Des yeux plus grands, un nez plus fin, une peau lisse, des lèvres pulpeuses, des pommettes saillantes... Un seul clic et la magie des filtres s'opère, mais à quel prix et quelles conséquences ? Impossible aujourd'hui de se passer totalement des réseaux sociaux. Instagram, Tiktok, Snapchat et autres occupent une place de plus en plus importante dans notre quotidien, comme le démontrent plusieurs études, pour ne citer que celle récemment menée par DigitrendZ : 75% des Marocains suivent des influenceurs sur les réseaux sociaux qui sont perçus comme une bonne source d'information, dignes de confiance… Les photos glamour des stars abondant dans ces réseaux font que la beauté devient évaluée au nombre de likes et commentaires positifs, érigeant ainsi une sorte de «perfection» esthétique standardisée. S'il y a quelques années la technologie de retouche était l'apanage de photographes professionnels, l'explosion des smartphones, dans les années 2010, a changé la donne. Un visage «parfait» est désormais à la portée de tout le monde. Un avatar qui fait complexer On ne compte plus les applications dédiées: FaceTune, VSCO, BeautyPlus, Perfect Me, Meitu, WowFace, InstaBeauty..., avec même la possibilité de créer votre propre filtre. Certaines marques profitent de cette «culture du filtre» pour commercialiser leurs produits. L'enseigne de luxe Dior s'est lancée, en 2019, dans le make-up virtuel, proposant un filtre en réalité augmentée pour tester sa nouvelle collection, pour un effet 3D. C'est ce qu'on appelle le digital make-up. Très simples d'utilisation, les filtres de beauté permettent d'agrandir les yeux, de gommer les imperfections de la peau,... Bref, il n'a jamais été aussi facile de correspondre aux standards de la beauté. Mais une fois la magie des filtres retombée, c'est difficile de revenir à la réalité. Le bistouri pour ressembler à ses selfies Pour Amina, 17 ans, rencontrée devant son lycée à Casablanca, plus question de poster une photo sans qu'elle soit retouchée. «Les filtres ont un effet magique, ils camouflent tous les défauts de la peau. Je peux éclaircir mon teint, affiner mon nez, effacer les acnés et avoir une bonne mine», déclare-t-elle. «Sans filtre ni maquillage, mes photos ne vont certainement pas être likées», ajoute la lycéenne. Recourir à la chirurgie esthétique pour ressembler à sa photo retouchée est un pas qu'elle franchirait volontiers. «Je me sens sincèrement frustrée quand je compare ma photo retouchée à mon reflet dans le miroir. Quand j'aurais les moyens, je ne vais certainement pas hésiter», affirme-t-elle. A force de voir leurs visages transformés sur leurs écrans, plusieurs jeunes peinent à supporter leur image «dans la vraie vie», et préfèrent recourir à la chirurgie esthétique pour ressembler à la version retouchée d'eux-mêmes. «Auparavant, les patients arrivaient en consultation pour ressembler à des célébrités. Aujourd'hui, de plus en plus de patients demandent de ressembler à leurs selfies retouchés», nous confie Fahd Benslimane, chirurgien plastique. Lien avec le corps et jugement des autres Ce spécialiste du bistouri se montre néanmoins intransigeant : «Je ne serais pas dans mon rôle si je devais combler tous les désirs des patients, notamment les plus saugrenus. Ma profession consiste à améliorer l'apparence d'un patient dans les limites de ce qui existe de plus beau dans la nature, pas sur les médias sociaux», affirme-t-il. La confrontation entre l'image réelle de soi et la version «améliorée» crée un sentiment de mécontentement, et peut représenter une véritable source de complexe entraînant une obsession démesurée sur le physique, voire de véritables troubles psychiatriques, comme le souligne la psychiatre Lamia Lamrani. «Au cours de l'adolescence, le lien avec le corps connaît un grand changement. En effet, c'est une phase où il se développe rapidement et le jugement des autres prend une place très importante dans la vie des jeunes. Les filtres sur les réseaux sociaux peuvent devenir des miroirs déformants, accentuant ainsi la vulnérabilité psychique de la représentation de soi et de son image», explique-t-elle. Pour les spécialistes, il est important d'encadrer ces pratiques et de s'inspirer des modèles étrangers. Dans le Royaume-Uni par exemple, on vient d'interdire l'utilisation des filtres de beauté aux «influenceurs» s'inscrivant dans une démarche commerciale. Mais de manière générale, ce ne sont pas les filtres de beauté sur les réseaux sociaux qui doivent être questionnés mais leur usage et consommation excessive. Syndrome de la dysmorphie Snapchat La dysmorphie ou dysmorphophobie est un trouble psychiatrique qui se traduit par une obsession focalisée sur des défauts perçus au niveau de l'apparence physique : un nez trop gros, ou bouche trop petite…. Ainsi le définit la psychiatre Lamia Lamrani. La spécialiste estime que «l'utilisation excessive des filtres sur les réseaux sociaux, notamment sur l'application Snapchat (ce qu'on appelle le syndrome de la dysmorphie Snapchat), accentue ce sentiment d'infériorité et d'auto-jugement constamment négatif, en se comparant à ces normes de beauté irréalistes». La personne s'habitue à une image retouchée et a du mal à partager des photos sans filtres, par «peur» de ne pas être «validée» et donc recevoir un maximum de commentaires sur son physique. Dr Lamrani souligne l'importance «de sensibiliser les jeunes sur la fausseté de ces filtres comme standards de beauté, parce qu'il n'en existe pas, mais aussi de les sensibiliser sur leur impact négatif sur la santé mentale, quand l'usage est excessif. Le dialogue et la communication autour de ce sujet doivent commencer très tôt, car l'individu se crée une représentation de soi dès son enfance».