Dans les rues de Paris, de New York, de Séoul ou de Rabat, un phénomène s'est installé. Les visages semblent avoir changé, subtilement. Les mâchoires sont plus marquées, les contours plus nets. Bienvenue dans l'ère du « Texas Filler »... Le Texas Filler. Cette appellation vous parle-t-elle? Non cela n'a rien à voir avec le pétrole. Il s'agit plutôt d'une technique d'injection d'acide hyaluronique dont le but est de redessiner la ligne de la mâchoire. Un coup de seringue par-ci, une touche par-là, et le tour est joué ! Voilà que se dessine un visage aux contours plus affirmés, beaucoup plus « instagrammable » mais, de loin, moins réel. Mais d'où vient cette appellation qui fleure bon l'Amérique profonde? Si au Maroc, cette opération reste l'apanage d'une minorité, sur les émissions amerloques de Talk Show, des chirurgiens affirment que des patientes arrivent avec des photos de célébrités, demandant une mâchoire « à la Angelina Jolie ». Une quête du sur-mesure facial qui soulève des questions, dirait-on ! Pour ceux qui veulent aller plus loin, la chirurgie dite « Jaw-Line » qui donne résultat à ce qu'on appelle couramment le « Texan look » propose une solution plus radicale. Ici, le bistouri entre en jeu pour remodeler l'os de la mâchoire. Une intervention qui n'est pas sans risques et qui pose la question des limites de notre obsession pour l'apparence. Du point de vue maxillo-facial, il s'agit d'une décision qui ne doit pas être prise à la légère, car nous parlons, ici, de la modification de la structure osseuse du visage. C'est irréversible. Cette quête d'une mâchoire parfaite n'est-elle pas le symptôme d'un mal plus profond ? Dans une société où l'image règne en maître, où chaque selfie est potentiellement vu par des milliers de personnes, la pression pour correspondre à un idéal esthétique n'a jamais été aussi forte. Du point de vue sociologique, nous sommes toujours dans l'idéalisation des images « instagrammables ». Psychologiquement, tous les spécialistes s'accordent à parler d'hystérie du réel Car ces pratiques révèlent une société où l'apparence est devenue un capital social et économique. L'individu se perçoit comme une marque à optimiser, et son visage devient un produit à marketer. Si ces interventions peuvent sembler anodines, elles ne sont pas exemptes de risques. Car il existe des patients qui deviennent accro à ces procédures, toujours insatisfaits, en quête d'une perfection impossible à atteindre. C'est ce que les psychologues appellent la dysmorphophobie, et c'est un véritable problème de santé psychologique. Alors que ces techniques se démocratisent, on peut s'interroger sur l'avenir. Verrons-nous bientôt dans nos rues une armée de clones aux mâchoires parfaitement dessinées ? Ou assistons-nous simplement à une nouvelle étape dans l'évolution de nos canons de beauté ? Du point de vue anthropologique, les experts entrevoient que « chaque époque a ses idéaux de beauté ». Le Texas Filler ou la Jaw-Line sont, de ce fait, les héritiers d'une longue tradition de modifications corporelles. La différence aujourd'hui réside dans la rapidité avec laquelle ces tendances se propagent, notamment via les réseaux sociaux. Néanmoins, une chose demeure certaine : derrière ces injections et ces coups de bistouri se cache une quête bien plus profonde. Celle de l'acceptation de soi, dans un monde où l'image est reine et où le regard des autres semble peser plus lourd que jamais. Le « Texas Filler » n'est peut-être que le dernier avatars d'une quête millénaire. Reste à savoir si, à force de vouloir parfaire notre image, nous ne risquons pas de perdre de vue l'essentiel : la beauté unique qui réside en chacun de nous. Somme toute, le rôle des praticiens n'est pas seulement technique. Les plus regardants sur le sermon d'Hyppocrate devraient, surtout, être des guides, aidant leurs patient(e)s à trouver un équilibre entre amélioration esthétique et acceptation de soi. Car la vraie beauté ne se résume pas à une mâchoire parfaite, mais à l'harmonie entre l'intérieur et l'extérieur. Dans cette quête de la perfection faciale, prenons garde à ne pas perdre notre âme. Car c'est peut-être dans nos imperfections que réside notre véritable beauté, celle qui nous rend uniques et irremplaçables dans ce monde de plus en plus standardisé. Houda BELABD