Plus simples à gérer, à maintenir et à sécuriser, les petits réacteurs modulaires (SMR) semblent être une solution intéressante pour produire de l'énergie sans émissions de gaz à effet de serre. Au vu du contexte des changements climatiques qui impose une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, le débat sur la nécessité d'investir dans le nucléaire est revenu au coeur de l'actualité dans plusieurs pays. C'est le cas notamment en France où la volonté affichée du président français Emmanuel Macron est d'investir dans une relance du chantier nucléaire. En plus des investissements liés aux grandes centrales, l'industrie nucléaire de l'Hexagone, qui est considérée comme à la pointe dans ce domaine, entend également développer ses concepts de petits réacteurs modulaires (SMR). « Pour des pays en voie de développement qui n'ont pas besoin d'avoir de grandes centrales nucléaires, le recours à des petits réacteurs modulaires - dont la capacité peut varier entre 150 et 300 mégawatts - est beaucoup plus intéressant. Si jamais notre pays décidait d'introduire le nucléaire dans son mix énergétique, ce serait cette solution qui serait la plus adaptée », nous confie Pr Erradi Lhoussine, physicien des réacteurs et président du Groupement Marocain de Technologies des Réacteurs (GMTR). Les pas vers le nucléaire Le Maroc décidera-t-il de franchir le pas du nucléaire ? Tout semble indiquer que l'option est encore envisageable puisque plusieurs étapes préalables ont déjà été franchies dans ce sens. Selon le ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable, le Comité de Réflexion sur l'Electronucléaire et le Dessalement de l'eau de mer (CRED) mis en place en 2009 avait planché sur la préparation d'un premier rapport d'évaluation des infrastructures nucléaires nationales. Ce comité avait également préparé un rapport d'auto-évaluation qui a été examiné en 2015 par la mission d'évaluation de l'AIEA (Integrated Nuclear Infrastructure Review : INIR). En 2016, le rapport de cette mission, contenant des recommandations, des suggestions et des bonnes pratiques, a été remis officiellement au Maroc par l'AIEA. Un plan d'actions intégrées pour la mise en oeuvre des recommandations de la mission INIR a ensuite été élaboré, pour la période 2016-2020, par le CRED avec les experts de l'AIEA. « L'état d'avancement de la mise en oeuvre desdites recommandations fera l'objet d'un rapport général qui sera élaboré par le CRED début 2022 », affirme le ministère de la Transition Energétique sur son site web. Remplacer les énergies fossiles Si l'objectif du Royaume est d'atteindre 52% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030, se pose encore la question de la part restante qui sera de facto basée sur des énergies fossiles. « Il est possible de substituer progressivement la part du charbon au-delà de 2030 grâce au nucléaire à condition de privilégier la solution des petites centrales qui permettent d'avoir une souplesse en terme d'adaptation rapide à la demande et qui peuvent facilement s'intégrer au réseau national », souligne Pr Erradi Lhoussine. Développer un programme qui inclut plusieurs petits réacteurs implique également moins de risques en matière de gestion et de sécurité. « Les SMR contiennent des quantités de combustibles qui sont beaucoup moins importantes que les grandes centrales. Ils sont également plus simples à maintenir et utilisent des systèmes passifs de sécurité qui se régulent sans besoin d'intervention humaine. Il reste bien sûr le problème des déchets radioactifs, mais l'avantage avec les SMR, c'est que l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) prévoit le renvoi des combustibles usagés aux pays fournisseurs de cette technologie qui seront chargés de les retraiter », précise le physicien des réacteurs. Vers un prototype industriel « Entre le moment où l'on décide d'installer une grande centrale nucléaire et celui où elle commence son activité, il faut 10 ans en moyenne. Pour les SMR, c'est en deçà de 5 ans. Cependant, à ce jour, il n'existe pas de prototype industriel avec une démonstration en grandeur nature. La France qui vient de relancer son fleuron Technicatom dans ce chantier ambitionne de proposer un prototype industriel au-delà de 2030 », souligne cependant le président du Groupement Marocain de Technologies des Réacteurs. Si plusieurs étapes en termes d'études et de formation des ressources humaines dans le domaine du nucléaire ont été franchies dans notre pays, le lancement d'un projet de réacteur sous nos cieux ne sera manifestement pas d'actualité, au moins pour la prochaine décennie. « Notre pays doit continuer à développer les énergies renouvelables et à développer des infrastructures d'importation pour le gaz qui continue à avoir le moins d'impact par rapport aux autres énergies fossiles. Il n'est pas exclu que d'ici 2030, nous puissions découvrir et exploiter un gisement national intéressant de gaz naturel qui pourrait faire toute la différence dans l'autonomie énergétique nationale. Auquel cas, le recours au nucléaire devra être annulé ou retardé », conclut Pr Erradi Lhoussine. Souhail AMRABI Repères Gestion des risques nucléaires Les Forces Armées Royales « sont désormais un leader régional dans la lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) ». Tel est le constat fait par des diplomates américains qui intervenaient il y a quelques semaines lors de la clôture d'un programme de coopération - entre le Maroc et les Etats Unis - axé sur la détection, l'identification et la sécurisation des risques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, en utilisant les équipements les plus avancés disponibles.
