Avenir de la francophonie, littérature maghrébine, promotion du français au Maroc, nouvelle programmation culturelle, JO de Paris, la Directrice de l'Institut français au Maroc, Agnès Humruzian, dresse un portrait optimiste et positif de la coopération culturelle France-Royaume tout en exposant sa stratégie pour promouvoir la langue de Molière face à la montée en puissance de l'anglais. Interview. -Vous avez lancé récemment la programmation culturelle pour l'année 2024 avec une attention particulière accordée au sport et à l'art. Pourquoi un tel choix et quels sont les grands objectifs escomptés ? Nous avons lancé notre nouvelle programmation culturelle avec comme thème "l'art et le sport : corps en mouvement". Nous avons choisi cette thématique pour s'inscrire dans la perspective des jeux olympiques et paralympiques de 2024 qui auront lieu à Paris. En somme, nous avons deux objectifs principaux. Le premier consiste à faire dialoguer l'art et le sport parce que nous sommes convaincus que l'art et le sport ont beaucoup à se dire, dans toutes les disciplines: la danse, le spectacle vivant, l'art visuel, la photographie, le cinéma et le théâtre, qui seront à l'honneur dans notre nouvelle programmation culturelle, cette année. Le deuxième objectif c'est de faire de cette grande fête sportive des JOP une opportunité de renforcer encore la coopération franco-marocaine dans le secteur sportif et culturel. -Est-ce une façon de faire la promotion des Jeux olympiques au Maroc sachant que la France attache beaucoup d'importance à cet événement mondial censé contribuer au rayonnement international de l'hexagone ? Nous venons de vivre l'épopée de la Coupe du monde de football et les JOP seront à nouveau un grand moment sportif et festif. Le Maroc et la France sont deux grandes nations sportives et ont des passions communes pour le football mais aussi l'athlétisme, la boxe, l'équitation et les sports plus récents comme le surf ou le breaking qui seront aussi à l'honneur aux jeux olympiques. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Comité national olympique marocain pour que les fédérations marocaines puissent se préparer dans les meilleures conditions aux JOP. Des collectivités locales se mobilisent également en France, je pense notamment à la Région Normandie, pour appuyer les fédérations dans leur préparation. -On voit que toute la France est mobilisée pour l'organisation des JO, même au plus au sommet de l'Etat. On a l'impression que la France en fait un rendez-vous pour redorer son image à l'international. A quel point c'est important pour vous les JO ? C'est un grand moment sportif fédérateur, qui nous permet, pour l'Institut français, d'aborder des sujets plus larges, à travers le sport, et de nous ouvrir à d'autres publics, pas nécessairement le public qui vient traditionnellement dans nos instituts, y compris par l'organisation d'événements dans l'espace public. Par exemple ces jours-ci, nous organisons des projections de mapping sur le thème du sport, c'est-à dire des créations numériques géantes, dans l'espace public, sur des gares notamment. Nous proposerons aussi des rencontres autour de sports urbains, tel que le breaking par exemple. -Dans le cadre de ces activités et cette politique de promotion des JO, est-ce que vous travaillez avec les autorités marocaines et notamment le ministère de tutelle ? Oui, outre le CNOM, avec le ministère de l'Education nationale, du préscolaire et des sports. Comme je l'ai souligné précédemment, les JOP sont une opportunité pour renforcer encore notre coopération dans le domaine du sport avec nos partenaires marocains. Il y a le sport scolaire mais aussi le sport de haut niveau, qui fait l'objet d'une nouvelle coopération entre l'UM6P et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance en France (INSEP). Le sport de haut niveau c'était aussi l'objet par exemple d'une rencontre que nous avons organisée cet été entre des jeunes boxeuses marocaines, sénégalaises et françaises dans la perspective des Jeux olympiques de la Jeunesse à Dakar en 2026. Et puis nous travaillons aussi sur les questions de l'inclusion par le sport par un appui aux associations actives dans ce domaine. -Peut-on déduire de cette nouvelle orientation que le sport sera désormais une composante majeure de la politique culturelle de l'Institut français au Maroc? Nous souhaitons en effet, au-delà de la saison culturelle Art et Sport- Corps en mouvement, nous engager dans des actions de coopération plus structurantes dans ce domaine. -Parlons maintenant de la Francophonie et de la langue française qui semblent de plus en plus concurrencées par l'anglais qui, comme tout le monde s'en aperçoit, suscite de plus en plus d'engouement chez les jeunes générations. Êtes-vous inquiète de cette concurrence anglo-saxonne ou cela vous parait-il normal compte tenu de la mondialisation ? En réalité, depuis que j'ai pris mes fonctions au Maroc, j'ai vu beaucoup de choses sur la francophonie. Ce qui me frappe vraiment c'est l'appétence et le talent des jeunes et leur capacité de passer d'une langue à une autre de façon impressionnante. Passer de l'arabe à l'amazighe, de l'arabe au français ou à d'autres langues comme l'anglais, l'espagnol voire l'allemand