sur la ville de Casablanca (11) Al Bayane : Existait-il un plan d'aménagement avant le protectorat ? Rachid Andaloussi : Je dois préciser que quelques années avant la signature du traité du protectorat, Casablanca commençait à avoir une aura internationale. Il y avait même la présence de plusieurs communautés étrangères, vivant sous les protections consulaires. Pour beaucoup de gens, surtout les aventuriers, Casablanca, c'était l'Eldorado ou le lieu de prédilection pour s'enrichir. sur la ville de Casablanca (11) Al Bayane : Existait-il un plan d'aménagement avant le protectorat ? Rachid Andaloussi : Je dois préciser que quelques années avant la signature du traité du protectorat, Casablanca commençait à avoir une aura internationale. Il y avait même la présence de plusieurs communautés étrangères, vivant sous les protections consulaires. Pour beaucoup de gens, surtout les aventuriers, Casablanca, c'était l'Eldorado ou le lieu de prédilection pour s'enrichir. On assistait, également, à l'émergence de nouveaux bâtiments en dehors des murailles de l'ancienne médina. Une telle situation a fait de la ville un objet de spéculation. Henri Prost, nous fait savoir que la ville «était l'œuvre des spéculateurs et des promoteurs d'immeubles beaucoup plus que celle des urbanistes». C'était une ville où l'anarchie était le mot d'ordre. Bref, Pour Prost, c'était le chaos par excellence. Pire ! Les notions d'hygiène et de propreté n'avaient pas de sens dans l'ancienne médina. Le résident général de France s'est, lui-même, alerté contre la situation dominante. Pour lui, c'était toute la beauté, la commodité des villes et leur avenir qui étaient en jeu à cette époque. D'où la nécessité de renverser la tendance en réfléchissant à d'autres modes d'intervention urbaine. Idem pour Henri Prost qui fait remarquer dans son plan de Casablanca, lors de son arrivé au Maroc, que la ville «à première vue, c'était un chaos invraisemblable, sans voirie possible, tellement le développement avait été rapide, partout à la fois et en tous sens». Comment va-t-on procéder pour opérer cette intervention ? Il faut admettre que le système d'organisation urbaine du protectorat a pour objectif la coexistence pacifique entre deux cultures européenne et locale. L'expérience de la France en matière d'intervention urbaine en Algérie parait moins satisfaisante. L'appropriation du préexistant par les colons a eu des effets pervers : destruction du tissu urbain précolonial. En s ́installant au Maroc, Lyautey met sur pied le service des antiquités, des beaux-arts et des monuments historiques afin d'assurer la protection des richesses artistiques du passé. L'action de Lyautey participe à cette logique duale : innover sans porter atteinte au préexistant. Selon l'architecte Tranchant de Lunel, qui occupait le poste de chef de service des Beaux-arts, «les nécessités du progrès nous amèneront, sans aucun doute, à créer, pour des besoins nouveaux, des bâtiments nouveaux ; mais suivant l'exemple des Anglais aux Indes, nous placerons les jeunes constructions à une distance suffisante des anciennes pour qu'elles ne se confondent pas avec elles. Il faut qu'il y ait juxtaposition, mais non mélange». Notons dans ce sens, que pour atteindre ses objectifs, Lyautey va recourir à l'assistance de deux éminents architectes, en l'occurrence Henri Prost et Jean-Claude Nicolas Forestier. Quelle est la véritable valeur ajoutée qu'ils ont apportée pour la ville de Casablanca ? Jean-Claude Nicolas Forestier fut conservateur des Promenades de Paris et membre fondateur de la Société française des architectes et urbanistes. Il est architecte, urbaniste et botaniste, acquis à l'environnement. Henri Prost est une personnalité hors-norme. Par son savoir-faire, il fut l'un des architectes et urbanistes qui ont amplement empreint l'histoire de Casablanca durant le XXe siècle. Son parcours professionnel fut riche. Il figure, lui aussi, parmi les fondateurs de la Société française des urbanistes, et son passage au Maroc n'a pas été de courte durée. Comme je l'ai déjà souligné, c'est l'un des artisans de la place de France et du palais de justice. Pouvez-vous nous résumer les grandes lignes de son plan d'aménagement? La vision de Prost consiste à donner une nouvelle dimension à l'espace urbain afin de le rendre plus rationnel, et ce par la généralisation du zoning, mettant une séparation nette entre l'habitat, les loisirs et le lieu du travail, le respect du préexistant, la mise au point d'une importante législation de l'urbanisme. Quel était l'objectif escompté de ces lois ? Il s'agit entre autres de limiter les gabarits, de déterminer les surfaces constructibles... Je fais allusion au dahir du 16 avril 1914, texte fondamental en matière d'alignements, plans d'aménagement et d'extension, servitudes et taxes de voirie. Ce texte juridique va être renforcé par le dahir du 10 novembre 1917 régissant les associations syndicales de propriétaires urbains et le dahir du 10 juin 1922 mettant l'accent sur l'immatriculation obligatoire des immeubles situés dans le périmètre urbain... On assiste donc à l'organisation d'un champ qui a été toujours à la merci de l'anarchie et des intérêts étroits. Cela débouche sur l'émergence d'une nouvelle logique basée sur la transparence et la détermination des attributions de tous les intervenants. Casablanca pouvait enfin s'enorgueillir de son centre-ville, ses constructions modernes qui poussaient comme des champignons, ses vitrines ... Toutefois, cette dynamique qu'a connue Casablanca avec le plan de Prost va s'estomper, en raison de la multiplication par 6 de sa population. Ainsi, on fait appel en 1946 à Michel Ecochard pour redresser à nouveau la barre.