Le musée ethnographique de Ben Msik est un projet actuellement à l'état d'embryon, initiée par la faculté de Ben Msik en partenariat avec l'université américaine Kennasaw State University de Géorgie. Une manifestation inaugurale retraçant les grandes lignes de ce projet a été organisée à la Faculté de lettres de Ben Msik de Casablanca jeudi 17 décembre. Il s'agit d'une exposition de panneaux qui relatent, textes et photos à l'appui, les grandes lignes du projet ambitieux qui doit comporter différents thèmes relatifs à la mémoire de la périphérie de Ben Msik en tant qu'entité de quartiers populeux : art culinaire, personnalités locales, architecture, vie quotidienne, vie religieuse, traditions, rêve casablancais, Casablanca et ses banlieues etc. Premier du genre apparemment au Maroc, ce projet de musée de quartier aura un objectif éminemment éducatif. Par la même occasion il ne manquera pas d'essayer de donner une image positive d'une périphérie de Casablanca souvent dépréciées, voire décriée, parfois considérée comme ramassis de constructions de la marge livrés aux dépotoirs et où végètent une population de laissés pour compte en velléité de dissidence. Encore faut-il que le musée, une fois réalisé, soit convaincant. Si convaincant que les habitants des quartiers de Ben Msik s'y reconnaissent et se l'approprient symboliquement. Mémoire de quartier Mais pour l'instant le musée en question est encore à l'état embryonnaire ou plutôt virtuel comme aime à dire Abdelouahab Dbich professeur d'histoire, l'un des trois initiateurs du projet au sein de la faculté de lettres de Ben Msik avec Samir El Azhar prof au département d'anglais et Leila Meziane prof d'histoire. Rien de concret n'est encore réalisé : pas encore de lieu désigné pour accueillir le musée et pas de symboles ethnographique à y exposer évoquant précisément la mémoire des quartiers laquelle reste encore à reconstituer. « La mémoire des quartiers fait partie de la culture orale qu'il va falloir recueillir et c'est pour ça qu'une équipe d'étudiants du département d'histoire est à pied d'œuvre pour rassembler en un sondage la mémoire des lieux auprès des habitants» indique Abdelwahab Dbich. Ces documents oraux seront dépouillés et corroborés par des documents iconographiques qui racontent, par l'image, les quartiers de Ben Msik depuis que l'emplacement de ces derniers ne représentait que des terrains agricoles jusqu'à aujourd'hui où les constructions ont tout envahi souvent sans laisser la place à la verdure. Aucune date n'est avancée pour la collecte de ces tranches de mémoire de quartiers par les étudiants. Par contre on annonce la publication par la Faculté, fin 2010, d'un ouvrage sur la mémoire collective de Ben Msik avec les contributions des trois initiateurs du projet. Pour en revenir à l'exposition inaugurale du projet, il semble d'après les panneaux exposés que l'on déborde du cadre limité aux quartiers de Ben Msik pour parler de Casablanca en général. Or il s'agit ici précisément de projet de musée d'une région déterminée, la région de Ben Msik. Celle-ci serait plutôt difficile à délimiter. C'est traditionnellement la région la plus peuplée au point qu'on l'a scindée en deux préfectures. Avant, cette région comprenait le célèbre souk de Chtaiba qui existe toujours adossé au vieux quartier Hay Mabrouka à quelques encablures du cimetière des Shuhada, les bidonvilles Carrières Sidi Othmane et Carrières Ben Msik, Hay Lalla Meriem, les premières petites maisons cubiques de Sbata qui connaîtra par la suite des extensions de Jamila 1 à Jamila 5 et les anciens immeubles de Bournazel. Ensuite il y eu les Hay Salama, Moulay Rachid, Falah, Massira, Hay Sadri puis Salmia et Lahraouiyyine comme extension. Ben Msik est donc un espace qui s'est toujours étendu à partir du cimetière Shuhada et qui continue