ou même le coréen, comme j'ai rencontré des jeunes qui l'apprenaient au Centre "les étoiles" de Sidi Moumen à Casablanca, c'est formidable. Je suis persuadée que l'apprentissage et l'engouement pour les langues n'est pas un jeu à somme nulle. Le plurilinguisme est, au contraire, une force. Dans ce contexte, la francophonie se développe également. N'oublions pas que les Marocains constituent la première communauté estudiantine étrangère en France, avec 47 000 étudiants marocains en France. Et qu'ils y réussissent très bien, y compris dans les grandes écoles. Je pense notamment à l'école polytechnique où 42 Marocains ont été admis cet été, un record. Dans l'enseignement secondaire, l'intérêt pour le français se manifeste aussi dans les établissements d'enseignement français, qui accueillent plus de 48.000 élèves. Nous pourrions ajouter à ces chiffres les 64.000 apprenants de l'Institut français au Maroc, et qui sont en grand partie des publics très jeunes. -En tant qu'Institut, quelle est votre stratégie pour promouvoir le français à tous les niveaux ? Notre travail consiste à soutenir cette dynamique dont je viens de parler et à renforcer encore l'attractivité de la langue française comme langue d'opportunité économique, comme langue de mobilité internationale et comme langue d'ouverture culturelle et intellectuelle. On s'y emploie en développant notre offre de cours pour qu'elle soit la plus en phase possible avec les attentes des publics, notamment en matière numérique. Nous collaborons par ailleurs avec le Ministère de l'Education nationale, du Préscolaire et des Sports, en matière de coopération éducative sur le plurilinguisme dans l'enseignement public, en appui aux réformes engagées. Et le réseau d'enseignement français peut contribuer à cette coopération éducative. Par exemple, nous avons notamment beaucoup travaillé sur le préscolaire et les éducateurs ont pu avoir des séances d'observation de classes dans les établissements d'enseignement français. Enfin, notre action en faveur de l'attractivité de la langue française passe aussi par tout ce que nous pouvons proposer au public dans le domaine culturel et des savoirs, comme les Rendez-vous de la philosophie dont la 9è édition vient de s'achever et qui ont rencontré, à nouveau, beaucoup d'intérêt. -Le Maroc est l'un des pays où il existe beaucoup d'écrivains francophones qui contribue à ce qu'on appelle la culture maghrébine. Est-ce que cette littérature est importante pour le rayonnement de la langue de Molière au Maroc et que faites-vous pour la promouvoir ? Un des grands rendez-vous pour la littérature c'est le Salon international de l'édition et du livre de Rabat. L'Institut français y était cette année à nouveau très engagé, y compris avec un espace sur son stand pour les maisons d'édition, où nous avons organisé des rencontres professionnelles pour le secteur du livre. Nous sommes également engagés dans des programmes d'aide à la traduction et à la publication, avec une quinzaine de projets chaque année qui permettent ce passage de la langue arabe vers la langue française et vice-versa. Il y a un travail très important qui se fait dans ce secteur même s'il n'est pas toujours très visible.
Portrait : Qui est Agnès Humruzian ? Agnès Humruzian est la Conseillère de coopération et d'action culturelle et Directrice générale de l'Institut français du Maroc. Elle exerce comme diplomate depuis 2002. Elle était en poste auparavant à l'Ambassade de France au Sénégal et en Gambie. Agnès Humruzian a consacré précédemment une partie de sa carrière aux questions asiatiques, en poste et à Paris, ainsi qu'aux grands enjeux multilatéraux et de coopération internationale, notamment au sein de la Direction des Nations Unies du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Sa nomination à Rabat est effective depuis le 1er septembre 2022. Repère Les Rendez-vous de la Philosophie : Le grand événement Dans sa volonté de promouvoir la culture française, l'Institut français a parié sur un rendez-vous incontournable : Les RDV de la Philosophie qui ont eu lieu du 7 au 11 novembre dans quatre villes du Royaume, dont Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech. Cette sorte d'escapade philosophique et intellectuelle a rassemblé une trentaine de philosophes venant de France, du Maroc et d'autres pays. Les conférences ont été ouvertes au grand public et se sont tenues en français et en arabe, nous apprend, Agnes Humruzian, qui attache beaucoup d'importance à ce rendez-vous annuel qui accueille de grandes figures de la philosophie et de la science comme Etienne Klein. "Nous faisons intervenir ce qu'il y a de mieux sur la scène intellectuelle française", nous explique Mme Humruzian, qui parle de cet événement avec enthousiasme. Les Rendez-vous de la Philosophie ont été l'occasion de mettre en avant des coopérations multiples dans les secteurs éducatifs et universitaires. S'est tenue la seconde édition de l'école doctorale de la pensée critique à Fès qui a accueilli une trentaine de doctorants issus d'universités publiques et privées. En parallèle à Marrakech, une formation dédiée à la méthode et la pratique philosophique a été organisée à destination des professeurs marocains enseignant en classes de terminale.