L'accord signé entre le groupe russe Rosatom et l'entreprise marocaine Water And Energy Solutions pourrait ouvrir de larges perspectives dans le domaine de dessalement de l'eau au Maroc. L'énergie nucléaire made in Russia va-t-elle bientôt aider au dessalement de notre eau ? C'est l'un des probables futurs champs de collaboration entre Rabat et Moscou. Le 27 juillet dernier, Rusatom Smart Utilities, une des filiales du géant russe Rosatom, et l'entreprise marocaine Water and Energy Solutions ont signé un protocole d'accord prévoyant de coopérer pour la mise en œuvre de projets de dessalement, de conditionnement et de purification de l'eau.
La signature a eu lieu en marge du Sommet Russie-Afrique, qui s'est tenu les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg. Le document a été signé par Mohammed Amine Cherkaoui, président du Conseil d'administration de Water and Energy Solutions et Kseniya Sukhotina, directrice générale de Rusatom Smart Utilities. Selon le communiqué publié par Rosatom, la construction d'unités de dessalement combinées à une centrale nucléaire fait partie de la solution intégrée proposée par le groupe russe à ses clients potentiels.
"Sachant que près de la moitié du coût d'un mètre cube d'eau dessalée est constitué par les coûts de l'électricité et de l'énergie thermique, l'intégration avec une source d'énergie permet d'optimiser les coûts et de réduire matériellement le coût de base de l'eau dessalée", met en avant Rosatom.
Le groupe russe a déjà expérimenté cette technologie dans plusieurs pays partenaires. Il en est ainsi du Kazakhstan, où Rosatom avait créé à Aktau, sur la mer Caspienne, un complexe de dessalement associé à une centrale nucléaire à neutrons rapides. Dernier projet en date, un complexe de dessalement en cours de construction en Turquie. Il sera associé à la centrale d'Akkuyu, dont les travaux ont été lancés en 2015 et qui entrera en service vers la fin 2023.
Baisse du coût de dessalement
Solution idéale pour le Maroc ? Pour faire face au stress hydrique, le Royaume s'est lancé dans une grande stratégie de construction de stations de dessalement d'eau de mer. L'objectif est d'atteindre 1 milliard de mètres cubes d'eaux dessalées d'ici 2030, soit 50% des besoins en eau potable. Si cette option paraît la plus adéquate pour un pays avec une large façade maritime, le coût d'une telle technologie reste lourd.
Effectivement, le dessalement d'eau de mer par l'osmose inverse est gourmand en énergie. Afin de réduire ce coût, les autorités misent sur un couplage de ces stations avec les parcs éoliens et les stations solaires. La limite d'un tel choix est que ces sources d'énergies sont intermittentes, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas une production régulière en électricité.
Dès lors, l'énergie nucléaire paraît opportune, puisqu'elle a le double avantage d'être décarbonée et stable. "Les réacteurs nucléaires de petite et moyenne taille sont adaptés à la désalinisation. Cela pourrait être réalisé en produisant de l'électricité et en utilisant l'excédent pour alimenter l'unité de désalinisation", nous explique Norman JD Sawyer, président de IONNuclear Consulting Limited, un cabinet de consulting canadien spécialisé dans le domaine nucléaire.
"Ainsi, la désalinisation peut offrir une manière de varier considérablement la quantité d'électricité fournie au réseau par une centrale fonctionnant en continu à pleine puissance, en réponse à la demande variable. L'excédent d'énergie est dirigé vers l'unité de désalinisation lorsqu'il est disponible, car l'eau potable peut être facilement stockée pour une utilisation ultérieure. Sinon, l'énergie pourrait être fournie directement sous forme de chaleur de haute qualité à l'unité de désalinisation", poursuit notre expert.
Small modular reactors
Le Maroc a déjà exprimé son vif intérêt dans le déploiement des Small modular reactors (SMR) (voir édition du 6 avril 2023). Dans ce domaine, la Russie compte parmi les pays les plus avancés dans le développement de ce type de réacteurs. En avril dernier, Rosatom a annoncé son premier projet de SMR à terre dans la république russe de Sakha, en région arctique. Il s'agit d'un réacteur RITM-200N refroidi à l'eau, d'une puissance de 55 MW.
Ce SMR est une adaptation de la série RITM-200 utilisée pour alimenter la dernière flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire. Car pour développer ses modèles, le groupe russe se base sur une longue expérience dans la construction de petits réacteurs opérés par les brise-glaces et les sous-marins nucléaires russes.
Si le projet de dessalement maroco-russe se concrétise, il va s'inscrire dans la continuité logique d'une collaboration datant de quelques années. En octobre 2022, Moscou avait officiellement approuvé un projet d'accord pour assister le Maroc dans la construction d'une centrale nucléaire. Datant de 2017, cet accord avait été signé lors de la visite de l'ancien Premier ministre russe Dimitri Medvedev au Maroc jetant les bases d'une coopération dans 11 domaines, dont ceux relevant de l'Agence fédérale de l'énergie atomique (Rosatom) et du Centre national de l'énergie, des sciences, et des techniques nucléaires (Cnesten).
Un autre potentiel domaine de collaboration encore en friche, est celui de l'exploitation de l'uranium. Selon la World Nuclear Association, le Maroc posséderait dans son sous-sol pas moins de 6,9 tonnes métriques d'uranium dans des réserves de 50 milliards de tonnes de phosphates. Comme leader mondial dans l'exploitation et l'enrichissement de l'uranium, Rosatom pourrait assister le Maroc dans ce domaine.
3 questions à Norman JD Sawyer "Les SMR représentent un risque financier moindre pour les clients potentiels et les investisseurs" Interview avec Norman JD Sawyer, qui possède plus de 4 décennies d'expérience et de leadership exécutif dans l'industrie nucléaire nord-américaine et est actuellement président de ION Nuclear Consulting Limited, un cabinet de consulting dans l'énergie nucléaire.
