Dans ce marché de gros sur le bord de mer de Rabat, l'impression générale est à la confusion, la saleté et le désordre qui règnent en maître. Des oiseaux charognards, juchés sur les amas de déchets immenses. Le spectacle a de quoi écœurer les visiteurs qui ne peuvent que lancer des soupirs de gêne et de désenchantement. Des "Hamala" (portefaix) se livrent à une navette, supportant le poids des marchandises, mais on dirait le fardeau de la vie. La joie de vivre n'est pas la marque de ces endroits synonymes "d'enrichissement" pour certains, et de paupérisation pour beaucoup d'autres. Etat des lieux Une fois accédés à l'intérieur en ce mercredi 5 avril, nous avons tout de même eu la bonne surprise de découvrir des étalages espacés de grosses quantités de légumes et de fruits où chacun a apparemment son mot à dire quant au prix de chaque produit exposé. Nous voulions en avoir le coeur net sur "la fameuse flambée des prix", que ce soit au niveau des légumes ou celui des fruits. De prime à bord, nous avons constaté une différence des prix d'un commercant à l'autre. Certains attribuent cette différence à la qualité des produits en question, d'autres l'expliquent par le processus de distribution, faisant référence aux coûts de transport depuis l'endroit initial de production jusqu'au marché. Qui dit Ramadan, dit "Harira", l'occasion de demander ce que vaut l'ingrédient qui constitue la principale composante de ce met, à savoir la tomate, vendue sur ce marché à 6 dirhams/ kg, en baisse par rapport au début du mois. Quant à la pomme de terre, son prix est négocié entre 10 et 14 dirhams, tandis qu'une cagette de ce légume, pesant entre 25 à 26 kilos, peut s'acheter à 350dh. Les oignons constituent le grand souci des consommateurs à en pleurer, leur prix oscille entre 14 et 16dh/kg, mais l'alternative s'offre aux consommateurs de se porter sur les oignons verts dont le prix est estimé à 3dh/kg. Pour les carottes, les prix oscillent entre 6 et 9dh. S'agissant des fruits, les prix des oranges fluctuent entre 6 et 7dh et peuvent atteindre jusqu'à 10 dh. Le melon entre 15dh et 16 dh, l'avocat entre 35 dh et 45 dh, la poire à 15dh, les nèfles à 30 dh tandis que les fraises provenant des environs de Moulay Bousselham coûtent 12dh, comme confirmé auprès d'un commerçant. Remarquons que certains produits gardent des prix stables tandis que d'autres connaissent des fluctuations importantes, selon les dires d'un commerçant. Les négociants se disent obligés d'acheter certains produits, même si leurs prix sont chers, juste pour maintenir la fidélité des clients et la demande accrue en la matière, mais considèrent que la solution idéale serait de "boycotter ces produits". Faute de fonds, d'autres changent carrément de métier. "Si le commercant avait besoin d'un capital de 2000 dirhams pour tourner sa machine, aujourd'hui il est obligé de disposer d'un budget minimal de 5000 dirhams pour ce faire", nous explique un témoin qui traîne derrière lui 30 ans d'expérience. Les prix passent du simple au double au marché de détail Un saut dans un marché de quartier révèle une tout autre situation. Les prix des légumes et des fruits franchissent des marges insoupçonnées en passant du marché de gros à la vente au détail et c'est le consommateur qui en fait les frais. Si l'ambiance reste presque la même dans les deux lieux, d'autres différences s'affichent. Les paniers sont moins garnis ou même vides, les choix oscillent entre la réduction des achats ou tout simplement la privation de certains légumes et fruits jugés coûteux. Les yeux rivés sur les prix, les consommateurs jettent leur dévolu sur des produits moins chers. Une visite de terrain nous a permis de constater que les prix sont volatiles à un rythme inquiétant. Dans l'après-midi du mercredi 5 avril, au marché d'El Kamra, l'oignon vert frais communément appelé oignon d'hiver se vend entre 4 et 5 dirhams le kilo. Pour les carottes, elles