C'est le troisième jeudi de suite que la ville de Larba Nath Irathen, en Kabylie, est en grève générale. Une grève qui s'est étendue à d'autres villes en réaction aux intimidations et aux menaces proférées la veille, par les autorités représentantes du régime militaire. En guise de protestation contre le verdict de la cour d'appel d'Alger prononcé le 23 octobre dernier contre 38 prévenus condamnés à la peine capitale et 29 autres à des peines allant de 3 à 20 ans de prison, la population de la ville de Larba Nath Irathen a décrété une grève générale tous les jeudis depuis le 9 novembre. Leur honneur bafoué par ces condamnations infamantes, les habitants de cette paisible cité perchée sur les hauteurs de la Grande Kabylie, entendent faire entendre leur voix comme l'ont toujours fait les populations de cette région frondeuse et indomptable. Ils rejettent ces condamnations prononcées à l'issue « d'un procès inique dans le seul but est de laver de tout soupçon les services de police qui sont les véritables auteurs du lâche assassinat et lynchage de Djamel Bensmaïl, comme l'ont démontré les photos et enregistrements vidéos diffusés sur les réseaux sociaux » affirme un membre de l'un des condamnés. L'affaire remonte au mois d'août 2021 lorsque de violents incendies avaient ravagé le pays kabyle durant de longues journées sans que le pouvoir en place n'esquisse le moindre geste pour éteindre les feux. Il s'était même permis de refuser l'aide marocaine qui proposait 2 avions canadairs préférant laisser mourir des dizaines de personnes 65 au total) sans compter les dégâts matériels et les pertes du cheptel et de milliers d'oliviers, de figuiers et de cerisiers. C'est ce qui accréditait la thèse du leader du MAK (Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie), Ferhat Mehenni qui soutenait « qu'il s'agissait d'un acte d'agression délibéré du pouvoir algérien contre la Kabylie ». Les autorités algériennes avaient à cette époque accusé le MAK « aidé par le Maroc et Israël » de pyromanie. Ce n'était qu'un grossier mensonge prouvé par l'enquête diligentée sous la conduite de ce même régime qui ne trouva trace des trois parties mises en cause. Le mercredi 11 août, Jeune artiste, connu pour son activisme durant le Hirak du 22 février 2019 en Algérie, Djamel Bensmaïl, 38 ans, fait le déplacement de sa ville natale de Meliana, dans le centre-ouest algérien, pour se rendre en Kabylie, en vue d'aider, selon les déclarations de son père à l'époque, « ses amis de Kabylie qui luttaient contre des feux de forêt ravageurs ».
Selon les informations glanées, à cette période, auprès de ses proches, Djamel était suivi par les services secrets qui craignaient de le voir exploiter la situation pour déclencher des manifestations contre le pouvoir. A l'entrée de la ville, il est arrêté et embarqué dans un fourgon de police. Arrivé devant le commissariat central de la police, le fourgon est investi par quelques personnes en civil. Il a été, selon l'enquête des services de sécurité, poignardé, trainé par terre, tué et puis brûlé sur la place publique de la ville de Larbaâ Nath Irathen, située à une quarantaine de kilomètre à l'est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. La scène a été filmée de bout en bout par des badauds présents et les images diffusées sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, les services de sécurité ont procédé à une vaste campagne d'arrestations visant les personnes qui sont apparues dans ces enregistrements. Mais, les plus en vue et qu'on soupçonnait appartenir aux services de la police et de la sécurité intérieure ne figurent pas parmi les personnes arrêtées. Bien avant la vague d'arrestations, les communiqués officiels, l'un du procureur de la république du tribunal de Larbaâ Nath Irathen et l'autre de la police, se contredisent et semblent que policiers et services secrets se rejetaient la balle. En novembre 2022 se tient le