Le Maroc contre les armes nucléaires À l'occasion d'une réunion de haut niveau pour la commémoration et la promotion de la « Journée internationale pour l'élimination totale des armes nucléaires », tenue à New York il y a quelques semaines, le Maroc avait lancé un appel à la prompte entrée en vigueur du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICEN). L'ambassadeur et représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies, Omar Hilale, avait à cette occasion exprimé l'attachement du Maroc au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. L'info...Graphie Monde Le parc nucléaire mondial pourrait doubler à l'horizon 2050
Le parc nucléaire mondial compte 444 réacteurs nucléaires « opérationnels » répartis entre 32 pays, selon l'Agence Internationale de l'Energie Atomique. Presque 70% de ces «tranches» sont des réacteurs à eau pressurisée (REP) à eau légère, comme celles installées en France. En 2020, le parc nucléaire mondial a généré 2 553 TWh, soit 10,2% de l'électricité produite dans le monde au cours de cette année. L'accident de la centrale de Fukushima en mars 2011 avait entraîné un renforcement des normes de sûreté au niveau international et une remise en cause de la place de l'atome dans certains pays, comme l'Allemagne qui a acté une « sortie du nucléaire » d'ici à 2022. Dans son scénario « haut », l'Agence Internationale de l'Energie Atomique estime que les capacités nucléaires installées dans le monde pourraient approximativement doubler d'ici à 2050 et atteindre 792 GW à cet horizon (contre 393 GW à fin 2020). Dans son scénario « bas », l'Agence envisage une relative stabilité des capacités nucléaires mondiales (392 GW en 2050).
Industrie nucléaire Le Maroc et la Hongrie renforcent leur coopération en matière de formation :
En septembre dernier, le Maroc et la Hongrie ont convenu de renforcer leur coopération en matière d'éducation et de formation sur les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. Un mémorandum d'entente a été signé, dans ce sens, entre l'ancien ministère de l'Energie, des Mines et de l'Environnement et le ministère hongrois de l'Innovation et de la Technologie. Cet accord vise à établir une coopération à long terme entre les deux parties dans la mise en place de programmes en matière de formation et d'éducation, notamment dans les domaines du développement de la recherche fondamentale et appliquée, des sciences et technologies nucléaires et de la réglementation sur les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. Les deux parties se sont engagées à développer la capacité industrielle locale, à travers la coopération commerciale entre les fournisseurs des deux pays de biens et services et l'élaboration de programmes d'échanges d'étudiants, professeurs et doctorants entre les universités marocaines et hongroises avec la participation d'instituts de recherche. À cette occasion, l'ambassadeur de Hongrie au Maroc, Miklós Tromler, s'était félicité de la signature de cet accord entre deux pays membres de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, lequel accord se focalisera sur l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire, mais aussi la non-prolifération des armes nucléaires. Ce mémorandum concerne aussi « le développement de technologies nucléaires et radiologiques et l'élaboration de recherches conjointes pour promouvoir cette belle coopération entre les deux pays », avait souligné Miklós Tromler..
3 questions au Pr Rajaâ Cherkaoui El Moursli, spécialiste en physique nucléaire « Le nucléaire du point de vue des émissions de gaz à effet de serre est quasiment neutre »
Pour comprendre les enjeux de l'énergie nucléaire, nous avons posé nos questions au Pr Rajaâ Cherkaoui El Moursli, chercheuse marocaine spécialisée en physique nucléaire. - Pensez-vous que le Maroc puisse encore choisir d'introduire le nucléaire dans son mix énergétique ? - Tous les pays avancés considèrent de diversifier leurs mix énergétiques en établissant des priorités. Pour le Maroc, la priorité a été d'investir d'abord dans les énergies renouvelables, mais la piste du nucléaire n'a pas été exclue. Nous avons fait les études nécessaires, étoffé le cadre juridique et formé les ressources humaines, ce qui nous positionne d'une manière avantageuse par rapport à d'autres pays africains qui veulent investir dans le nucléaire, mais qui sont en retard dans leurs préparations. Pour nous lancer dans le nucléaire, il ne manque quasiment que la décision politique et les montages financiers. - Le nucléaire peut-il à long terme présenter une alternative à l'énergie issue du charbon ? - Au vu du contexte international lié au besoin de réduire les gaz à effet de serre, l'énergie nucléaire s'avère préférable à des centrales de charbon. Le nucléaire du point de vue des émissions de gaz à effet de serre est quasiment neutre. Il a également l'avantage de réduire la dépendance vis-à-vis des ressources utilisées dans la production d'énergies fossiles. - La recherche axée sur la fusion nucléaire pourrait-elle, selon vous, aboutir dans le moyen terme ? - La recherche en cours au niveau mondial pour utiliser la fusion au lieu de la fission nucléaire permettra à terme de réduire encore plus les risques et la production de déchets radioactifs. C'est un chantier énorme qui, une fois abouti, donnera certainement lieu à un engouement mondial pour cette nouvelle méthode qui, par ailleurs, sera quasiment renouvelable puisqu'elle utilisera des matières qui sont abondantes dans la nature. Cela dit, le défi actuel est plus du côté du génie civil, car il faut encore trouver des méthodes et des matériaux qui pourront contenir la fusion. C'est une recherche qui continue à évoluer grâce à une collaboration scientifique internationale. Il faudra, en revanche, plus d'une quarantaine d'années pour voir aboutir ce chantier. Recueillis par S. A.