sont vendues à 3 dirhams/kg une heure avant le ftour, mais elles valaient 7 dirhams le matin alors que les pommes de terre se vendent entre 8 et 10 dirhams. Les prix ont apparemment des heures de pics qui fléchissent à l'approche du ftour. Les vendeurs tendent en fin de journée à brader leurs marchandises dont la qualité laisse d'ailleurs à désirer. Pour leur part, les consommateurs y trouvent idéalement leur compte. Quant aux oignons secs, ils ne se vendent à pas à moins de 15 dirhams/kg depuis déjà quelques jours avant le Ramadan. Ce bulbe indispensable dans plusieurs recettes de la gastronomie marocaine ne semble plus à portée du pouvoir d'achat des citoyens, puisque rien que ce mercredi, il s'est vendu à 16 dirhams toute la journée alors qu'il ne dépassait pas les 5 dirhams auparavant, nous a affirmé un détaillant. Le gap de prix entre le marché de gros où il a été vendu à 15 dirhams et celui du détail est d'un dirham/kg. Pis encore, le poivron, légume très consommé au cours de ce mois, se vend à 18 dirhams/kg alors qu'il se vendait à moins de 5 dirhams auparavant tandis que le prix des tomates oscille entre 8 et 10 dirhams contre 15 dirhams/kg il y a quelques semaines, un reflux relativement important après la limitation des exportations de cette denrée au bénéfice du besoin local. Des consommateurs déçus mais fatalistes face à la réalité... Plusieurs consommateurs habitués au marché de gros de Rabat, se disent otages de cette réalité amère, mais s'arment de patience et de savoir-faire pour y faire face. La solution pour la grande majorité d'entre eux est de composer avec cette réalité et de chercher des alternatives en réduisant la consommation. En d'autres termes, au lieu d'acheter 5kg de tomates, il vaut mieux faire des économies de budget en achetant seulement 2kg et même moins. D'autres, plus en détresse, préfèrent se complaire dans l'expectative, quitte à partir les mains vides et les paniers vides, comptant sur un hypothétique mécénat. Bref, les prix affichés ces premières semaines du Ramadan sont loin d'être à la portée des petites bourses, encore plus dans le marché de détail qui subit les contrecoups de désordre entretenu par les grossistes, d'où le gap des prix qui impacte le budget du consommateur. Au marché d'El Kamra, des citoyens expriment leur ras-le-bol face à cette tendance haussière, « peu convaincus » par les justifications des parties concernées. Ils réclament l'intervention urgente des autorités compétentes pour préserver le pouvoir d'achat habituel. Signe de la détresse de certains, « certaines personnes dont la situation financière est critique se contentent d'acheter une ou deux unités de tomate, d'oignon ou de poivron, ce qui est vraiment triste surtout en ce mois sacré», déplore un détaillant. Le désordre donne plus de place à l'informel Au-delà de la loi de l'offre et de la demande, la tendance haussière des produits de consommation qui se poursuit, malgré les mesures d'urgence entreprises par le gouvernement, relève d'autres dysfonctionnements dont beaucoup sont à chercher au niveau des marchés de gros, en l'occurrence celui de Rabat. Si les grossistes sont appelés à reverser une taxe de 7% sur leurs produits à chaque entrée du marché de gros de Rabat, un nombre important d'entre eux vendent leurs produits en dehors en vue d'écourter le trajet et donc d'échapper à cette taxe et à tout contrôle, observent certains témoins du marché, faisant savoir que malgré qu'ils soient difficilement quantifiables, les volumes écoulés peuvent dépasser ceux enregistrés aux niveaux comptabilisés. En réalité, la loi interdit la vente directe par le producteur au particulier, sa production doit passer nécessairement par les Marchés de Gros des Fruits et Légumes (MGFL). Et pour cause, la distribution informelle favorise la spéculation et les marges élevées des intermédiaires suite à la multiplication des circuits parallèles non déclarés.