L'utilisation des réacteurs nucléaires modulaires de petite et moyenne taille (SMR) est-elle une solution efficace pour le dessalement d'eau de mer ?
Il est estimé qu'un cinquième de la population mondiale n'a pas accès à une eau potable sûre, et que cette proportion augmentera en raison de la croissance démographique par rapport aux ressources en eau. Le rapport sur les perspectives énergétiques mondiales indique qu'il y avait environ 19.000 usines de désalinisation dans le monde, fournissant de l'eau à la fois aux utilisateurs municipaux et industriels.
Les réacteurs nucléaires modulaires de petite et moyenne taille (SMR) sont adaptés à la désalinisation. Cela pourrait être réalisé en produisant de l'électricité et en utilisant l'excédent pour alimenter l'unité de désalinisation. Ainsi, la désalinisation peut offrir une manière de varier considérablement la quantité d'électricité fournie au réseau par une centrale fonctionnant en continu à pleine puissance, en réponse à la demande variable.
L'excédent d'énergie est dirigé vers l'unité de désalinisation lorsqu'il est disponible, car l'eau potable peut être facilement stockée pour une utilisation ultérieure. Sinon, l'énergie pourrait être fournie directement sous forme de chaleur de haute qualité à l'unité de désalinisation.
Où en est la recherche dans ce domaine ?
L'utilisation des technologies nucléaires pour aider à la désalinisation fait l'objet d'études depuis un certain temps. Le programme de recherche coordonnée (CRP) de l'AIEA sur les nouvelles technologies pour la désalinisation de l'eau de mer utilisant l'énergie nucléaire a été organisé dans le cadre d'un groupe de travail technique sur la désalinisation nucléaire en 2008.
Lors du Sommet mondial de l'eau de 2010 à Paris, la perspective de centrales de désalinisation co-localisées avec des centrales nucléaires a été soutenue par des experts internationaux de l'eau. Selon l'Association nucléaire mondiale, des pays tels que la Russie, le Japon et la Corée du Sud ont des unités de désalinisation alimentées par de grandes installations nucléaires pour produire de l'eau propre à différentes utilisations.
Est-il plus économique d'utiliser des SMR plutôt qu'une centrale nucléaire classique ?
Etant donné que les technologies des SMR sont plus avancées et de plus petite taille que la génération actuelle de technologie nucléaire, elles sont censées être plus abordables, plus faciles à construire et à exploiter, et donc plus faciles à gérer et à financer.
La plus petite taille et les délais de livraison plus courts réduisent les besoins d'investissement initial pour les SMR par rapport aux grands réacteurs. Si l'on suppose que tous les facteurs de conception sont les mêmes entre un grand réacteur et un SMR, étant donné que le temps de construction devrait être beaucoup plus court pour un SMR, on peut voir qu'au minimum, le coût de construction serait inférieur. Le résultat est un risque financier moindre pour les clients potentiels et les investisseurs, ce qui pourrait rendre les SMR plus abordables.
Diplomatie : Exit la France ? Si le Maroc veut désormais se rapprocher de la Russie pour le développement du nucléaire civil, cela n'a pas toujours été le cas. Lorsque le Royaume commence à réfléchir à ce projet dans les années 80, il se tourne d'abord vers les Français.
En 1983, l'Office national d'électricité du Maroc s'est associé avec Sofratome, une filiale du Commissariat français à l'énergie atomique, EDF (Electricité de France) et l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) dans le but d'étudier la faisabilité de construire une centrale nucléaire au Maroc. Cette étude a déterminé que la zone de Sidi Boulbra, située entre Safi et Essaouira, serait un emplacement approprié pour cette centrale. Le projet ambitieux visait à mettre en service 6 réacteurs de 600 MW entre 2005 et 2007.
Ce projet n'a jamais vu le jour pour plusieurs raisons, dont la faiblesse du réseau électrique marocain à l'époque, et le coût prohibitif. Leader dans ce domaine durant cette période, l'industrie française a peu à peu perdu son positionnement mondial en faveur des concurrents américains, russes et coréens.
L'info...Graphie Afrique : Rosatom avance ses pions Durant le Sommet Russie-Afrique, le Maroc n'était pas le seul pays à avoir signé un accord de coopération dans le nucléaire avec Rosatom. Le groupe russe spécialisé dans l'énergie nucléaire a aussi exploré d'autres marchés africains, parmi lesquels le Nigeria. Le pays le plus peuplé d'Afrique veut construire une centrale nucléaire, et s'est tourné vers le géant russe pour mettre en place ce projet.
En marge du Sommet, Gabriel Aduda, secrétaire permanent du gouvernement nigérian pour les Affaires étrangères, a ainsi annoncé au média russe Sputnik que "nous discuterons avec Rosatom de la question d'une centrale nucléaire au Nigeria". "Nous avons déjà conclu un accord intergouvernemental depuis un certain temps. Et nous allons projeter un accord de développement. Je pense qu'il est temps pour nous de regarder dans cette direction également", a poursuivi le responsable gouvernemental.
Selon Rosatom, plus de 20 pays africains seraient intéressés par un partenariat avec la Russie dans la construction de centrales nucléaires de grande et faible puissance, des centres de recherches et de technologies nucléaires et l'exploration des gisements d'uranium. En juillet 2022, le groupe russe a lancé la construction de la première centrale nucléaire d'Egypte. Evalué à plus de 25 milliards d'euros, le projet vise la construction de quatre réacteurs de 1.200 MW chacun. La centrale nucléaire d'El-Dabaa devrait livrer ses premiers électrons à partir de 2026.