de s'étendre vers un autre cimetière plus récent al-Ghoufrane même si on délimite administrativement le territoire. L'agglomération est reconnu aussi par son seul cinéma Othmaniä fermé depuis des année et à l'abandon, ses boulevards Joulane, Nil et Harti où circulent des dizaines de calèches de Eddayma, marché de gros jusqu'à Tacharouk en passant par les facultés des sciences et lettres. Objectif éducatif Des noms de quartiers et de souks symbolisent et englobent cet espace par métonymie comme souks Chtaiba qui était dans les années 50 et début 60 du siècle dernier un Jama Lfna en miniature avec ses conteurs et saltimbanques à côté de l'immense Kariane Ben Msik, souk Koréa de Sbata Bd Harti (à ne pas confondre avec le fameux Koréa' de Derb Soltane) et où l'on pouvait acheter des fruits et légumes très bon marché, le cimetière de Sbata dit Eddayma, le mythique souk Larbaa marché hebdomadaire qui se tient chaque mercredi, célèbre comme le plus grand marché des nippes à Casablanca qui se tient toujours aujourd'hui à ciel ouvert à quelques encablures de Lahraouiyyine et nom loin du marché de gros des fruits et légumes plus récent (1986). Le marché des nippes a vu son emplacement toujours reculé au gré du recul de la périphérie. En occupant l'espace les constructions le repoussent ailleurs en marge de la périphérie. Et aussi les terrains de foot, celui de la Jeunesse et sport, celui de Lahlib (centrale laitière) appelé Tessema du nom du célèbre joueur éthiopien, celui de Hay Salama dit terrain Baddaz nom collé dans le passé par la mémoire populaire parce qu'un vieux gardien fan du foot apportait régulièrement aux joueurs en fin de match un grand plat de couscous baddaz à base de maïs. « L'objectif du musée est essentiellement éducatif » disent les initiateurs du projet soit une. Abdelouahed Dbich explique que la configuration des quartiers de Ben Msik fait qu'ils étaient habités par des familles « réfugiées » venues de diverses régions du Maroc pour s'installer à Casablanca formant une mosaïque complexe et riches du Maroc apportant avec elles leur savoir-faire de la région natale, arts de vivre, sensibilité, coutumes, traditions. Mais ce n'est certainement pas le propre de Ben Msik car il en est de même en ancienne médina, Hay Mohammadi et d'autres grands quartiers. La mémoire du lieu dépend de l'interactivité entre l'héritage apporté par les populations et les effets d'enracinement dans l'espace et environnement nouveaux. Il s'agit d'une population à l'origine d'ouvriers, artisans, petits commerçants à la sauvette, petits fonctionnaires. Une population d'où devait émerger des résistants, des syndicalistes, des footballeurs et autres personnalités. Il y a là de quoi, selon Dbich, déboulonner quelques stéréotypes sur la périphérie. Il ne fait pas de doute qu'un musée réussi et très ouvert sur l'environnement du quartier en plus de l'objectif éducatif pourrait avoir aussi, par la force des choses, un rôle de réhabilitation des quartiers qui se retrouvent avec une identité et une histoire. Surtout que certains d'entre eux se sont bâtis, tout au long des décennies, au même titre qu'une certaine périphérie en déshérence, une réputation plutôt sombre comme Moulay Rachid. Cette réputation de quartiers chauds sous haute tension par la violence du fait surtout de la délinquance et du trafic de drogue est aggravée par le peu valorisation voire l'abandon des collectivités locales qui favorisent des quartiers sans âme dépourvus d'infrastructures de base pour respirer (Bibliothèques, espaces verts...) Tout compte fait un musée introduit une très bonne réflexion sur le fait urbain. Mais une bonne structure de ce genre ne pourrait réussir sans implication, association d'une manière ou d'une autre des habitants ciblés par ce projet très porteur en symboles et en avenir.