procès en première instance au tribunal de Dar-El-Beïda. A son issue, est prononcée la condamnation à la peine capitale de 49 prévenus parmi les 102 accusés. Un total de 28 autres personnes avaient été condamnées à des peines allant de 2 à 10 ans de prison ferme, tandis que 7 avaient été acquittées. Même si le procès en appel a réduit le nombre des personnes condamnés à mort ramené de 49 à 38 et augmenté le nombre des acquittements de 27 autres et condamné les autres à des peines allant de trois à 20 ans de prison ferme. Le verdict de la cour d'appel n'a nullement satisfait les habitants de la ville de Larbaâ Nath Irathen d'où sont originaires les condamnés. Après avoir usé, vainement, de toutes voies de recours pour libérer tous les prévenus, ils ont décidé d'organiser une grève générale tous les jeudis. Le premier jeudi de grève, le 9 novembre, larba Nath Irathen est ville morte. Les commerces ont baissé rideau, les établissements scolaires boycottés par les enseignants, les administratifs et les élèves. Les administrations désertées par leurs employés et plus rien ne bouge. Il en a été de même le jeudi d'après. Pour le troisième jeudi, les choses ont pris une autre tournure. Le collectif des familles des détenus a publié la veille un communiqué dans lequel il indique « A la veille de la grève générale de ce jeudi 23 Novembre, une opération de menace et d'intimidation de grande envergure s'est déroulée tout au long de la journée d'aujourd'hui dans les Ath Irathen. 1) La gendarmerie, de triste mémoire en Kabylie, a fait la tournée musclée des commerçants, les sommant, un par un, de rester ouverts demain jeudi 23 ou sinon cette fois, ont-ils précisé, "c'est sérieux" vos registres de commerces vous serons retirés ! Le responsable de la Direction des Transports de la Wilaya de Tizi-Ouzou est monté en personne à Larbaâa Nath Irathen où il a tenu une réunion à la Daïra avec les transporteurs, tous préalablement "convoqués" à l'entretien avec ce haut responsable «régional ». Ce haut responsable régional a sommé les transporteurs de travailler demain jeudi 23 novembre ou alors ils perdraient les lignes de transports et les autorisations. Il les a informés qu'ils étaient "obligés" de travailler demain, ou alors ils en assumeront les "conséquences" La Direction de l'éducation de la wilaya de Tizi-Ouzou a mobilisé tous les agents dans les lycées, collèges et établissements d'enseignements des "Avis" d'information signés des chefs d'établissement et s'adressant à l'ensemble des élèves pour leur signifier que "Toute absence sera sectionnée" ...le jeudi 23 novembre » Le collectif ajoute dans son communiqué « Qu'ils sachent que le courage et la détermination que nous mettons à faire éclater la vérité et à rendre la vraie justice en faveur de nos enfants martyrisés, est tout aussi inébranlable. Le climat de terreur ne peut pas durer éternellement, quant à la force, elle n'a jamais été que l'expression de la faiblesse des Etats. » Et de conclure « Sachez toutefois que ça ne durera pas longtemps. La Kabylie, comme ses oliviers brûlés chaque année, renaitra des cendres que vous avez semés. » Cette intimidation a fini par faire élargir le cercle de la contestation à d'autres villes avoisinantes notamment Michelet et Tizi Rached. D'autres villes rejoindront ce mouvement de contestation et le risque d'embrasement de tout le pays kabyle n'est pas à écarter. Cela rappelle les événements de 2001qui ont pris leur source à Beni Douala le 18 avril à deux jours de la commémoration du Printemps berbère d'avril 1980. Massinissa Guermah, un jeune lycéen âgé de 18 ans, est assassiné par une rafale d'arme automatique tirée par un gendarme dans les locaux de la gendarmerie de Beni Douala (Ath Dwala) en Kabylie. Cet événement est l'élément déclencheur de la révolte kabyle. Une révolte soldée par plus de 150 morts mais dont les acquis sont à inscrire en lettre d'Or dans l'histoire de la Kabylie.