Après d'une douzaine d'années d'enquêtes et de tergiversations, la justice suisse a fini par prendre la décision de renvoyer l'ex-ministre algérien de la Défense nationale, le général-major Khaled Nezzar, devant le Tribunal Pénal Fédéral pour crimes contre l'humanité durant la décennie sanglante des années 90'. « Par acte du 28.08.2023, le Ministère public de la Confédération renvoie l'ancien ministre algérien de la Défense nationale et membre du Haut Comité d'Etat Khaled NEZZAR devant le Tribunal pénal fédéral pour infractions au droit international humanitaire au sens des Conventions de Genève entre 1992 et 1994 dans le cadre de la guerre civile en Algérie et pour crimes contre l'humanité. En particulier, le prévenu est soupçonné d'avoir pour le moins approuvé, coordonné et encouragé, sciemment et délibérément, des tortures et autres actes cruels, inhumains ou humiliants, des violations de l'intégrité physique et psychique, des détentions et condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires », lit-on dans un communiqué du Ministère Public de la Confédération Helvétique, rendu public ce mardi 29 août. Etant à l'article de la mort, il y a fort à parier que le général Nezzar ne sera jamais à la barre d'un tribunal suisse ou autre. Mais, pour les Algériens de manière générale et les plaignants, particulièrement, c'est une victoire morale contre l'un des bourreaux du peuple algérien. Cette décision encouragera, à coup sûr, le dépôt d'autres plaintes contre des généraux, encore en activité, qui ont exécuté froidement des milliers d'Algériens portés, aujourd'hui, sur la liste des disparus. Une liste qui ne comporte pas moins de 20.000 personnes selon les organisations de défense des Droits de l'Homme. Mais, le pouvoir en place ne reconnaît sa responsabilité que sur la moitié de ce nombre. Comme si 10.000 disparus était un nombre dérisoire.
Une affaire qui traîne depuis 2011 C'est sur dénonciation de l'organisation non-gouvernementale TRIAL International, que le Ministère Public Confédéral (MPC) a ouvert au mois d'octobre 2011 une procédure pénale contre Khaled NEZZAR résidant alors en Suisse pour présomption de crimes de guerre au sens des art. 108 et 109 du Code pénal militaire du 13 juin 1927 (aCPM) commis durant la guerre civile en Algérie. Le général Nezzar installé à l'hôtel Beau Rivage de Genève, accompagné de sa fille aînée à qui il projetait d'acheter une maison pour la coquette somme de 400.000 FCH, a été surpris par la police fédéral venue l'arrêter et conduit au bureau du procureur. Il passera 4 jours en garde à vue avant de se voir remis en liberté avec la promesse de répondre aux convocations de la justice suisse à tous moments. Commence, alors, une longue procédure d'enquête qui prendra fin en 2017 par le classement de l'affaire au motif que la guerre civile algérienne ne constituait pas un conflit armé interne au sens de la loi et que la Suisse, en conséquence, n'était pas compétente pour juger d'éventuels crimes de guerre dans ce cadre. Sur recours, le Tribunal pénal fédéral a toutefois constaté que « les affrontements avaient présenté une telle intensité de violence qu'ils s'apparentaient à la notion de conflit armé telle que définie par l'art. 3 commun aux Conventions de Genève et la jurisprudence internationale topique. » En outre, la Cour des plaintes a jugé l'opposition armée suffisamment organisée pour être retenue comme un groupement armé au sens desdites Conventions. Le Ministère public de la Confédération a ainsi repris la procédure pénale en 2018. Après audition de 24 personnes au total, il a déposé un acte d'accusation. Pour les plaignants, l'affaire a trop duré et la justice suisse traînait la patte juste pour ne pas incommoder les autorités algériennes qui avaient pris fait et cause pour l'ancien ministre de la Défense Nationale en lui assurant les frais de déplacement d'une centaine de témoins, tous des anciens barons du régime, et les frais de trois avocats ténors du barreau de Genève. Et si, aujourd'hui, on apprend le renvoi du général devant un tribunal pénal, « c'est toujours mieux que ce qu'avait fait la France en avril 2001 lorsqu'elle avait permis à Nezzar de quitter le territoire français avant d'être arrêté à la suite d'une plainte déposée par quatre de ses anciennes victimes » soupire l'un des plaigants.