Face à une pénurie chronique de talents dans des secteurs clés, les pays occidentaux multiplient les initiatives pour attirer les bons profils marocains. Une situation qui menace le développement socio-économique du Royaume. Eclairage. Avec une pénurie persistante dans des domaines clés tels que les sciences, la technologie, l'ingénierie ou encore la médecine, les pays du Nord multiplient les initiatives pour attirer les étudiants en provenance des pays nord-africains. Ce phénomène n'épargne pas le Royaume, comme en témoignent les 700 médecins marocains qui décident de quitter le pays chaque année en raison de conditions de travail jugées « déplorables ». Un chiffre qui représente environ 30% du total des médecins diplômés des Facultés marocaines. La situation est tout aussi préoccupante pour les ingénieurs, avec un total de 2.000 à 3.000 migrants par an. De plus, le secteur du Tourisme voit 30.000 travailleurs partir à l'étranger pour diverses raisons chaque année. La situation peut devenir encore plus inquiétante avec les nouvelles facilités de visa étudiants annoncées par certains pays européens. Le 17 juin dernier, l'Ambassade de France au Maroc a lancé une initiative visant à faciliter les démarches de visa pour les diplômés marocains de l'enseignement supérieur français. De son côté, l'Allemagne prévoit la mise en vigueur de nouvelles lois favorisant la naturalisation de nombreux immigrés, dont des Marocains. Ces amendements, tels que la réduction de la durée de résidence requise pour demander la citoyenneté, passant de huit à cinq ans, voire trois dans certains cas, ainsi que l'exemption de l'obligation de passer le test de langue pour certaines catégories, notamment pour les travailleurs qui ont émigré en Allemagne lors de périodes antérieures, et qui sont particulièrement recherchés.
Alerte rouge !
Pour Abdelfattah Ezzine, professeur-chercheur en sociologie à l'Université Mohammed V de Rabat, les initiatives des pays occidentaux, notamment la France, s'expliquent par leur besoin croissant en main-d'œuvre qualifiée. « Les ressources fournies par le système de santé français offrent des opportunités de recherche incomparables. De plus, des financements et des infrastructures plus développés favorisent la recherche et contribuent au progrès médical, ce qui fait défaut dans notre pays, malheureusement », explique-t-il. Ces nouvelles facilités de visa mises en place par les pays du Nord ont, par ailleurs, des implications profondes sur la fuite des cerveaux, souligne notre expert, étant donné que « pour les ingénieurs et les médecins marocains, les perspectives en termes de carrière et développement personnel sont plus attrayantes». Ces opportunités augmenteront inévitablement l'exode des compétences, privant ainsi le Maroc de talents essentiels à son développement socio-économique.
À court terme, cette fuite des cerveaux entraîne une surcharge de travail pour les professionnels de la Santé et les ingénieurs restants, augmentant ainsi les risques de burn-out et diminuant la qualité des services offerts. Les hôpitaux et les infrastructures techniques du pays souffrent d'un manque de personnel qualifié, ce qui se traduit par une réduction de l'efficacité des soins de santé et de la réalisation des projets d'ingénierie. À long terme, les conséquences sont encore plus alarmantes. « La perte continue de talents dans des secteurs cruciaux freine l'innovation et la croissance économique », explique Ezzine, donnant l'exemple du système de Santé publique « qui pourrait se détériorer davantage avec une incapacité à répondre aux besoins croissants de la population ». De même, le retard accumulé dans le développement des infrastructures et des technologies pourrait mettre le Maroc en position de dépendance accrue vis-à-vis de l'étranger pour ses projets de développement. Cette fuite des cerveaux compromet également la transmission du savoir et des compétences aux nouvelles générations, rendant difficile la formation d'un vivier de talents locaux capables de soutenir le développement du pays, alerte le sociologue.
