Hay El Matar. Ce nom vous parle-t-il ? Vous interpelle-t-il par son allusion à une construction inexistante ? Aujourd'hui, bordé par les quartiers de Beauséjour, Hay Hassani et l'Oasis, ce site d'aérodrome a laissé place à un projet urbaniste prometteur pour la prospérité économique de la ville. Zoom sur un espace mythique et historique. Rétrospective. Nous sommes en 1919, l'idée de construire un aérodrome aux abords de Casablanca a commencé à faire son bout de chemin. En 1920, le croquis du mégaprojet était déjà un document officiel répondant à l'impératif de l'acheminement du courrier de l'Europe vers l'Afrique et, plus tard, jusqu'en Amérique Latine. En 1933, des aviateurs dignes de ce nom s'y sont arrêtés. L'allusion est ici faite aux figures de repère tels Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry, Henri Guillaumet et même le vaillant Paul Vachet. Une révolution dans le temps et dans l'espace, c'est la moindre des choses que l'on pouvait dire sur ce site qui disposait déjà d'un bloc technique, d'une aérogare et d'un immense hangar, autour du bâtiment réfugiant en son sein le commandement des opérations. La presse et l'historiographie internationales se sont fait l'écho, pendant la Deuxième Guerre Mondiale de cette agora devenue, par la force des choses, un camp militaire. Et pour cause, ce que nous appelons aujourd'hui «Hay Al Matar » fut, ces années-là, le houleux théâtre d'antagonismes armés entre l'Alliance et l'Axe. Une période, certes, mouvementée mais qui n'a pas changé d'un iota la vocation du site à reverdir son Histoire. D'ailleurs, la Conférence d'Anfa a réuni, en janvier 1943, le président américain Franklin Roosevelt, le Premier ministre britannique Winston Churchill et les généraux de la France comme Henri Giraud et Charles de Gaulle. En ces temps d'affrontements, emplissant la« Une » des journaux, la voie la plus sécurisée pour se rendre à Casablanca était l'avion. Ayant su cela avec pertinence, Roosevelt a été le premier président de l'Histoire américaine à se déplacer par voie aérienne pendant son mandat. Un voyage chargé d'Histoire qui s'est terminé sur le tarmac de l'aérodrome d'Anfa. Tout un symbole. Cependant, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Camp Cazes a été transformé en un immense complexe aéroportuaire. Fini le temps où il n'était ni plus ni moins qu'un simple camp, il est devenu, au contraire, un port aérien qui, peu à peu, s'est mué en une base militaire en bonne et due forme, ainsi que le principal aérodrome civil de Casablanca. Le site fut, somme toute, la tête de pont du trafic aérien national et un repère de destinations au Maroc et à l'étranger.
Une ville en pleine expansion
À cette époque, les urbanistes de Casablanca raisonnaient prioritairement en termes de sécurité nationale. En conséquence, la construction de cet aérodrome devait répondre au dilemme cornélien : la conciliation de la modernisation et de la sécurité aérienne. Mais au fur et à mesure de son développement, Casablanca s'est médiatisée, devenant un haut lieu de la modernité pour ses habitants, qu'ils soient immigrés de l'intérieur ou de l'étranger, ainsi que pour les touristes et les investisseurs. Les projets d'Henri Prost ont, donc, perduré jusqu'à la fin des années 40. Bien qu'en 1943 Alexandre Courtois soit chargé de revoir les plans. Et l'arrivée de Michel Ecochard en 1947 marqua la concrétisation d'un nouveau plan d'aménagement. Michel Ecochard, deuxième grand urbaniste de Casablanca, s'est inspiré des orientations de la Charte d'Athènes (rédigée par Le Corbusier à l'issue du Congrès international d'architecture moderne qui s'est tenu à Athènes en 1933). Dès 1951, dans son rapport préliminaire sur l'aménagement et l'expansion de Casablanca, il a préconisé un plan d'expansion linéaire le long de la côte, reliant les deux pôles portuaires de Casablanca et de Mohammedia, délimité par la création de l'autoroute Casablanca-Rabat et respectant au pied à la lettre la construction de l'aéroport d'Anfa dans ses moindres détails. Mais avant d'être englouti par les projets urbains de la ville victime de son propre succès, l'aéroport « Casa-Anfa » était ainsi un point nodal pour la ligne de l'Aéropostale. Avec l'Aéropostale, la compagnie Latécoère couvrait l'axe Toulouse-Saint Louis (Sénégal), transportant des centaines de milliers de courriers, et permettait même à des privilégiés de voyager à bord. C'est à ce moment que le Camp Cazes devient peu à peu une véritable aérogare et prend le nom d'aérodrome d'Anfa. Aux environs des années 1970, l'ensemble des activités techniques et d'exploitation de l'aéroport Casa-Anfa est transféré vers celui de Nouaceur d'aujourd'hui.
