A la Galerie 38 de Casablanca se tient jusqu'au 22 juillet « Alter ego », trouble exposition d'un créateur qui avoue enfin faire partie de cette faune artistique. Formes non identifiables, portées par des trames et des couleurs imposantes, invitent à un voyage riche en étonnements. Abstraction géométrique ? Formes architecturales ? Couleurs aussi parlantes que leur négation ? L'artiste qui se dévoile enfin est assez déroutant, malgré de précédentes apparitions. On a du mal à y croire, sinon il cache bien son « je ». Mais c'est partant du dessin qu'il se dépeint avec originalité : « Les dessins qui m'intéressent le plus sont faits les yeux fermés. Les yeux fermés, je sens ma main glisser sur le papier. J'ai une image en tête mais les résultats me surprennent. » A l'inverse des œuvres qui prétendent vivre en paix, Youssef Douieb propose aux siennes de reposer en paix. Les yeux éteints lui permettent de s'exprimer au-delà du tumulte qu'engendrent des regards imposés par une vue définitivement palpable. L'imagination associée au toucher peut aboutir à des situations de pure intensité. Ce qu'il revendique derechef, soigne, remodèle et fait grandir. Et puis, quand le travail est fini -ce qui n'est généralement pas de l'avis des créateurs, heureusement jamais satisfaits- ce sont des dialogues passionnés, des échanges houleux qui s'échappent de la toile. Ici, avec « Alter ego », on est dans une ambiance de lendemain de duel avec soi-même, ne comptant pas déposer les armes puisqu'on vient de les déballer, préférant les astiquer jusqu'à les déposséder de leur teinte initiale. « À l'occasion de cette exposition, la palette d'acryliques de Douieb s'illumine et son style se peaufine. S'il avait jusque-là plutôt habitué le spectateur à des œuvres d'une grande pureté monochromatique, il introduit avec brio la couleur dans ses dernières œuvres », nous dit, chantonnant, le communiqué de la galerie. Il y a aussi des formes sorties de nulle part, ressemblant à rien ou si peu, s'entremêlant, faisant plus une sorte d'amour indétectable entre lune, oxygène et ciel. L'auteur de l'un des textes du catalogue, Sylvain Huard, glisse autant que l'artiste sur le papier : « Le plus étonnant est l'absence de perspectives : les couleurs ne créent pas de volumes, elles ne s'agencent pas en plans qui se superposent et créent des échos. Non, elles se continuent. Dans leurs diversités -de teintes, de nuances, de quantités, de formes-, elles se prolongent non les unes dans les autres mais les unes par les autres si bien qu'une impression de narration s'impose. Un récit de couleurs -de droite à gauche, de gauche à droite, de bas en haut, de haut en bas- qui n'attend aucune parole pour se substituer à lui, un récit de couleurs qui se suffit à lui-même, remisant aux cahiers d'écolier l'alphabet rimbaldien. La couleur comme narration donc, comme expression, dans le sens fort du terme, voilà ce que nous offre Youssef Douieb. » Finalement, on se laisse caresser par une berceuse assez rock'n'roll. Une œuvre sonore déroulant des tons pluri-colorée.
Voix rageusement inaudible
Celui qui s'imbibe considérablement des approches d'un Melehi ou d'un Hamidi flotte profondément dans des eaux qu'il élague lui-même pour des symphonies composées au fil d'écoutes puisées dans un répertoire plus déchiffré que lu. Et c'est le propre de ceux qui ne refusent pas d'être taxés d'autodidactes puisqu'ils le sont furieusement. Youssef Douieb serait son propre « Alter ego ». Ce qu'il dessine et peint raconte très discrètement, à voix rageusement inaudible survolant le non-prononcé, un lendemain plus poignant, imposant, flamboyant. L'autre auteure inscrite dans le catalogue, la critique Syham Weigant, transpire d'enthousiasme en couchant ses mots : « Je suis heureuse et honorée qu'il me revienne de vous présenter la première exposition personnelle de celui qui s'est enfin accepté artiste, sans d'autres épithètes désormais que celui-là. Et ce, ainsi que le prédit la formule : pour le meilleur et pour le pire ! Pour le pire, indissociable nécessité consubstantielle à l'artiste, on verra bien... Puisque, pour cette exposition, il sera question d'un meilleur ! Celui de l'introduction de la couleur par Youssef Douieb dans son travail et qu'il réussit avec brio ! Ce dont je ne doutais absolument pas, puisque Youssef en a pris le temps. Oui, ce temps constitutif notamment de la lumière et ce temps de réflexion et d'expérimentation nécessaire pour la comprendre puis la représenter. Les premières œuvres de cet artiste résolument méridional sont alors longtemps d'une ''pureté'' monochromatique jusqu'à la maîtrise. » Le jeune plasticien de 58 ans, aujourd'hui adepte du « United Colors of bons tons » est recherché pour atteinte à l'ordre pictural. A foison.