Des étudiants et employés marocains d'ici et d'ailleurs
La fuite des cerveaux marocains ne se résume pas qu'à des chiffres alarmants et des politiques d'attraction des pays occidentaux. Elle se raconte aussi à travers les histoires et les témoignages de ceux qui ont décidé de partir et de ceux qui sont restés dans la mère-patrie. « Les choix limités, les salaires, les privilèges... je peux vous énumérer d'innombrables raisons ayant motivé mon choix de quitter la Motherland », avance Aya, 23 ans, lauréate de l'Académie Internationale Mohammed VI de l'Aviation Civile (AIAC), où elle a obtenu son diplôme en données et Intelligence Artificielle en génie industriel, et actuellement Data Analyst en France. « Les stéréotypes de la vie en rose marocaine ne me conviennent pas, alors qu'ils ne sont réalisables qu'avec un crédit bancaire qui t'étouffe à mourir, sans mentionner les plans de carrière non envisageables », ajoute-t-elle. Manar, ingénieure en informatique de 23 ans et amie d'Aya, a suivi un parcours similaire, mais avec une trajectoire unique. Elle a décidé de quitter le territoire national dès sa deuxième année pour effectuer un stage en Martinique, avant de partir à Nice pour ajouter une année supplémentaire d'études à son CV. « Mon installation dans le nouveau pays n'a pas été sans défis. Les démarches administratives ont été particulièrement compliquées et chronophages, avec de nombreuses formalités à remplir pour obtenir les visas et les permis de travail nécessaires. Mais je ne suis pas ingrate. Professionnellement, mon expérience à l'étranger m'a permis d'acquérir des compétences pratiques et théoriques précieuses. J'ai eu l'opportunité de suivre des formations avancées et de participer à des stages dans des entreprises de renom, ce qui a considérablement enrichi mon CV et renforcé mes compétences », nous confie-t-elle. Gardant un amour profond pour son pays natal, Manar espère rentrer un jour, même si cela pourrait être dans un futur lointain. « Si je le fais, ce sera probablement en tant qu'investisseur. J'aimerais pouvoir aider mon pays en utilisant les compétences et les expériences que j'ai acquises à l'étranger », indique-t-elle sur un ton nostalgique. À côté des deux amies, un troisième interlocuteur, Reda, 23 ans également, décide de se joindre à la conversation à la dernière minute. « J'ai réussi à intégrer une grande entreprise de mon secteur avec des projets bien plus intéressants que ceux que j'aurais pu trouver au Maroc. C'est une entreprise qui valorise énormément les talents et offre un accompagnement rare dans notre pays », explique-t-il entre deux bouffées de cigarette. Résidant à Casablanca, Youssef, 27 ans, ingénieur en test et automatisation des systèmes, a choisi malgré tout de rester. « Avec les multiples complications dans les procédures pour obtenir un visa, je préfère de loin ne pas subir la vision sélective que les Français exigent. De plus, je suis l'aîné de ma famille et ils dépendent de moi pour de nombreuses affaires », nous confie-t-il, un brin de résignation dans la voix. « Je travaille déjà pour une société française installée au Maroc, et je peux vous assurer qu'ils nous traitent comme des employés de deuxième degré, alors que nous accomplissons bien plus de tâches que la norme », ajoute-t-il, illustrant ainsi la réalité amère de nombreux jeunes talents marocains tiraillés entre rêves et responsabilités. Ces récits personnels mettent en lumière les défis et les espoirs des étudiants et des professionnels marocains, reflétant une réalité complexe où aspirations individuelles et enjeux nationaux se croisent. Trois questions au Pr Abdelfattah Ezzine : « Adopter une vision de « Brain Gain » pour transformer la fuite des cerveaux en atout national » * Quelles mesures concrètes pourraient équilibrer la coopération migratoire entre le Maroc et les pays du Nord, tout en préservant les talents marocains et en répondant aux besoins européens ? Il est nécessaire d'introduire plus d'initiatives et de politiques publiques, car il y a actuellement une pénurie dans ce domaine. Nous devons adopter une vision de «Brain Gain», où nos talents reviennent au pays après avoir acquis des compétences à l'étranger. Et même sans revenir physiquement, ils pourraient, depuis leur pays d'installation, contribuer à la formation et à l'accompagnement de toute une génération de Marocains.
