Après une longue polémique, le Statut Unifié des fonctionnaires de l'Education nationale a été gelé, en attendant sa révision. Le gouvernement et les syndicats les plus représentatifs du secteur préparent leurs cartes pour le prochain round du dialogue. Après trois mois de grève, le gouvernement et les syndicats les plus représentatifs du secteur de l'Education se sont réunis pour mettre fin à la crise qui a coûté au secteur plus de 8 millions d'heures de classe, hypothéquant le futur de quelque 7 millions d'élèves. Empruntant une posture d'équilibriste, le chef de l'Exécutif s'est plié en quatre pour ménager le chou et la chèvre, dans un nouveau round du dialogue qui s'annonce houleux. Comme premier geste de bonne foi, le gouvernement a décidé de geler le nouveau Statut Unifié des fonctionnaires de l'Education nationale « en attendant sa révision ». Une décision accueillie à bras ouverts par les syndicats, qui se sont félicités de « l'interaction positive » du gouvernement avec les revendications présentées pour améliorer les conditions des enseignants. Il n'en demeure pas moins que l'Exécutif s'attend en retour à une reprise imminente des cours. « Nous entamons une nouvelle dynamique de dialogue qui devra se traduire par un retour en classe », a déclaré Akhannouch, à l'issue de sa rencontre avec les représentants des enseignants.
Plus de concertations, plus d'équité !
« Outre le gel du Statut, la réunion s'est soldée avec trois autres acquis importants », nous déclare le secrétaire général du Syndicat national de l'éducation (CDT), Younes Firachine. Le premier concerne la fin des retenues sur les salaires. En effet, le chef du gouvernement avait affirmé que celles-ci étaient effectuées selon une procédure administrative conformément à la loi en vigueur. Il est donc difficile de revenir sur cette décision. Cependant, Akhannouch a précisé que « ce point sera discuté dans le cadre de la commission interministérielle chargée du dossier pour alléger ces retenues à même de les dépasser dans l'avenir ». Le deuxième acquis, selon Firachine, est la question des salaires, qui devraient faire l'objet d'une valorisation. Puis le dernier point concerne la deadline fixée avec le gouvernement pour que ce dossier ne s'éternise pas. « Nous avons donc un peu plus de 45 jours pour élaborer un nouveau projet de texte, qui serait adéquat aux attentes de tous », précise notre interlocuteur. Il s'agit d'un pas positif en vue d'apaiser la situation dans le secteur, selon Youssef Allakouch, secrétaire général de la Fédération Autonome de l'Enseignement (UGMT), qui souligne l'impératif d'œuvrer pour une solution définitive à ce dossier. Confortant les acquis cités par ses homologues, Miloud Maassid, secrétaire général de la Fédération nationale de l'enseignement (UMT), nous résume que la philosophie des syndicats pour la prochaine mouture du statut tourne autour de l'équité, notamment salariale. Les syndicats de l'enseignement, signataires de l'accord du 14 janvier 2023, affirment que les salaires des enseignants devraient être alignés à ceux de tous les fonctionnaires de l'Etat, pour ne pas dire plus. « L'écart par exemple entre le salaire des fonctionnaires échelle 10 des ministères de la Justice, de la Santé ou encore des Finances et celui de l'Enseignement est abyssal », déplore Younes Firachine, indiquant que sous d'autres cieux, le corps éducatif profite d'un traitement souvent spécial. « Outre l'équité, aujourd'hui, il faut chercher à booster l'attractivité de ce métier. Que l'enseignement ne soit plus un dernier recours pour les diplômés n'ayant pas trouvé un emploi », ajoute le SG du syndicat affilié à la CDT. En début de mandat, le ministre de l'Education, Chakib Benmoussa, avait clairement exprimé sa volonté de fixer le cap de l'excellence. Il a même soulevé le seuil d'éligibilité à l'enseignement public. Sauf que l'attractivité du secteur commence, selon les syndicats, par le salaire. « Le parcours de l'enseignant est particulier, puisqu'il intègre la fonction entant que BAC+3, il fait ensuite une année de formation dans les centres régionaux de l'Education, puis une autre année de formation au sein des classes. In fine, on se retrouve avec des profils équivalents à BAC+5, qui perçoivent un salaire de 5000 dirhams, plus ou moins. C'est triste », tranche notre syndicaliste. Si d'aucuns estiment que les enseignants touchent moins que les autres fonctionnaires en raison de la masse horaire travaillée quotidiennement, les syndicats avancent le contraire, soutenant que le métier d'enseignant ne se limite pas à « faire la classe ». « Ils doivent préparer des fiches pédagogiques pour chaque séance, corriger les exercices et les examens, des fois pendant les vacances, ce qui requiert beaucoup d'heures de travail », nous explique Firachine, ajoutant que certains pays ont mis en place des mécanismes pour comptabiliser ces heures hors-classes.
