Pour sortir définitivement de sa dépendance au charbon, le Maroc lorgne une nouvelle génération de réacteurs nucléaires, les SMR (Small Modular Reactors). Depuis quarante ans, le Maroc caresse l'ambition de se lancer dans l'électronucléaire. Avec les nouveaux défis de souveraineté énergétique et de décarbonation, ce rêve semble plus proche que jamais. Dans ce domaine aussi complexe que stratégique, le Royaume veut réaliser un leapfrog (saut technologique), en adoptant les SMR (Small Modular Reactors).
Contrairement aux centrales nucléaires classiques, ces petits réacteurs modulaires sont plus agiles et plus simples à utiliser. De plus faibles puissances que les réacteurs à fission classiques, les SMR ont l'avantage de se déployer plus facilement avec un investissement initial plus faible et des prix au kilowattheure plus compétitifs. Ils tirent cet avantage du fait que, à la différence des réacteurs conventionnels, les pièces constituant les SMR sont produites à la chaîne dans des usines, puis montées sur place.
"Les SMR fournissent de l'énergie de manière fiable et avec de faibles émissions de CO2. Ils sont bien placés pour compléter les énergies renouvelables intermittentes comme les énergies éolienne ou solaire, et donc pour maintenir la sécurité de l'approvisionnement en électricité", nous explique Mustapha Boubcher, directeur de l'ingénierie nucléaire à Assystem MENA, entreprise spécialisée dans l'ingénierie nucléaire.
Energie du futur
A la date d'aujourd'hui, plus de 80 modèles de SMR sont dans différentes phases de développement. Le projet le plus abouti est celui de la start-up américaine NuScale, qui a obtenu en 2020 l'approbation de la commission de réglementation nucléaire des Etats-Unis pour débuter la commercialisation. D'autres pays se sont lancés dans cette course, comme la Russie, la Chine, le Japon et récemment la France. La plupart de ces prototypes seront sur le marché en 2030, et selon l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire, jusqu'à 10% de la production nucléaire mondiale se fera à travers des SMR d'ici 2040.
"La ministre de l'Energie suit de près l'évolution de cette technologie et les possibilités de l'adopter au Maroc", nous confie une source officielle. Leila Benali voit dans les SMR un moyen rapide et à moindre coût pour sortir le pays de sa dépendance au charbon, qui représente plus de 65% du mix électrique marocain. Avec l'objectif de porter les énergies renouvelables à 52% du mix à l'horizon 2030, le nucléaire pourrait être une énergie d'appoint idéale pour compenser l'intermittence de l'éolien et du solaire.
Ces petits réacteurs ont une production de près de 300 Mégawatt par unité, soit environ un tiers de la capacité de production des réacteurs nucléaires traditionnels. Cela présente l'avantage de mieux s'intégrer dans un paysage électrique marocain avec une consommation modérée (40.000 GWh/an), en comparaison aux pays industrialisés. Les SMR peuvent non seulement alimenter directement le réseau électrique national, mais également fournir en énergie les stations de dessalement d'eau de mer, ou encore certaines industries particulièrement énergivores (le secteur minier par exemple).
Est-on prêt ?
Depuis une dizaine d'années, le Maroc a accompli des efforts importants pour mettre à niveau son cadre législatif et technique dans le domaine nucléaire. En 2014, la loi 142-12 relative à la sûreté et à la sécurité nucléaires et radiologiques a été adoptée, créant l'Agence Marocaine de Sûreté et de Sécurité Nucléaires et Radiologiques (AMSSNuR). Doté de cet organe de contrôle et d'un institut de recherche et de formation, le Centre National de l'Energie des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN), le Royaume est fin prêt à se lancer dans l'énergie nucléaire, en général, et dans les SMR, en particulier.
Un avis partagé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Durant une visite au Maroc en juin 2022, le directeur général de l'organisation Rafael Grossi avait déclaré que «l'expertise du Maroc en matière de sciences nucléaires est un atout précieux pour le développement du pays». Le sujet des SMR avait d'ailleurs été longuement discuté entre le DG et l'AIEA et la ministre de l'Energie Leila Benali.
"La phase 1 de l'approche par étapes recommandée par l'AIEA a été menée à bien par le Maroc, ce qui constitue une réalisation majeure", se félicite l'expert en ingénierie nucléaire Mustapha Boubcher. "Je suis convaincu que le Maroc dispose des ressources humaines, de l'ambition et de la vision nécessaires pour adopter avec confiance l'énergie nucléaire", poursuit-il.
Pour mener à bien cette mission, quelques défis restent à relever. D'abord à l'international, s'assurer de la réussite des essais, de la démonstration et de l'obtention des autorisations réglementaires pour cette technologie. Et au niveau national, travailler sur la gestion des déchets radioactifs et des procédures d'intervention rapide en cas d'accidents, d'une part, et, d'autre part, rassurer l'opinion publique quant à la sûreté et la sécurité de cette énergie.
Soufiane CHAHID
3 questions à Mustapha Boubcher "Le Maroc a la vision nécessaire pour adopter l'énergie nucléaire" Directeur de l'ingénierie nucléaire région MENA du groupe Assystem, Mustapha Boubcher a répondu à nos questions concernant le développement des SMR et leur future place au Maroc.