* Quelles stratégies le Maroc pourrait-il adopter pour retenir ses talents et inciter les étudiants et les professionnels formés à l'étranger à revenir et contribuer au développement du pays ? Il est crucial de développer des incitations fiscales et financières pour encourager les retours et les investissements locaux. De plus, améliorer les infrastructures de recherche et d'innovation serait essentiel pour offrir des opportunités attrayantes. La mise en place de programmes de mentorat et de réseaux professionnels faciliterait également l'intégration des compétences acquises à l'étranger
* Comment les politiques éducatives au Maroc peuvent-elles évoluer pour mieux préparer les étudiants aux opportunités locales et réduire l'attrait de l'émigration vers les pays du Nord ? Le Maroc doit moderniser le curriculum en intégrant des compétences pratiques et des formations en technologies émergentes, en phase avec les besoins du marché local. Promouvoir les partenariats entre les Universités et les entreprises marocaines favoriserait également une meilleure adéquation entre l'éducation et l'emploi. De plus, encourager l'entrepreneuriat et l'innovation dès le parcours scolaire, avec des programmes de soutien et de financement pour les jeunes entrepreneurs, permettrait de créer un écosystème dynamique et attractif Médecine : Le Maroc face à un grave déficit de personnel Le Maroc fait face à une crise majeure dans son système de santé, caractérisée par un déficit alarmant de personnel médical. Actuellement, il manque près de 32.000 médecins et 65.000 infirmiers pour répondre aux besoins des hôpitaux du pays. Le rattrapage de ce déficit reste un défi monumental. Le gouvernement marocain s'est fixé un objectif ambitieux : atteindre le nombre de 90.000 médecins d'ici 2025. Cet objectif vise à aligner le Maroc sur les normes de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui recommande un seuil de 24 professionnels de santé pour 10.000 habitants. Cependant, la réalisation de cet objectif s'annonce difficile. En 2024, la Loi des Finances a permis la création de 5.500 nouveaux postes budgétaires dans le secteur de la Santé publique. Depuis l'arrivée du gouvernement actuel, ce sont 16.500 postes qui ont été créés, un chiffre encore loin des besoins nécessaires pour atteindre les standards internationaux. Le Maroc place de grands espoirs dans la formation de nouveaux médecins. Toutefois, la capacité des Facultés de médecine demeure limitée. Actuellement, ces établissements forment 1.400 médecins par an, alors qu'il en faudrait environ 3.000 pour combler le déficit annuel. Etudes en Allemagne : Les Marocains parmi les 1ères nationalités représentées Les données compilées par Studying-In-Germany révèlent que les étudiants marocains figurent parmi les principales nationalités choisissant l'Allemagne comme destination d'études. Au cours de l'année universitaire récente, il y a eu 7.045 étudiants marocains inscrits dans les Universités allemandes. Ce pays s'affrme de plus en plus comme une destination d'études de choix pour les étudiants internationaux ambitieux, rivalisant avec les Etats-Unis, le RoyaumeUni, le Canada et l'Australie. En 2017, il a atteint son objectif d'accueillir 350.000 étudiants internationaux, soit trois ans plus tôt que prévu. Selon la dernière édition de « Wissenschaftweltoffen », pour l'année 2022/2023, sur une population totale de 2,8 millions d'étudiants en Allemagne, 458.210 étaient des étudiants internationaux. Avec 7.045 étudiants, le Royaume représentait 1,9 % de la population totale d'étudiants internationaux en Allemagne pour l'année universitaire 2022/2023, se classant ainsi 13ème parmi les pays d'origine. Le nombre d'étudiants marocains en Allemagne a connu une augmentation notable. En 2018/2019, il y avait 5.297 étudiants marocains, soit 1,9% de la population étudiante internationale. Ce chiffre est passé à 6.195 en 2020/2021 et à 6.573 en 2021/2022. En 2022/2023, les 7.045 étudiants marocains représentaient près de 2,0% de la population étudiante internationale. Au cours des cinq dernières années, le Maroc s'est constamment classé parmi les principaux pays d'origine des étudiants internationaux en Allemagne. En 2019/2020, le nombre d'étudiants marocains était de 5.555, représentant 1,8% de la population étudiante internationale.