condamnation onusienne reste très timide et limitée.
* Pourquoi le Polisario continue-t-il sa fuite en avant alors qu'il sait que le retrait du cessez-le-feu est une stratégie perdante ?
Il est clair que la capacité de nuisance du Polisario sur le plan militaire reste si faible qu'il n'est pas en capacité de mener des actions d'envergure. On sait qu'ils ont peut-être des drones, forcément iraniens, mais leur attitude montre qu'ils n'ont pas la force nécessaire pour atteindre leurs ambitions. Seul, le Polisario ne peut rien faire puisqu'il demeure un proxy au service de son parrain.
* Staffan de Mistura peut-il encore faire quelque chose pour relancer les tables rondes ?
Il semble assez difficile d'y parvenir dans le contexte actuel. Le processus onusien est bloqué depuis 2019, du moment que l'Algérie a cessé de coopérer avec l'ONU, sachant qu'elle a participé aux deux éditions précédentes. On voit bien ce changement d'attitude depuis l'arrivée du président Tebboune au pouvoir. C'est une volonté claire du régime algérien qui a fait, il y a longtemps, le choix de rompre tout dialogue avec le Maroc à n'importe quel niveau. Pour le moment, l'émissaire onusien n'a pas pu changer l'avis des Algériens. La dynamique régionale fait que sa marge de manœuvre est très mince pour dégeler le processus politique. Mais, force est de constater que ce blocage dure alors que le Maroc accumule les positions favorables au plan d'autonomie.
Rôle de l'Algérie : Le vœu pieux d'Antonio Guterres Le Secrétaire Général des Nations Unies n'a pas manqué de citer l'Algérie dans son rapport. On ne saurait imaginer un texte si exhaustif sans la moindre mention du voisin algérien dont l'implication directe est un secret de polichinelle. Guterres s'est dit préoccupé par la tension qui persiste entre Rabat et Alger qui ne se parlent plus depuis la rupture des relations diplomatiques, décidée unilatéralement par le régime algérien en 2021. Le patron de l'ONU a encouragé les deux parties à rétablir le dialogue pour réparer leurs relations. Un vœu pieux compte tenu de la situation actuelle où le retour à la raison est le cadet des soucis du régime militaire. Jusqu'à présent, même si la communauté internationale est manifestement convaincue qu'il est temps que les tables rondes reprennent, l'Algérie continue de se cramponner à son statut d'observateur. Du "foutage de gueule" qui paralyse l'action onusienne. Sahara : Des drones iraniens entre les mains du Polisario ? Faute de capacités militaires notoires, le Polisario se contente d'un arsenal archaïque hérité de l'ère soviétique. Avec une poignée de chars désuets, le front séparatiste n'a que les vieux missiles Grad pour tenter des opérations de harcèlement. Ce qui explique son incapacité à augmenter le niveau d'intensité de sa prétendue "lutte armée". Conscients de leurs faiblesses, les leaders polisariens aspirent depuis longtemps à obtenir des drones. En octobre 2022, Omar Mansour, un des leaders de la caste, a fait part de la volonté du front de se procurer des drones qu'il veut utiliser contre les FAR.
Ces drones ne peuvent venir que de l'Iran, seul pays disposé à livrer de tels aéronefs au Polisario, que le régime des Mollahs entraîne par l'intermédiaire du Hezbollah. Le Maroc a, à maintes reprises, mis en garde le régime iranien. L'ambassadeur du Maroc aux Nations Unies, Omar Hilale, avait montré des photos de drones livrés par l'Iran au Polisario dont le prix varie entre 20.000 et 22.000 dollars.
L'ambassadeur marocain avait qualifié la situation de "très dangereuse", rappelant que les FAR se réservent le droit de réagir de la façon qu'elles jugent nécessaire. Cette hypothèse est d'autant plus sérieuse que les milices du front ont affiché des images d'entraînement aux drones de surveillance. Les mêmes que les FAR ont signalés à 14 reprises aux Casques bleus. La grande question est de savoir si l'Iran est directement impliqué et si ses drones peuvent être utilisés à des fins offensives.