Quel est l'état actuel du développement des SMR dans le monde ? Il existe aujourd'hui dans le monde plus de 80 modèles de SMR destinés à divers segments de marché et se trouvant à différents stades de développement. Les calendriers de déploiement varient en fonction des niveaux de préparation technologique et réglementaire, certains modèles devant faire l'objet d'une démonstration et être commercialisés avant 2030 et d'autres devant suivre plus tard dans les années 2030.
Par exemple, en octobre 2022, Ontario Power Generation (OPG) a soumis à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (organisme de réglementation nucléaire) une demande de licence pour la construction d'un réacteur SMR BWRX-300 (300 Mwe) refroidi à l'eau, conçu par GE-HITACHI, sur le site d'OPG à Darlington, dans l'Ontario, au Canada. Ce réacteur devrait être mis en service en 2028.
Comment les petits réacteurs modulaires s'intègrent-ils dans le bouquet énergétique national ? Le Maroc devrait envisager la technologie des SMR pour diversifier davantage son système énergétique afin de répondre durablement aux besoins énergétiques actuels et futurs et d'atteindre ses objectifs ambitieux de décarbonation pour 2030. Les SMR, qui fournissent une énergie sans CO2 de manière fiable, sont bien placés pour compléter les énergies renouvelables intermittentes, et donc pour maintenir la sécurité de l'approvisionnement en électricité. Grâce à leur flexibilité intégrée, les SMR offrent des options pour les régions éloignées dotées d'infrastructures moins développées et la possibilité de mettre en place des systèmes énergétiques hybrides synergiques combinant le nucléaire et les énergies renouvelables. En tant que tels, les SMR peuvent contribuer au maintien d'un développement économique et social durable dans ces régions éloignées.
Quel est l'état de préparation actuel au Maroc pour le déploiement des petits réacteurs modulaires ? Les experts locaux compétents en la matière devraient être bien placés pour fournir des informations sur l'état de préparation. Cela dit, il est de notoriété publique que la phase 1 de l'approche par étapes recommandée par l'AIEA a été menée à bien par notre pays, ce qui constitue une réalisation majeure. En outre, l'AMSSNuR, qui est une organisation très réputée et bien établie, est capable de soutenir les activités nucléaires liées au déploiement des SMR au Maroc, telles que l'octroi de licences.
Je suis convaincu que le Maroc dispose des ressources humaines, de l'ambition et de la vision nécessaires pour adopter avec confiance l'énergie nucléaire.
Propos recueillis par Soufiane CHAHID
L'info...Graphie Développement de SMR: Ces pays pionniers Bien que la technologie des SMR soit encore en phase d'expérimentation, plusieurs pays ont choisi de se lancer dans l'aventure. Pays leader de par le nombre de start-ups qui s'activent dans ce domaine, les Etats-Unis ont autorisé la construction du SMR de l'entreprise NuScale. La mini-centrale, qui se situe dans l'Etat de l'Idaho, va générer 462 MWh d'électricité à partir de 2030.
NuScale a réussi à exporter son modèle de SMR dans plusieurs pays, notamment en Pologne. En septembre 2021, l'entreprise américaine a signé avec le géant du cuivre polonais KGHM un mémorandum d'accord sur le développement et la construction, d'ici 2030, d'au moins quatre petits réacteurs nucléaires SMR. Le premier de ces réacteurs devrait entrer en service dès 2021.
La marque de voitures de luxe Rolls-Royce veut également se positionner sur ce marché d'avenir. Soutenue financièrement par le gouvernement britannique, l'entreprise va construire une centrale générant 470 MWh pour un investissement de 1,8 milliard de livres sterling. L'emplacement n'a toujours pas été déterminé.
Certains pays jusque-là absents de l'industrie nucléaire veulent aussi saisir l'opportunité des SMR pour se tailler une place. C'est le cas de l'Argentine, qui est en train de construire un SMR entièrement conçu localement. Dénommé CAREM-25, ce SMR aura un coût total variant entre 446 et 700 millions de dollars. Chaque réacteur aura une capacité de 32 MWh et le premier sera opérationnel dès 2024.
Défi écologique: L'effet Bill Gates Le fondateur de Microsoft et un des hommes les plus riches du monde Bill Gates est, depuis quelques années, engagé dans la lutte contre le changement climatique. L'entrepreneur considère l'électronucléaire comme une énergie d'avenir dans laquelle il faut massivement investir. "Pour prévenir les pires effets du changement climatique, nous devons investir dans l'innovation dans tous les secteurs. L'énergie nucléaire est l'une de ces technologies critiques. Elle est idéale pour faire face au changement climatique, car c'est la seule source d'énergie sans carbone, pilotable et disponible 24h/24", a-t-il écrit sur Twitter en mars 2019.
Bill Gates croit en le nucléaire nouvelle génération et pour cela il a créé en 2006 l'entreprise TerraPower qui a comme objectif le développement de nouvelles technologies nucléaires, comme les réacteurs à ondes progressives, les réacteurs à sel fondu, ainsi que les petits réacteurs modulaires (SMR). Si elles réussissent, ces technologies permettront de réduire le volume des déchets radioactifs et d'assurer un haut niveau de sûreté.