Les syndicats des pharmaciens ont annoncé une nouvelle grève prévue pour le 13 avril afin de protester contre une éventuelle réforme du décret relatif à la fixation des prix des médicaments, les conclusions du rapport de la Cour des Comptes et la détérioration de la situation financière des professionnels. La reprise du dialogue est exigée. Détails. La colère des pharmaciens est loin d'être apaisée. A peine le problème des élections des Conseils régionaux a-t-il été résolu qu'une nouvelle polémique s'est déclenchée après la publication du rapport de la Cour des Comptes qui s'est montré critique au sujet des marges que réalisent les pharmaciens. Après avoir contesté publiquement le rapport qui a pointé du doigt des marges jugées « excessives » par les observateurs, les différents syndicats de la profession s'apprêtent à se mettre en grève. La Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (CSPM) a annoncé dans un communiqué une nouvelle grève de 24 heures, prévue pour le jeudi 13 avril. Ce ne serait que le prélude d'une série de grèves qui s'en suivront dans une le cadre d'une démarche d'escalade assumée. En effet, les syndicats menacent de faire une deuxième grève si leurs demandes ne sont pas satisfaites et si aucun dialogue n'est ouvert. « Cette entreprise d'escalade est une réaction à une série d'accumulations négatives et est due au refus des autorités compétentes de tout dialogue avec les représentants afin de débloquer les réformes indispensables au redressement de la profession », lit-on sur le communiqué de la CSPM, qui déplore que l'Exécutif ne considère pas que le pharmacien soit un partenaire fiable pour l'amélioration et la régulation de la profession.
Fixation des prix : la réforme du décret ministériel pose problème !
Les pharmaciens protestent contre une éventuelle réforme du décret relatif à la fixation des médicaments qui, rappellent-ils, se prépare sans concertation avec les représentants de la profession. C'est là le fond du problème. Cela fait des années que le mode de calcul des marges bénéficiaires suscite plusieurs désaccords entre les professionnels et les ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de la Santé. Les pharmaciens se plaignent de l'impact des baisses des prix des médicaments sur leurs trésoreries. Le ministre de la Santé a, dès la fin de 2022, lancé des discussions avec les représentants de l'industrie pharmaceutique afin de solliciter leurs recommandations en ce qui concerne la modification du décret n°2-13-852 relatif « aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés ». En effet, les pharmaciens redoutent que cette réforme se fasse à leurs dépens. Raison pour laquelle ils veulent prendre part aux concertations. La réforme est jugée d'autant plus nécessaire que le rapport de la Cour des Comptes a été très critique vis-à-vis du système actuel de fixation des prix. Le Département de Zineb El Adaoui a conclu que le régime actuel favorise l'importation des produits pharmaceutiques au détriment de la production nationale puisqu'il accorde une marge supplémentaire de 10% sur les médicaments importés. Mise à jour du rapport de la Cour des Comptes ?
Le rapport a également estimé que les prix demeurent impactés par les marges des grossistes et des officines en plus de la TVA. La Cour des Comptes a repris le mode de calcul tel que stipulé dans le décret ministériel, précisant que les marges des pharmaciens varient de 47% à 57% pour les prix fabricant hors taxe (PFHT) inférieurs à 588 dirhams. Dès qu'un médicament dépasse le prix susmentionné, les pharmaciens touchent une marge (appelé forfait) de 300 dirhams. Celle-ci augmente à 400 lorsqu'il s'agit des médicaments de la quatrième tranche, dont le prix est supérieur à 1766 dirhams. C'est ce constat qui a fait tomber les pharmaciens de leurs chaises, sachant que la Cour a estimé que les marges réalisées au Maroc sont « largement supérieures » par rapport à des pays comme la Turquie et la France. Les responsables de la Confédération des Syndicats des Pharmaciens ont, tous, remis en cause les conclusions du rapport en expliquant que les taux de 47-57% n'appartiennent pas totalement au pharmacien car y sont inclues la TVA (7%) et la marge du grossiste (11%). « Le prix public de vente est calculé sur la base du prix du fabricant hors taxe auquel on additionne la marge du grossiste en plus du coefficient de marge de 57%. Ensuite, pour calculer la marge définitive du pharmacien, on divise le coefficient de marge par le prix public de vente. Donc, le fait de dire que le pharmacien accapare 57% à lui tout seul est complètement faux », nous explique Mohammed Lehbabi, Président de la Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc. Ceci dit, si on prend en compte les arguments des pharmaciens, les marges se situeraient à 33,93% pour les médicaments de la première tranche (moins de 166 dh et qui représentent 91% du marché), 29,74% pour ceux de la seconde tranche (entre 166 et 588 dh). Les forfaits de 300 et 400 dirhams demeurent fixes.