Détermination des fonctions et des statuts Par ailleurs, les syndicats s'attendent à une précision au niveau des fonctions et prérogatives des enseignants. L'idée, selon nos interlocuteurs, serait d'établir un texte général qui définit les grandes fonctions pédagogiques de l'enseignant, ensuite, le compléter par un décret d'application qui s'attaque aux détails de la chose. « Dans l'ancien régime, l'enseignant disposait de deux fonctions principales, aujourd'hui, il se retrouve avec six, sans plus-value financière. Il est tout à fait normal de modifier ce point », nous explique le syndicaliste. Pour ce qui est des sanctions, les quatre syndicats estiment qu'elles doivent être discutées dans le cadre du Statut Général de la Fonction Publique. Concernant la problématique des enseignants dits "ex-contractuels" et qui revient souvent dans les débats, Miloud Maassid nous confie que ce dossier a soulevé beaucoup d'incompréhension car « le texte du Statut Unifié, tel qu'adopté par le gouvernement, n'a pas été clair. Raison pour laquelle nous sommes pour que cette catégorie soit intégrée dans la Fonction publique de façon claire et sans équivoque ». L'article 1 fait référence au corps des enseignants comme « ressources humaines ». Les syndicats refusent cette appellation et appellent à la remplacer par « fonctionnaires » tout court.
3 questions à Mohammed Khafifi " Une révision globale qui comprend tous les articles du Statut est de mise" Le Statut Unifié est maintenant gelé en attente de l'issue des négociations, quelles sont les revendications que vous allez mettre sur la table à partir de la prochaine réunion ? La réunion du lundi a été une occasion de se mettre d'accord sur un certain nombre de principes qui serviront de base aux négociations. Ceci dit, nous sommes parvenus à une base de dialogue autour de quelques revendications essentielles, telles qu'explicitées dans le communiqué final. En ce qui concerne les réunions à venir, nous plaidons pour la révision pure et simple de l'ensemble des articles du texte du Statut Unifié sans exception afin qu'il y ait une refonte globale. Nous allons revoir le texte de l'article 1 jusqu'au dernier, de sorte à éviter les malentendus qui ont eu lieu durant les pourparlers précédents. Pour nous, il est essentiel de revoir la question de l'encadrement des missions assignées au corps des enseignants et le système d'évaluation de performance, sans oublier le régime des sanctions tel que défini dans l'article 64. Concernant les revendications salariales, il nous est important d'évoquer la possibilité d'une valorisation salariale globale qui concerne tous les fonctionnaires de l'Education nationale. Le gouvernement dit avoir déjà concédé des valorisations à travers les facilités de promotion, notamment à l'échelle 10, la création du grade d'excellence et les primes annuelles. Qu'est-ce qui manque, à votre avis ? - Durant la réunion du lundi, le gouvernement et les syndicats ont convenu de la nécessité d'améliorer les revenus des enseignants de façon générale. Les modalités restent à négocier. Le gouvernement s'est dit prédisposé à examiner de nouvelles pistes. Il y a des propositions qui émergent comme la revalorisation des indemnités complémentaires ou celle des salaires bruts... etc. - Bien que le gouvernement et les syndicats les plus représentatifs aient repris le dialogue, une partie des enseignants maintient la grève, comment canaliser le dialogue de façon plus fédératrice ? - Je rappelle que le dialogue se fait entre le gouvernement et les syndicats les plus représentatifs qui ont signé l'accord du 14 janvier 2023. Le syndicat et les organismes qui ont refusé de signer l'accord se disent non concernés. Les centrales syndicales les plus représentatives sont engagées dans le dialogue. Je rappelle qu'il n'y a eu qu'un seul syndicat qui s'est opposé à l'accord de principe.
