« Je venais de sortir d'une rupture douloureuse lorsque je l'ai détecté sur un groupe de rencontre facebook. J'étais tout de suite séduit par sa beauté et sa douceur. Nos échanges se sont multipliés au fil du temps pour nous lier davantage. Au début, je faisais chaque jour un tour sur son mur pour admirer ses belles photos, mais rapidement ça ne me suffisait plus. Nous avons alors commencé à faire des appels vidéo parce qu'elle habitait à Tanger et moi à Casablanca. Comme sur ses photos, elle était aussi belle lors de nos appels vidéo », nous raconte, un tantinet amusé, Mehdi. M.I. Mais derrière les rires ponctuant son récit, le jeune homme n'arrive pas à cacher sa grande déception. Pièges « Je suis tombé amoureux d'elle et j'ai proposé de lui rendre visite à Tanger pour se voir en direct et réfléchir à l'avenir de notre relation. Elle a accepté. Le week end d'après j'arrive et je la vois enfin. Je n'aurais pas du y aller ! », regrette-t-il. « Elle était tout sauf ce que je voyais sur les photos et sur les vidéos. Je n'en croyais pas mes yeux !!! J'ai failli la rater alors qu'elle était devant moi tellement elle ne ressemblait pas à celle que je fréquentais virtuellement depuis trois mois », décrit, déçu, Mehdi. Il avoue qu'il n'a pas pu jouer la comédie et qu'il n'a même pas pu passer la journée en sa compagnie comme prévu. « Dans le train, j'étais toujours sous le choc. Je l'ai hais car elle m'a arnaqué et avant même d'arriver à Casablanca, je l'ai déjà bloquée partout : facebook, messenger, Instagram, Whatsapp.. », conclut le jeune homme avec amertume. Comme Mehdi, ils sont nombreux les jeunes hommes mais aussi les jeunes femmes à être déçus par la réalité de leurs « crashs » virtuels. Devenus lieux privilégiés pour les rencontres, les réseaux sociaux s'apparentent de plus en plus à des pièges, comme le soutiennent les internautes ayant déjà expérimenté ce type de déception. Les récits et les anecdotes sont légion sur les groupes pour dénoncer « l'arnaque aux filtres ». Des publications et des hashtags se multiplient pour mettre en garde contre « la beauté illusoire » des filtres. Réalité augmentée « Il n'est plus question de prendre une photo sans un filtre pour se rendre plus beau. C'est devenu un besoin, une nécessité », note Nadia Mouatassim, psychologue clinicienne. Mais comment une simple « mode » de filtres à selfie peut-elle se transformer en une addiction au point de ne plus arriver à s'en passer ? « A force d'utiliser ses filtres, on en devient accro surtout à l'image « idéale » de soi qu'ils renvoient », analyse la psychologue. Applications à l'appui, se faire plus beau, plus amusant, plus séduisant est devenu si simple et si facile qu'il est si difficile d'y résister. Snapchat, Instagram, FaceApp... les internautes n'ont plus qu'à télécharger ces applications sur leurs smartphones, pour se « faire » un nouveau visage à leur goût. « Plus besoin de chirurgie esthétique couteuse pour se faire une peau parfaite, une bouche à la Angelina Joli ou des pommettes de Gigi Hadid. En un clin d'œil, on devient ce qu'on a toujours rêvé d'être. Les jeunes et les adolescents sont les « cibles » les plus vulnérables et les plus réceptives à ce genre d'illusion », nous explique la clinicienne. Addiction Sans se rendre compte et au fil des selfies, les utilisateurs de filtres deviennent accros à la technologie de la réalité augmentée. Un concept qui était jusqu'à dernièrement l'apanage des studios de magazines de mode et de cinéma et qui est aujourd'hui largement démocratisé grâce à ces applications. Cédant au chant des sirènes, de simples internautes vont se livrer à cet exercice jusqu'à alors réservé aux stars. « On idéalise les idoles qu'ils soient des acteurs, des top models, des sportifs ou même des influenceurs et des youtubeurs. Les internautes ont envie de leur ressembler et aspirent à l'image parfaite qu'ils renvoient. Ces filtres arrivent à satisfaire ce besoin », nous explique Mouatassim. Mais cette satisfaction ne se limite pas à l'envie de ressembler à sa star préférée. Causant des troubles obsessionnels à long terme, ces filtres vont déformer l'image de soi. « A force de les utiliser, ces filtres vont brouiller dans l'esprit de leurs utilisateurs les limites entre réalité et fantasme. On est tellement subjugué par la beauté et la perfection du selfie amélioré, qu'on n'arrive plus à s'en dissocier ; comme c'est le cas pour la copine de Mehdi qui, même lors des appels vidéo, n'a pas pensé à enlever les filtres », nous explique la clinicienne. Dysmorphophobie Une analyse qui rejoint les résultats d'études américaines démontrant que ces filtres à selfie favorisent la « Dysmorphophobie » chez les jeunes. Un trouble obsessionnel qui pousse les utilisateurs de ces filtres à faire une fixation sur un défaut physique léger ou inexistant ; d'où le besoin persistant de garder, en permanence, ses masques virtuels et retouchés. D'après une autre étude américaine datant de 2017, 80% des personnes souffrant de dysmorphophobie ont des idées suicidaires et ceci durant toute leur vie. Les chercheurs affirment d'ailleurs que pour lutter contre ce trouble obsessionnel, il faut passer par des thérapies psychologiques et des antidépresseurs. Un réel danger qui se cache derrière l'aspect anodin et amusant, ces filtres menacent la santé mentale des utilisateurs tout en minant l'authenticité des relations avec autrui. Une véritable arnaque envers les autres mais surtout envers soi même.