Nécessité d'une mise à jour du rapport contesté
Selon les syndicalistes que nous avons interrogés, il est absolument nécessaire que la Cour des Comptes fasse une mise au point pour éviter les confusions. Il s'agit, d'ailleurs, de l'une des raisons pour lesquelles ils manifestent. En plus de cela, ils protestent contre leur situation précaire. La CSPM a expliqué que nombreuses sont les officines qui sont menacées de faillite à travers le Royaume, tout en déplorant qu'il n'y ait eu aucune réaction du gouvernement afin d'accompagner ce secteur. Selon les données de l'Ordre des Pharmaciens, près de 30% des 12.000 pharmaciens d'officine qui se trouvent au Maroc souffrent de difficultés financières et risquent la faillite.
Le dialogue, rien que le dialogue !
Le mal, selon les représentants de la profession, a commencé depuis le décret 2-13-852 qui date de 2014 et qui a instauré un système préjudiciable aux pharmaciens. C'est pour cette raison qu'ils demandent à ce qu'ils soient associés dans la réforme. Or, le dialogue entre le ministère de la Santé et les représentants du secteur est quasi bloqué, faute de représentants légitimes. Sa reprise est tributaire du renouvellement des instances représentatives de la profession. Force est de constater que l'Ordre des Pharmaciens n'a pas encore tenu d'élections. Pour débloquer les choses, le gouvernement a adopté un décret encadrant l'organisation des élections des Conseils régionaux du Sud et du Nord. Il s'agissait d'une condition sine qua non pour que l'Ordre des Pharmaciens, qui n'a pas tenu d'élections depuis 2019, puisse faire peau neuve. Les syndicats considèrent les représentants actuels comme illégitimes puisque leurs mandats sont achevés.
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Mohammed Amine Bouzoubaâ « Le dialogue sur la réforme du décret relatif à la fixation des prix n'a duré que peu de temps» Amine Bouzoubaâ, Secrétaire général de la Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (CSPM) a répondu à nos questions au sujet des revendications des représentants de la profession. Concernant la réforme du décret relatif à la fixation des prix des médicaments, à quel point le ministère de tutelle a pris acte de vos doléances ? Actuellement, le dialogue est suspendu avec le ministère de la Santé en ce qui concerne beaucoup de dossiers dont le décret n° 2-13-852 relatif à la fixation des prix des médicaments. Le dialogue s'est ouvert et n'a duré que peu de temps. Nous avions eu une seule réunion où nous avions livré nos recommandations en tant que Confédération des Syndicats des pharmaciens d'officine, mais nous n'avions eu aucun retour de la part de la Direction ministérielle concernée. La reprise du dialogue est nécessaire puisque nous sommes un interlocuteur indispensable. A quel point cette réforme est-elle décisive pour le secteur de la pharmacie ? Pour ce qui est de la réforme, il est clair que la réglementation, telle qu'elle est actuellement, est un fardeau puisqu'elle empêche le développement du secteur pharmaceutique. Il y a des médicaments qui ne peuvent, de par la loi, être produits génériquement. La loi stipule que le médicament générique doit être moins cher que le médicament original. Au Maroc, en cas de rupture de stock de plusieurs médicaments à bas prix, ce qui arrive souvent, on ne peut rien faire faute d'un équivalent en générique. D'où la nécessité d'autoriser la production même si elle coûte plus cher puisque la santé du malade en dépend. Le dialogue dépend tout de même de l'élection de l'Ordre des pharmaciens, est-ce une condition indispensable pour sa reprise ? Nous avons écrit plusieurs fois au ministère de tutelle pour l'exhorter à débloquer la situation. Comme vous le savez, l'Ordre des pharmaciens n'a pas tenu d'élections depuis 2019. Cette situation nous est d'autant plus préjudiciable que nous ne sommes plus en mesure de dialoguer avec le ministère de tutelle à propos des sujets qui nous concernent. Par conséquent, nous ne pouvons ni présenter des doléances ni défendre nos intérêts. Le ministre refuse d'accueillir le Conseil actuel et dit qu'il faut des représentants légitimes avec qui il peut parler. C'est pour cela qu'il nous faut des élections le plus tôt possible avec la loi en vigueur en attendant que la réforme de l'Ordre soit votée au Parlement.