Grèves : L'épineuse question des prélèvements Aussitôt qu'ils ont commencé leurs grèves répétitives, les enseignants concernés sont tombés automatiquement sous le coup des sanctions administratives. Le mécanisme implacable des prélèvements s'est déclenché. Maintenant que le dialogue a repris entre les syndicats et le gouvernement, la question des prélèvements est mise sur la table, d'autant qu'une partie des enseignants se maintient en grève. Que faire ? Le gouvernement a accepté de suspendre les prélèvements à partir du mois prochain. Mais, les syndicats revendiquent un effet rétroactif, c'est-à-dire la rétrocession des montants prélevés. Trop tard aux yeux du Chef du gouvernement, puisque les retenues ont d'ores et déjà été déduites des salaires de novembre, comme c'était le cas du mois précédent. Rappelons qu'une série de grèves a eu lieu depuis l'adoption du Statut Unifié par le gouvernement, le 27 septembre. Près de 140.000 professeurs y ont pris part. Le département de Chakib Benmoussa a décidé de procéder aux prélèvements. Ceci a fuité dans la presse dès la fin d'octobre. Malentendu sur les enseignants-cadres des AREF : Du début à la fin C'est l'un des dossiers épineux qui cristallise le plus les malentendus. Le dossier des enseignants dits contractuels peine à être clos. Tout a commencé en 2016 lorsque le gouvernement précédent a ouvert cette boîte de Pandore en faisant recours à la contractualisation afin de pallier au manque d'enseignants. Résultat des courses : un système de recrutement par CDD jugé fragile et qui précarise la condition de l'enseignant. Plusieurs grèves s'en sont suivies en 2019. Deux années plus tard, précisément le 4 janvier 2021, l'ex-ministre de l'Education nationale, Saïd Amzazi, avait annoncé que le régime contesté n'était plus en vigueur depuis le 13 mars 2019. Il avait précisé que cette catégorie était régie par un nouveau cadre qui maintient le recrutement régional et leur permet de bénéficier d'un statut professionnel similaire à celui des fonctionnaires régis par le Statut du personnel du ministère de l'Education nationale. Toutefois, le flou persistait. Il a fallu l'arrivée de Chakib Benmoussa à la tête du ministère pour voir le bout du tunnel. Il a tâché de mettre fin à ce système. Promesse tenue. Il a abrogé les douze statuts des enseignants-cadres des Académies régionales. Ces derniers ont été intégrés dans le Statut Unifié parmi les fonctionnaires de l'Education nationale. 140.000 enseignants sont concernés. Ils ont désormais les mêmes droits et les mêmes devoirs que le reste de leurs collègues. Ils sont payés par la Trésorerie Générale, ont un numéro de SOM et ont droit à une retraite. Toutefois, l'article 1 qui parle à la fois de fonctionnaires et d'enseignants-cadres a donné l'impression qu'il y a une sorte de distinction, ce qui a confondu les syndicats. Il s'agit d'un débat sémantique inutile selon Youssef Saâdani, conseiller de Chakib Benmoussa, qui, dans une déclaration à "L'Opinion", assure qu'il n'y a plus de différence entre les enseignants-cadres des AREF et le reste des enseignants recrutés sous l'ancien régime.