Abdelkader Amara Ministre de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement Les ECO : Où en est le Maroc sur sa réflexion autour de l'électronucléaire ? Abdelkader Amara : Je voudrais tout d'abord préciser que la réflexion sur l'option électronucléaire au Maroc a commencé au début des années 80. Le premier jalon franchi a été la réalisation des études liées au choix du site et à la faisabilité technico-économique du projet de la première centrale électronucléaire. Le deuxième jalon franchi a été la mise en place du Centre d'études nucléaires de la Maâmora (CENM) qui dispose actuellement d'un réacteur nucléaire de recherche d'une puissance de 2MW et de laboratoires de recherche hautement équipés. Le troisième jalon, que nous venons de franchir, est de nous doter d'un cadre législatif et réglementaire national conforme aux conventions et traités internationaux auxquels notre pays a souscrits. Par ailleurs, le ministère de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement (MEMEE) a mis en place, depuis 2009, année de lancement de la nouvelle stratégie énergétique, un comité de réflexion sur l'électronucléaire et le dessalement d'eau de mer (CRED), composé de représentants des départements de l'Energie, de l'eau et de l'environnement, de la Santé, ainsi que de l'ONEE, du CNESTEN, de l'Association marocaine des ingénieurs en génie atomique marocains et d'une personnalité scientifique. Ce comité était pratiquement en stand-by, et à ma nomination à la tête de ce département, je l'ai réactivé. Il a pour mandat de préparer les éléments de prise de décision sur la base d'une évaluation, par rapport aux exigences spécifiques reconnues mondialement, des atouts et insuffisances du Maroc pour s'engager dans l'option nucléaire. Cette réflexion a-t-elle menée vers une décision, un projet ? À ce jour, il n'y a pas de projet de centrale électronucléaire. Je tiens à souligner qu'aucune décision n'est prise concernant l'électronucléaire et que l'adoption de cette option alternative, pour le long terme, c'est-à-dire, au-delà de 2030, devra tenir compte des évolutions technologiques que connaîtra cette filière, ainsi que des choix politiques qui seront adoptés au niveau national, prenant en considération l'acceptation par le public de l'électronucléaire. Le Maroc continuera, dans le cadre de sa stratégie énergétique, à développer ses capacités électriques d'origine solaire, éolienne et hydraulique, tout en laissant ouvertes toutes les options alternatives comme l'électronucléaire et les schistes bitumineux, ainsi que toute celles offrant les meilleures conditions de disponibilité, de fiabilité, de sécurité, de compétitivité et de protection de l'environnement. En matière de nucléaire, vous avez annoncé en 2014 la création d'une agence. Où en est-on ? Dans le cadre de ses prérogatives, le MEMEE a poursuivi ses efforts de mise à niveau du cadre législatif, réglementaire et institutionnel régissant la filière nucléaire. L'année dernière a été marquée par l'adoption en août 2014 de la loi 142-12 relative à la sûreté et à la sécurité nucléaires et radiologiques, qui prévoit la création d'une agence marocaine de sûreté et de sécurité nucléaires et radiologiques (AMSSNR), indépendante des départements actuels en charge de l'utilisation et de la promotion des techniques nucléaires et dotée des ressources humaines et financières adéquates. À cet effet, le décret de mise en place de cette agence a été élaboré et je viens de le mettre dans le circuit d'approbation. Ce décret définit la composition du conseil d'administration de l'agence, les dispositions de la réglementation actuelle qui seront maintenues en vigueur jusqu'à leurs remplacement par les décrets d'applications de la loi 142.12 ainsi que les départements ministériels chargés de son exécution. Qu'en est-il des prochains échanges de votre département avec l'AIEA ? La visite effectuée au Maroc par le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a été un des évènements marquants de l'année 2014. Il a salué l'expertise et l'expérience très étendues cumulées depuis des décennies par le royaume dans ce domaine et affirmé que le Maroc est «un partenaire très important pour l'AIEA» notamment pour asseoir une coopération triangulaire et développer davantage la coopération sud-sud. Aussi, il y a lieu de souligner que j'ai exhorté le CRED à actualiser le rapport relatif à l'autoévaluation des infrastructures nationales requises pour l'introduction de l'électronucléaire. Ce rapport sera incessamment approuvé par ce département avant son envoi à l'AIEA et ceci en prévision de la mission INIR (Integrated Nuclear Infrastructure Review : mission de revue de l'AIEA du rapport d'autoévaluation des infrastructures nationales requises pour l'introduction de l'électronucléaire), qui aura lieu au quatrième trimestre de l'année 2015. Le nucléaire est-il une option réaliste pour le Maroc ? Je vous rappelle que le Maroc est toujours un pays importateur d'énergie. Donc, il a besoin, pour assurer son développement économique et social, de sources d'énergie disponibles, prenant en compte la nécessité de protection de l'environnement et du développement durable, au meilleur coût. Les atouts susceptibles de faire du nucléaire une option viable intéressante dans le mix énergétique sont, entre autres, sa compétitivité économique, la disponibilité de technologies sûres et reconnues, la protection de l'environnement et la diminution du rejet des gaz à effet de serre. La rentabilité économique n'est pas le seul élément à prendre en considération dans la politique de sécurité énergétique d'un pays. Dans le domaine de l'énergie, il y a un sacro-saint qu'il faut garder en tête, c'est la diversification aussi bien des sources que des zones géographiques (quand on est un pays importateur). Quelles sont les mesures prises contre les risques dans la perspective d'une option pour l'électronucléaire ? Dans le domaine nucléaire, plus que dans tout autre domaine, les mesures très strictes auxquelles est soumis tout projet nucléaire depuis sa conception jusqu'à son démantèlement permettent d'en faire, en fonctionnement normal, une technologie sûre, sans impact significatif pour le public et l'environnement et sans impact sanitaire pour les travailleurs du secteur nucléaire, qui restent parmi les plus protégés. Sans intention d'atténuer les conséquences pour la population située dans la zone immédiate du site et l'environnement, il y a lieu de souligner que le retour d'expériences et les progrès technologiques permettent de développer des technologies nucléaire de plus en plus sûres. Le Maroc, dans le cadre de la réflexion et de la veille technologique qu'il mène, prend en considération ces différents aspects : technologie éprouvée, sûreté, protection des travailleurs et de l'environnement, gestion des déchets radioactifs à long terme, compétitivité sur le plan économique. De ces différentes considérations dépendra une éventuelle prise de décision concernant l'électronucléaire.