Propos recueillis par A. M.
L'info...Graphie Cahier revendicatif : D'autres demandes en stand-by Dans leur communiqué conjoint, la Confédération des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (CSPM), la Fédération Nationale des Syndicats des Pharmaciens du Maroc (FNSPM), l'Union Nationale des Pharmaciens du Maroc (UNPM) et la Fédération des Pharmaciens du Maroc (FPM) ont critiqué l'absence d'une volonté politique pour réformer le secteur pharmaceutique qui, selon la même source, encaisse les coups depuis des années. La Confédération a expliqué que les syndicats ont fait le choix de l'escalade par consensus vu qu'ils partagent la même vision de la situation actuelle du secteur. Ce n'est pas la première fois que les pharmaciens haussent le ton puisqu'ils ont d'ores et déjà investi la rue pour faire entendre leur voix. Pour rappel, ils ont tenu deux sit-in, le 23 janvier à Rabat et le 30 du même mois à Casablanca pour appeler à la dissolution des Conseils de l'Ordre des Pharmaciens qui ne sont plus représentatifs à leurs yeux. En effet, il y a plusieurs sujets de discorde qui se sont accumulés ces dernières années. Les pharmaciens revendiquent de nouvelles prérogatives dans l'exercice de leur vocation comme le droit de substitution, la contribution aux actes médicaux tels que la téléconsultation, la vaccination... A cela s'ajoute la vieille revendication d'intégrer les pharmaciens dans les concertations relatives aux réformes de la Santé. Sur ce point, les pharmaciens se sentent marginalisés. Aussi, la réforme de l'Ordre des Pharmaciens, qui a pris beaucoup de retard, a-t-elle exacerbé la colère des professionnels. La réforme de l'Ordre, rappelons-le, traîne toujours dans la Commission des Secteurs sociaux de la Chambre des Représentants. Ce retard a suscité une colère au sein même de la représentation de la profession puisqu'il y a eu des divergences là-dessus. Tandis que les syndicats appellent à tenir des élections le plus tôt possible pour renouveler toutes les structures de l'Ordre, les représentants actuels appellent à la patience et préfèrent attendre l'aboutissement de la réforme pour pouvoir tenir les élections. Marché des médicaments : Le constat préoccupant de la Cour des Comptes Au-delà des marges, la Cour des Comptes a souligné plusieurs dysfonctionnements du secteur pharmaceutique. En plus de la fiscalité qui demeure élevée (7% de TVA), le système actuel ne permet pas de garantir la disponibilité des médicaments pour autant qu'il n'encourage pas la production nationale. Ceci s'explique par deux principales raisons. La première est le retard de l'octroi des brevets (entre 20 et 25 ans). La deuxième est liée aux procédures d'homologation et de mise en marché des médicaments qui prennent, selon le rapport, beaucoup de temps. En plus de cela, le rapport a livré un constat inquiétant en stipulant que 25% des médicaments sont en situation de monopole. En ce qui concerne l'accessibilité des médicaments, la Cour des Comptes a estimé que les baisses pratiquées par le ministère de la Santé au cours des dix dernières années n'ont pas eu un impact significatif. Pour cause, le mode de calcul appliqué actuellement qui demeure peu adapté et peu efficace. D'où la nécessité, selon la Cour, de procéder à une profonde réforme du cadre légal. Ce que le gouvernement compte faire pour mettre à jour le décret relatif à la fixation des prix des médicaments.