Ecrit par I. Bouhrara | N'est-il pas temps de mettre la Zakat au profit des chantiers sociaux au Maroc ? A l'heure où la pandémie bat son plein et que le Maroc est en passe de lancer le plus grand chantier social depuis son indépendance, des millions de DH sont semés au vent ! À l'approche du terme de Ramadan pour cette année 1442 de l'hégire, la Zakat Al-Fitr (aumône légale à la fin du jeûne) a été fixée à 15 DH. À considérer au minimum que 10 millions de Marocains (entre personnes éligibles et personnes à charge), ce sont 150 MDH (au minimum) qui seront distribués les trois derniers jours du Ramadan jusqu'avant la prière d'Aïd Al-Fitr. Un minium sachant que la Zakat est obligatoire et doit être versée par tous les musulmans qui possèdent de quoi vivre au moins pour un jour. À la fin de l'année 1442 de l'hégire, les Marocains de confession musulmane ont un autre rendez-vous, cette fois-ci, avec la Zakat Al-Mal (aumône légale sur l'argent) dont le montant seuil est fixé également chaque année par le Conseil supérieur des oulémas. Une étude réalisée par Hamida Lahjouji, de l'Université Hassan 1er et publiée fin 2020 sur la revue « Repères et Perspectives Economiques » estime la moyenne de la Zakat payée en 2014, 2015 et 2016 à près de 5 MDH. L'auteure rappelle à juste titre qu'il est impossible de mesurer l'impact socioéconomique de la Zakat payée au Maroc, vu que ce dernier est parmi les rares pays musulmans qui ne disposent pas d'une institution chargée de la collecte et la redistribution de la Zakat. Mais le fait indiscutable est que le Royaume est considéré comme l'un des rares pays musulmans qui ne disposent pas d'une institution chargée de la collecte et redistribution de la Zakat. «Ce dernier adopte une gestion aléatoire et décentralisée de la Zakat, qui non seulement représente une entrave à l'efficacité de son affectation à long terme, mais empêche d'identifier l'impact socioéconomique de la Zakat ainsi que d'analyser l'attitude de son paiement par le citoyen marocain », soutient Hamida Lahjouji. Avec le chantier de la protection sociale, la donne doit impérativement changer… Face à la crise de la Covid-19 qui a accentué la vulnérabilité et la pauvreté des catégories les plus fragiles, la solidarité a été d'un grand secours pour faire face au premier choc de la pandémie. Le Fonds spécial de la gestion Covid-19 mis en place sur instructions royales est un exemple concret d'un mécanisme de collecte des dons et de redistribution aux populations les plus touchées par les effets de la Covid-19. Pourquoi ne pas actionner un tel mécanisme en faveur de la collecte et la redistribution de la Zakat, d'autant que le comportement des Marocains est enclin au paiement de la Zakat et à la solidarité de manière générale (plus la zakat que l'impôt d'ailleurs) ? La question a été posée en 2019, lorsque le PAM avait fait la proposition de la création d'un fonds spécial intitulé «Fonds spécial de la Zakat des musulmans », dans l'objectif de lutter contre les inégalités sociales. Il faut dire que ce fonds a un historique depuis l'ère Hassan II pour être remis sur le tapis en 2012, en 2013, en 2016, en 2018 et en 2019... Bref, au terme de chaque mois sacré et lors de l'élaboration de chaque projet de LF, l'idée de, non pas seulement créer, mais rendre effectif un tel fonds est remise au goût du jour. Mais la donne doit changer. En effet, en 2021 le Maroc enclenche l'élargissement de la protection sociale qui nécessitera 51 Mds de DH chaque année dont 23 milliards de DH du budget de l'Etat. Le reste sera financé essentiellement par deux mécanismes, l'un basé sur l'affiliation pour les personnes capables de cotiser et un mécanisme basé sur la solidarité pour les personnes qui ne le peuvent pas. Faut-il rappeler que ce chantier repose sur quatre piliers majeurs, que sont la généralisation de l'Assurance maladie obligatoire, à fin 2022, au profit de 22 millions personnes supplémentaires ; la généralisation des allocations familiales durant les années 2023 et 2024 au profit des familles qui n'en profitent pas selon les textes en vigueur ciblant 7 millions d'enfants en âge de scolarité ; l'élargissement de la base des adhérents aux régimes de retraite pour inclure environ 5 millions de personnes qui exercent un emploi et ne bénéficient d'aucune pension à horizon 2025 ; et enfin, la généralisation de l'indemnité pour perte d'emploi durant l'année 2025 pour couvrir toute personne exerçant un emploi stable. Ce qui est en phase avec l'esprit de la Zakat comme moyen de répartition des richesses pour réduire la pauvreté et l'atteinte de l'équilibre socioéconomique. Et l'un des fondements de la Zakat est que cette redistribution garantit non seulement la justice sociale, mais aussi mobilise des ressources et les met à la disposition des pauvres de telle façon à améliorer la capacité de production de la communauté. Preuve à l'appui, en 2017, une étude (Shirazi et Oubaidollah) relative à l'estimation potentielle de la Zakat collectée dans 39 pays membres de l'OCI, a démontré que 20 pays sur 39 peuvent éliminer la pauvreté à travers la collecte de la Zakat. Dans le contexte de disette, la création d'un fonds à la Zakat n'est plus un luxe mais doit figurer dans les propositions pour le projet de LF 2022. Certes, il n'existe pas d'estimation globale de ce que peut apporter la Zakat au financement des projets sociaux, mai ne dit-on pas que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ?