La crise au Niger, avec l'épée de Damoclès de la CEDEAO qui pèse sur la tête des autorités actuelles de Niamey dans l'optique d'une intervention armée, préoccupe à plus d'un titre. Professeure Wanyaka Bonguen Oyongmen Virginie, spécialiste en Histoire militaire contemporaine, Histoire générale de l'Afrique, conflits et résolutions, problématique du genre, analyse les multiples facettes de la situation de ce pays sahélien. Explications. - Comment expliquez-vous l'enracinement et la multiplication des jihadistes et autres groupes terroristes dans les trois frontières Mali-Burkina Faso-Niger ?
- Ils sont attribuables à plusieurs causes dont, entre autres, la circulation des personnes à travers des frontières poreuses, la faillite des Etats, l'économie politique de certains mouvements qui naissent sur la base d'un ressenti à l'égard des autorités centrales. On ne peut passer sous silence la mal gouvernance mais la plus importante, à mon avis, ce sont les enjeux liés aux ressources minéralogiques.
- Le président Mohamed Bazoum, aux mains des militaires et victime d'un coup d'Etat, disait, dans une interview, que ces mouvements terroristes sont plus équipés que l'armée nationale. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ?
- Des groupes armés plus équipés militairement qu'une armée nationale ? Cela veut tout dire ! A mon avis, cela montre clairement le rôle joué par certains acteurs extra dans la déstabilisation de cette zone sahélienne fort riche et au centre de grands enjeux. Qui les équipe ? Est-ce ces grandes firmes d'armement dans le but de vérifier l'efficacité de leurs produits ? Est-ce cette « communauté internationale » déstabilisatrice et déstabilisante ? Ou encore nos gouvernants qui peuvent tirer profit des crises sévissant sur leur territoire ? Une chose est certaine, c'est une main occulte qui arme tous ces mouvements à des fins avouées que sont la prédation des ressources naturelles et le maintien du pays dans la pauvreté. D'ailleurs, dans le rapport de l'Indice de Développement Humain 2021-2022, le Niger est à la 189ème place sur 191 pays alors que le pays est le 4ème producteur mondial d'uranium avec une part de marché d'environ 7% et en détient la 6ème plus grande réserve. . - Aujourd'hui, la CEDEAO est vent debout contre les coups d'Etat alors que la sous-région a presque une tradition en la matière dont les Pères des indépendances ont tous été victimes de ces putschs à l'exception de la Guinée, de la Côte d'Ivoire et du Sénégal. Qu'en pensez-vous ?
- L'Afrique de l'Ouest vit, depuis ses indépendances, des coups de force orchestrés par les militaires, il est vrai. Mais, l'on devrait se poser la question sur le pourquoi de ces coups de bottes ? Il faut dire que la majeure partie des Etats francophones, au lendemain de leurs indépendances, n'ont pas toujours eu à leur tête des leaders plébiscités par les populations mais ceux-là que l'Occident avait choisis.
De ce fait, les armées furent des structures au service du politique et non des populations. Et que dire de ce fameux plan raisonnable mis sur pied par la France dont les desseins et les objectifs ne permettaient aucune distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure ? Tous ces faits peuvent être l'une des cause des coups d'Etat ! L'explication en est parfois plus profonde quoique certains veuillent se limiter à l'appât du gain des hommes en tenue.
La Guinée Conakry, de son indépendance à la mort de son chef emblématique, Ahmed Sékou Touré, n'eut pas de coup d'Etat, à mon avis, à cause de la personnalité de son leader, pour avoir osé dire « NON » à la grande France du Général De Gaulle ! Les sanctions qui s'ensuivirent vont rendre ce peuple fier de son dirigeant quoique certaines velléités furent relevées ça et là.
Peut-être qu'il y a eu des tentatives mais, très vite étouffées, je pense, auquel cas le Président Sékou Touré ne serait pas resté en poste jusqu'à sa mort. Regardez ce qui advint du gouvernement intérimaire rapidement renversé. Que dire sur la Côte d'Ivoire et l'inexistence de coup d'Etat militaire durant la présidence du Président Félix Houphouët Boigny ? Simplement, ayant été l'un des leaders de la politique française en Afrique francophone, il était difficile que la France permette que l'on renverse l'un de ses « affidés ». Que serait-il alors advenu de la politique française dans cette zone ? À cet effet, je vous renvoie à la lecture d'un article que j'avais écrit sur « Les armées d'Afrique noire francophone, cinquante ans après les indépendances : Bilans et perspectives 1960-2010 », paru dans les Cahiers de l'ACAREF en 2019.
- Les interventions militaires dans un pays n'ont jamais résolu les crises. Les exemples sont légion. Pensez-vous que le Niger fera exception ?
- Effectivement, le Niger ne fera pas exception ! Lorsque l'on fait appel à l'armée c'est pour un ratissage sauf dans le cas des Opérations de Maintien de la Paix (OMP), or ici, ce n'est pas le cas. Qu'est devenue la Libye après le passage militaire des forces OTAN-France ? Je pense qu'en cas d'intervention militaire, le Niger sera irrémédiablement divisé et de grandes rancœurs s'installeront dans ce pays qui a besoin de toutes ses forces vives pour se projeter vers l'avenir.
- Pour éviter les scénarii de l'embrasement de la sous-région, le dialogue politique et les médiations diplomatiques ne sont-ils pas la voie idoine ? Comment cela doit-il être ?
- Pourquoi ne pas revenir à nos schèmes ancestraux pour résoudre cette crise ? La voie militaire doit être exclue car elle ne fera qu'empirer un problème existant. Dialogue politique et médiations diplomatiques, oui ! Mais à l'africaine en mettant en avant certains de nos principes clés en matière de résolution de conflit.
Il faut également relever que la méthode dite internationale n'a pas beaucoup porté ses fruits en Afrique. Alors, oui à la possibilité d'une synergie de compétence ou, alors, simplement une valorisation de l'approche africaine.
- Enfin, la CEDEAO ne doit-elle pas s'attaquer aux causes des coups d'Etat (la mal gouvernance) qu'aux conséquences (les coups de force militaire) ?
- Il s'agit d'un tout ! Comment s'attaquer aux coups d'Etat militaire alors que l'on ferme les yeux sur ceux institutionnels ? Comment la CEDEAO pourrait-elle s'attaquer à la gouvernance des Etats ? Difficile ! Qui représente les Etats au sein de cet organe ? Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement alors, comment voulez-vous qu'ils s'attaquent aux causes qu'ils ont mises en place ?
Difficile ! Si chaque Etat pouvait gérer ses problèmes de malgouvernance alors, en ce moment, on aurait des organisations fiables sur lesquelles les populations s'appuieraient sans crainte, or, pour l'instant, ce n'est pas le cas.
Bon à savoir Mme Wanyaka Bonguen Oyongmen Virginie est Professeure titulaire, spécialiste en Histoire militaire contemporaine, gender studies, tous faits relatifs aux armées, à la résolution des conflits, à la promotion de la paix, au droit des conflits armés et à la sécurité internationale. De nationalité camerounaise, Pr Virginie est également experte en Histoire générale de l›Afrique. Notre interlocutrice est aussi vice-Présidente Afrique Centrale de l'Association des Historiens Africains (AHA) et enseignante permanente au Département d'Histoire de l'Université de Yaoundé I. Elle est au Master Professionnel Genre et Développement au Département de sociologie, superviseure internationale du Programme « German Colonial Rule ». Pr Virginie est, en outre, conférencière à l'Ecole des officiers de Gendarmerie, à l'Ecole d'Etatmajor (EEM), et à l'Ecole Supérieure Internationale de Guerre (ESIG) (Cameroun). Enseignante associée à l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature (ENAM), Pr Virginie est, par ailleurs. Directrice du Centre de recherche en Histoire militaire et études sécuritaires, coordonnatrice générale du Forum des Historiennes du Cameroun (FOHIC), membre du Réseau des Historiennes Africaines (REHA). Pr Virginie est mère de deux enfants et réside à Yaoundé et ailleurs dans le cadre des colloques. Un globe-trotter, peut-on dire.