Zoom-in : Le Casablanca de Prost, ville-modèle Dès 1912, compte tenu de la signature du traité du protectorat, les premières constructions importantes font leur apparition. Ce fut en dehors de l'enceinte de l'ancienne médina, soit la zone délimitée aujourd'hui par les Bazars de la rue Félix-Houphouët, Bab Marrakech et le marché sénégalais. Le terrain de l'ancien aéroport de Casablanca n'a pas fait exception. Cette même année, la spéculation sur les terrains bat son plein et l'impératif d'une réglementation ad hoc s'impose. Les premiers plans d'aménagement de géomètres sortent des limbes, et l'ingénieur-géomètre Albert Tardif dessine l'emprise de la nouvelle ville circonscrite par le boulevard circulaire (actuellement boulevard de la Résistance et boulevard Zerktouni), devant les yeux admiratifs du Résident général au Maroc, le Maréchal Lyautey. Ce dernier nomma, deux ans plus tard, soit en 1914, l'urbaniste Henri Prost en tant que Directeur du service spécial d'architecture et des plans des villes. Henri Prost n'a vécu que pendant 8 ans au Maroc. Il y a présenté son premier plan d'aménagement pour la Cité blanche en 1915, et ce faisant, il inscrit Casablanca dans l'Histoire des villes modernes, en veillant au pied de l'œuvre pour celle qu'il désirait voir prospérer en tant que "capitale économique" dotée d'un grand port donnant sur l'Atlantique. De ce fait, le Général Lyautey mit au point une réglementation originale et innovante en matière d'urbanisme, qui, rappelons-le, fut une science nouvelle, à l'époque. Henri Prost puisa son inspiration dans des expériences outre-mer, a fortiori en Allemagne et aux Etats-Unis, surtout au niveau des alignements et des remembrements. Ce n'est pas tout, la mise en pratique de ce nouveau mode opératoire ne pourra se faire en France qu'après la Première guerre mondiale, faisant de Casablanca une ville-modèle.
Eclairage : Les coulisses de l'aéroport d'Anfa Si l'aéroport d'Anfa n'est pas sorti des limbes, c'est parce que la ville n'était plus en mesure de l'accueillir. Les temps ont changé et la conjoncture urbaniste leur a emboîté le pas. En effet, au lendemain de l'Indépendance du Maroc en 1956, et ce, pendant trois longues décennies, les grands projets architecturaux se sont suivis à tour de bras au grand profit de la prospérité économique du pays. En 1986, date du célèbre discours de Feu Hassan II devant les représentants des architectes et la première promotion de l'Ecole Nationale d'Architecture de Rabat, les projets urbanistes modernistes ont entamé leur rythme de croisière. Cette période, dont la littérature reste rachitique, a heureusement suscité un grand intérêt auprès des chercheurs et membres du RHAM ( Réseau de recherche sur l'Histoire de l'Architecture au Maroc aux XXème et XXIème siècles). Ainsi, les recherches de Lahbib El Moumni, Nadya Rouizem, Ben Clark, Michèle Tenzon, Sara Frikech, Daniel Williford, parmi tant d'autres, visent à échanger, se croiser et se rencontrer de façon plurielle et d'aborder l'Histoire de l'architecture, du paysage, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire au lendemain de l'indépendance, en mettant en évidence des matériaux de recherche inédits. L'indépendance du Maroc, à l'instar de celle de tout pays anciennement colonisés, n'a pas entraîné de chute en queue de poisson entre la structure générale moderne et celle dictée par l'organisation institutionnelle héritée de la période du Protectorat. Néanmoins, étant de bon augure pour le dialogue Nord-Sud, elle est même orchestrée et revendiquée par les architectes progressistes du Maroc contemporain. D'ailleurs, si les instruments d'aménagement du territoire, mis en œuvre par l'architecte Michel Ecochard (1947-1953), ont perduré bien après 1956, c'est que l'Etat marocain a su les utiliser à bon escient.
En d'autres termes, ce que d'aucuns se plaisent à qualifier d'effets résiduels et persistants du colonialisme ont, au plus grand avantage du Maroc, fait que la situation d'après-indépendance est devenue plus prospère, s'étant enrichie de plusieurs écoles et courants architecturaux. Aussi, ce métissage intellectuel a vu naître de nouveaux acteurs, de nouvelles aspirations et des relations complémentaires, quoique ambiguës, avec «la métropole». La raison en est tout simplement que l'Occident ne peut pas prospérer sans Orient et inversement, d'où l'émergence, depuis les années 80 du siècle dernier, d'un nombre non-négligeable de partenariats bilatéraux. Même sur fond de tensions géopolitiques internationales, compte tenu des enjeux liés à la Guerre froide sur le territoire marocain, l'ère du développement a trop avancé pour reculer.
Actualité : Le projet Anfa a la cote Le projet d'Anfa devra s'étendre sur 475 hectares. Son but est clair est net : transformer l'ancien aéroport, emblème historique de la Cité blanche, dans l'optique d'y créer une ville moderne de pas moins 100.000 habitants et des dizaines de milliers d'emplois. Pour sa part, la première tranche opérationnelle qui s'étend sur 115 ha est en cours de réalisation. Dans un communiqué de presse, l'entreprise gestionnaire du projet en assure le suivi urbain et porte à la connaissance du public avoir réalisé la mission de conception des espaces publics. «Nous sommes aussi maîtres d'œuvre du premier îlot test de 250 logements réalisés», indique-t-on dans le même document. Les gestionnaires du projet ont, à titre indicatif, pris en charge l'étude de développement et d'aménagement du secteur d'Anfa à Casablanca, les études de fonctionnement des îlots construits, l'étude de la Place Financière, la maîtrise d'œuvre des espaces publics. Nul besoin de rappeler que cet espace tient une place de choix au sein de la ville de Casablanca. La raison en est qu'elle demeure une pièce urbaine au regard des immenses territoires ouverts à l'urbanisation, et le projet phare du Maroc appelé à devenir le symbole du défi de la smartisation du Royaume. «C'est cette contradiction apparente que l'équipe gestionnaire du défi tient tant à résoudre, en introduisant l'idée d'une centralité tardive dans la ville contemporaine. Le quartier «centre» de Prost a été le générateur du développement de la ville», assure-t-on.