En réaction aux conséquences néfastes du séisme qui a frappé plusieurs régions du pays, les Marocains ont fait preuve d'une solidarité à toute épreuve. Dans cette interview, Hamida Lahjouji, Docteur en sciences économiques, parle de la Zakat, une aumône qui peut jouer un rôle socioéconomique indéniable en ce moment de crise. -Dans un contexte marqué par le séisme d'Al-Haouz, pensez-vous que le Fonds de la Zakat puisse être parmi les instruments de réponse aux catastrophes naturelles ? -Effectivement, son institutionnalisation au Maroc permettra d'affecter la Zakat collectée selon les besoins réels et prioritaires de la population, que ce soit par région, par type de pauvreté (santé, éducation, ou autres), ou en fonction du plan de réponse aux catastrophes naturelles. -Le Royaume est considéré comme l'un des rares pays musulmans qui ne disposent pas d'une institution chargée de la collecte et de la redistribution de la Zakat. Quelle serait la valeur ajoutée de cette institution ? -L'institutionnalisation de la Zakat au Maroc permettra de passer d'une forme de charité traditionnelle, caractérisée par une gestion individuelle dont l'impact demeure faible et à court terme, à une gestion centralisée qui pourra répondre aux besoins réels de la population pauvre avec un impact à moyen et long termes ayant pour but de réduire la pauvreté. -A quel point l'esprit de la Zakat est-il en phase avec le projet de la protection sociale ? -La Zakat, étant le troisième pilier de l'Islam, joue un rôle socioéconomique qui permet non seulement de faire sortir le pauvre du seuil de la pauvreté à travers des dons directs, mais également de faire face à la pauvreté multidimensionnelle (santé, scolarisation des enfants, accès à l'eau, etc...). L'importance de l'impact socioéconomique de la Zakat a été soulevée par l'Organisation des Nations Unies, d'après son rapport publié en 2017, qui estime que ses objectifs sont hautement alignés avec les Objectifs de développement durable de 2030 (ODD), principalement au niveau de l'élimination de la pauvreté et de la protection sociale. -La Zakat est une question qui fait débat chaque année. Lors de l'élaboration de chaque projet de Loi des Finances, l'idée de créer et de rendre effectif un Fonds d'Etat pour la Zakat est remise au goût du jour. Qu'est-ce qui freine sa concrétisation, selon vous ? -La création d'un Fonds de la Zakat au Maroc représente une action multidimensionnelle qui a, à la fois, une dimension religieuse, sociale, économique et culturelle. D'après mon point de vue, le lancement d'un tel Fonds dépendra du « bon timing » en fonction du niveau de confiance établi entre les citoyens et les gestionnaires du Fonds. En effet, d'après les résultats d'une enquête que nous avons menée dans ce sens en 2016, 49% de l'échantillon préfèrent que le Fonds de la Zakat soit géré par un organisme privé et 31% préfèrent que la gestion soit faite par un organisme semi-public, tandis que seulement 20% de l'échantillon ont choisi l'organisme public. Selon la même étude, la principale raison qui motive le citoyen à allouer la gestion de sa Zakat à l'un des organismes cités ci-dessus, est la « Confiance ». -L'efficacité de ces fonds publics est-elle garantie ? -Nous ne pouvons pas parler d'une efficacité garantie, mais plutôt de la mise en place d'un ensemble d'outils qui permettront de garantir l'efficacité et l'efficience attendues. L'application des procédures de bonne gouvernance, telles que la publication des bilans annuels et des rapports d'avancement, permettra d'assurer la transparence et l'équité afin de gagner en confiance envers cette institution. Il faut noter que le succès d'un Fonds de la Zakat au Maroc dépend également de l'engagement sérieux de l'ensemble des acteurs socioéconomiques, à savoir le gouvernement, les acteurs de la société civile, les entreprises, les médias et les citoyens.